Sarah plante ses yeux noirs dans la caméra. Elle s'adresse à son beau-frère, cet homme qu'elle a empoisonné. Aujourd'hui, Sarah est enfermée dans un centre de détention pour mineures. Comme tant d'autres jeunes Iraniennes. Elles ont encore un visage poupin d'enfant, jouent au mime ou à la marelle, font de la poterie et de la méditation, cajolent une portée de cannetons, rient. Ces ados ont tué leur père, leur mari, parfois même avec l'aide de leur mère qui, elles, attendent leur exécution dans un centre voisin. Leurs proches leur faisaient du mal, les battaient, les humiliaient. Et elles ont craqué. "Mais pourquoi une femme en arrive-telle à tuer son mari avec l'aide de sa fille ? Que s'est-il réellement passé pour les mener à un tel acte ?", s'est interrogé le réalisateur iranien Mehrdad Oskouei.
Après avoir filmé la vie de garçons délinquants dans Les derniers jours de l'hiver et celle de filles dans Des rêves sans étoiles, le cinéaste a voulu cette fois-ci aller à la rencontre de ces jeunes criminelles pour comprendre ce qui les a poussées à bout, ce qui a motivé leur geste sans retour. Les prisonnières juvéniles se livrent en confiance, racontent les coups qu'elles ont reçus et que la police n'a jamais considérés. "Pourquoi es-tu devenu méchant au point que je te tue ?", questionne l'une d'elles en s'adressant à son père assassiné. "Tu étais pire que mes parents", souffle une autre à ce mari tyrannique qu'elle avait épousé à l'âge de 12 ans.
Ces séquences face caméra prennent des airs de thérapie durant lesquelles les adolescentes esquissent leur passé lourd et douloureux, sans jamais regretter leur crime. Derrière leurs mots pudiques et leur regard hanté, on devine un quotidien fait de violences et de privations dans une société patriarcale qui marginalise et abîme les femmes. Aux yeux de la loi, elles sont désignées "coupables", mais se révèlent avant tout victimes. Et les murs du centre de rétention ne constituent pas tant une prison qu'un cocon de douceur qui les protège de la brutalité du monde extérieur.
Perlé de larmes, de rires enfantins, de solitude et d'espoirs, Sunless Shadows, récompensé par de nombreux prix dont celui du meilleur réalisateur à l'International Documentary Film Festival d'Amsterdam, brosse un portrait intime, délicat et poignant de cette jeunesse iranienne sacrifiée. Et pointe en filigrane la responsabilité d'une culture misogyne qui pousse les femmes au bord du précipice.
Sunless Shadows
Un film de Mehrdad Oskouei
Sortie en salle le 26 janvier 2022