Culture
Il signe l'un des plus beaux films de 2022 : rencontre avec Lukas Dhont, réalisateur de "Close"
Publié le 31 octobre 2022 à 17:45
Par Catherine Rochon | Rédactrice en chef
Rédactrice en chef de Terrafemina depuis fin 2014, Catherine Rochon scrute constructions et déconstructions d’un monde post-#MeToo et tend son dictaphone aux voix inspirantes d’une époque mouvante.
C'est un film qui touche au coeur, bouleversant de sensibilité et de pudeur. Récompensé du Grand prix au Festival de Cannes 2022, le magnifique "Close", en salle ce 1er novembre, installe le jeune réalisateur belge Lukas Dhont comme un cinéaste qui compte. Rencontre.
Il signe l'un des plus beaux films de 2022 : rencontre avec Lukas Dhont, réalisateur de "Close"
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"Oh, merci beaucoup", sourit timidement Lukas Dhont lorsqu'on le complimente sur son film. Etonnant que le réalisateur belge de 31 ans continue à être aussi touché, lui qui ploie sous les brassées de louanges depuis ses débuts. Son très beau Girl, son premier long-métrage, était déjà reparti avec le prix de la Caméra d'or à Cannes en 2018. Quatre ans plus tard, Lukas Dhont monte encore d'un cran dans la maîtrise et l'émotion pour son deuxième film, Close, récompensé d'un Grand prix mérité au Festival de Cannes.

Il y suit Léo et Rémi (les révélations Eden Dambrine et Gustav De Waele), 13 ans, deux "meilleurs amis ++" comme ils se définissent. La relation entre les deux jeunes garçons est tendre, lumineuse. Troublante aussi pour certain·e·s. Et ce regard extérieur va venir interroger et crisper ces liens, jusqu'à la rupture. A la manière d'un chorégraphe de l'image, Lukas Dhont capte avec une délicatesse infinie les petits gestes, le souffle, les regards et les non-dits. D'une tête posée sur une épaule à ce corps qu'on éloigne mine de rien, la caméra parvient à saisir ces attaches qui s'entrelacent et se défont, la rage qui implose, la culpabilité qui abîme.

Miracle d'émotion, Close éparpille le coeur en mille morceaux et hante durablement par ses silences si chargés et ses abîmes de tristesse sourde. Derrière ce récit d'émancipation douloureux, Lukas Dhont en profite pour délivrer une critique subtile de cette société pétrie de stéréotypes, capable de broyer l'innocence et la beauté.

Nous avons interrogé le cinéaste sur ce deuxième film bouleversant.


Terrafemina : Close est-il un film autobiographique, du moins en partie ?

Lukas Dhont : Disons qu'il est né d'une expérience très personnelle. A l'âge de 14 ans, j'ai commencé à avoir peur de l'intimité dans mes amitiés masculines. Je sentais le regard des autres sur ces relations, comme si c'était lié à la sexualité.

Mais le vrai point de départ du film a été la lecture d'une étude menée par une psychologue américaine qui a suivi 150 garçons entre l'âge de 13 ans et 18 ans. Elle leur demandait de se confier sur leurs amis masculins. A 13 ans, ils en parlaient comme s'il s'agissait d'histoires d'amour, avec de la tendresse, de la vulnérabilité. A cette même question posée à l'âge de 18 ans, elle a pu constater un vrai changement : ils n'osaient plus du tout utiliser le même langage d'émotion, exprimer leurs sentiments.

J'ai alors réalisé que mon expérience personnelle n'était finalement pas exceptionnelle. Cette étude révèle la façon dont nous sommes conditionnés à regarder la masculinité à travers des valeurs comme la compétitivité, l'indépendance, la distance émotionnelle. On apprend aux jeunes garçons à ne pas valoriser leurs émotions, qui seraient l'apanage du genre féminin.

Et au-delà de ce thème important de la masculinité, on a toutes et tous connu ce moment où une histoire d'amitié qui change nous a brisé le coeur. Cette peine, on la connaît surtout à travers les histoires d'amour, mais pas tellement à travers les histoires d'amitié. C'est un thème finalement universel.

