Il y a du Françoise Hardy chez Clara Luciani. Cette allure de biche blessée, cette frange qui lui bouffe les yeux, cette timidité maladive. Échappée du groupe La Femme, la jeune Marseillaise a pris son envol et a expurgé ses peines de coeur en musique. Remonter la pente, reprendre le dessus et finalement, terrasser cette peine qui lui rongeait le palpitant.
Clara a saisi sa guitare, du papier et a déversé son cafard et ses jolies inspirations sur un album, Sainte-Victoire. Un recueil de dix chansons obsédantes aux allures de reconquête, mêlant électro et mélo, ciselé pour sa voix profonde. Au coeur de cette petite bombe, La Grenade, l'hymne disco féministe que l'on va chantonner tout l'été. Nous avons rencontré Clara Luciani pour une interview sous le feuillage des figuiers, dans une petite cour parisienne. Entre ombre et lumière.
Clara Luciani : J'ai eu vraiment besoin de faire cet EP-là et j'étais tellement dans un chagrin d'amour intense et compliqué qu'en le rendant public, je me délestais un peu de son poids et il ne m'appartenait plus tout à fait. Et je crois que j'avais besoin de ça pour guérir, pour aller de l'avant, aller vers la lumière et vers un nouvel album.
C.L. : Oui, la preuve ! (rires). Et oui, c'est quelque chose que j'aurais aimé que l'on me dise à ce moment-là où j'avais vraiment l'impression que j'allais mourir de chagrin. Et en fait, on se rend compte que non, on ne meurt d'amour qu'au cinéma finalement. J'ai été épargnée (rires).
C.L. : L'écriture oui, et n'importe quelle forme d'art. J'adore citer cette phrase de Otto Dix qui dit : "Tout art est exorcisme". Donc l'écriture mais aussi la musique, la peinture et bien juste se maintenir occupée, faire des gâteaux, aller au cinéma, rester occupée...
C.L. : J'ai l'impression qu'à partir du moment où on rend public quelque chose, il ne nous appartient plus tout à fait et du coup, on peut aller de l'avant, on se sent plus léger.
C.L. : Oui, c'est complètement contradictoire et en plus, c'est le cas de pas mal de musiciens ou d'acteurs qui sont très timides dans la vie de tous les jours mais qui sur scène ou derrière une caméra se transforment. Il y a quelque chose d'assez magique là-dedans, dans la force que peut donner l'art.
C.L. : Oui, j'ai souffert d'une certaine forme de sexisme. Je me suis souvent sentie sous-estimée. Par exemple, je me rappelle d'un des premiers concerts que j'ai fait avec La Femme, je monte sur scène, j'avais mis une petite jupe et le mec devant dit : "Celle-là, ils l'ont pas choisie pour sa voix". Je n'avais même pas encore eu le temps de chanter. Ce sont des petites choses comme ça. Souvent sous-estimée.
C.L. : Oui, quand en plus on a la bonne idée de mesurer 1 mètre 82, on a tout de suite quelque chose d'un peu impressionnant pour les garçons. Mais ça va, il y a quelques courageux qui ont décidé d'aller au-delà de cette apparence effrayante.
C.L. : Déjà, c'est complètement impossible, ce qu'on demande aux femmes. On leur demande d'être tout et son contraire. À la fois parfois femmes au foyer, femme-objet, des choses contradictoires. C'est très très lourd et je pense qu'en tant que femme, je n'aurais pas pu être heureuse sans admettre ça et me dire que je refuse d'être tout ce qu'on attend de moi et me contenter d'être ce que je suis... imparfaite ! (rires)
C.L. : Mes mauvaises expériences en tant que femme musicienne, les bêtises que j'aie pu entendre. Et puis aussi une forme de galanterie excessive qui m'excédait un peu, le fait que dès que j'arrive dans une salle, on se précipite vers moi pour me montrer comment fonctionne un ampli ou comment brancher mes pédales alors que je fais ça depuis trois ans maintenant. Donc je commence à savoir faire ! (rires)
C.L. : Je me considère comme féministe, oui, bien sûr. C'est nécessaire, je pense.
C.L. : PJ Harvey, Annie Ernaux et Françoise Hardy.
C.L. : Cendrillon. Une histoire d'ascension...
C.L. : J'adore Phoebe dans Friends. Je me reconnais beaucoup en elle.
C.L. : L'équitabilité dans les salaires. Ça serait vraiment nécessaire.
C.L. : La Grenade !
C.L. : "Au milieu de l'hiver, j'ai découvert en moi un invincible été" de Albert Camus.
C.L. : Peut-être l'été dernier quand j'ai joué au Fnac Live devant beaucoup de monde. Il y avait un océan de public et j'étais toute seule avec ma guitare et j'avais vraiment l'impression d'être une conquérante.
C.L. : Peut-être le don d'invisibilité. Je suis très grande et je crois que j'ai beaucoup souffert de la place que je prenais. Et parfois, j'aimerais être minuscule ou invisible, pouvoir me faufiler dans les rues et que personne ne me voit.
C.L. : Beaucoup de choses me révoltent. Mais là, dernièrement, mon dernier coup de gueule, c'était ce qu'on appelle la "taxe rose", le fait que les produits destinés aux femmes soient plus chers que ceux destinés aux hommes. Pareil pour les petites filles et les petits garçons. Un truc un peu insensé pour moi.
Clara Luciani, album Sainte-Victoire