Peut-on vraiment parler d'amitié entre Léo et Rémi ?

L.D. : C'est un âge où ces questions peuvent se poser pour la première fois justement. Mais j'avais surtout envie de parler de la société plutôt que de la sexualité des personnages. Cette société qui lit immédiatement la sensualité entre deux jeunes garçons comme quelque chose de sexuel. Concernant Léo et Rémi, je voulais avant tout raconter leur connexion, leur tendresse, puis la perte de cette tendresse.

Close met en lumière le rôle du regard des autres et les effets dévastateurs des stéréotypes de genre sur les garçons. On y voit également la place centrale de la cour de récré...

L.D. : Quand on a développé le scénario, nous avons voulu parler de la force de l'ego. Quand on est jeune, on a envie d'appartenir à un groupe, plutôt que de traîner avec une seule personne. Quand tu arrives dans une cour de récré, c'est ta première expérience du microcosme de la société, cette structure verticale où il y a des personnes plus populaires que d'autres, des étiquettes, des normes. On y découvre comment le monde est divisé. Ces normes et ce monde scindé ne fonctionnent pas vraiment pour certains jeunes.

Il y a beaucoup de silences très lourds dans ce film. Est-ce un langage qui vous est cher ?

L.D. : Oui, c'est un film sur le non-dit, sur les choses qu'on ne sait pas exprimer ou qu'on ne sait pas partager avec quelqu'un.

Avant de devenir réalisateur, je voulais devenir danseur. C'est sans doute pour cela que j'écris comme un chorégraphe. Les mouvements, les non-dits, la lumière, les regards sont très importants dans mon langage cinématographique. Nous sommes nombreux à ne pas savoir communiquer sur certaines choses.

Close se casse littéralement en deux à la moitié du film, une structure très audacieuse.

L.D. : Dès le début du film, nous avions en tête deux mots opposés : la fragilité et la brutalité. Nous avons rapidement mis en place cette division de la dramaturgie du film. Le monde de la tendresse et de la fragilité se transforme en quelque chose de plus brutal. Il y a en effet cette rupture au milieu, avec même un passage dans le noir. C'est comme si on commençait un nouveau film. Et c'est ce qui a été le plus dur à trouver dans l'écriture : trouver le bon équilibre entre les deux parties.

Le réalisateur Lukas Dhont et l'acteur Eden Dambrine au festival de Cannes pour "Close" le 28 mai 2022
Comment avez-vous travaillé l'aspect profondément dramatique du film ?

L.D. : Notamment à travers le changement d'antagonisme au cours du film. D'abord, nous sommes avec Léo et Rémi, puis dans la deuxième partie, la mère de Rémi, Sophie, devient plus importante. J'avais très envie de travailler avec Emilie Dequenne, qui incarne Sophie, et sur ce personnage de femme qui vit quelque chose de très dur.

Elle n'exprime pas tous ses sentiments, elle s'est blindée, s'est enfermée- un peu comme Léo- dans une armure. On est plus proche de l'implosion que de l'explosion. Ce personnage s'offre un peu comme un mystère auquel on ne peut pas complètement accéder. Je trouve cela très beau car les parcours de Sophie et de Léo sont très parallèles dans cette deuxième partie. On attend une forme de confrontation, peut-être de pardon qui devient un thème important.

Avez-vous d'ores et déjà des idées pour votre troisième film ?

L.D. : Chaque film que je fais me transforme un peu. Après Girl, je ne savais pas vraiment quel film je voulais faire. Et aujourd'hui, j'imagine mieux la suite : je veux aborder de nouveaux personnages et ne plus seulement focaliser sur la période de l'adolescence. Mais j'ai envie de continuer à parler de thèmes qui me touchent, comme l'identité, la tendresse, la douceur, la masculinité.

Close

Un film de Lukas Dhont

Avec Eden Dambrine, Gustav De Waele, Emilie Dequenne, Léa Drucker...

Sortie au cinéma le 1er novembre 2022.

Mots clés
Culture cinéma News essentielles LGBTQI interview adolescent
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