Le 2 avril dernier, Sabrina Debusquat, journaliste et autrice du blog Ça se saurait, Marie-Hélène Lahaye, militante féministe, et Diglee, illustratrice, signaient une tribune dans Libération intitulée Marre de souffrir pour ma contraception !
Elles y décrivaient la souffrance des femmes qui subissent les effets secondaires d'une pilule quasiment imposée par les gynécologues lorsqu'elles veulent mener une sexualité épanouie sans risque de grossesse (AVC, infertilité, migraines, baisse de libido...), l'absence de recherches portant sur des alternatives non hormonales, ou qui s'adresseraient aux hommes, et le besoin d'allouer des budgets pour les trouver.
Devant le succès du texte, lié au hashtag #PayeTaContraception qui invite les femmes à parler de leurs expériences négatives avec la pilule ou tout autre système proposé en France, la tribune va prochainement se transformer en pétition, afin que tous·tes ceux et celles qui souhaitent apporter leur soutien soient libres de le faire. Et que sa viralité se concrétise jusqu'aux sphères gouvernementales.
On a discuté du sujet avec Sabrina Debusquat, qui a sorti dans la foulée son deuxième ouvrage sur le sujet : Marre de souffrir pour ma contraception - Manifeste féministe pour une contraception pleinement épanouissante (éd. Les liens qui libèrent), deux ans après son enquête J'ai arrêté la pilule, de la même maison d'édition. Un échange passionnant et effrayant, qui prouve encore l'urgence de ce problème étouffé.
Sabrina Debusquat : Ma grand-mère s'est battue pour le planning familial et la pilule, donc je pense qu'il y a une sorte de relent familial. Et puis je m'y suis intéressé sérieusement quand j'ai arrêté la pilule il y a 5 ans, après dix années sous cette forme de contraception. J'ai écrit un petit texte sur mon blog, Ça se saurait, en 2014, en expliquant ma décision, en évoquant les avantages de l'après comme le retour de ma libido. Et là, c'est comme si j'avais ouvert une boite de Pandore. Il y a eu un tel flot de messages, environ 500 commentaires.
A force de recevoir des témoignages sur le sujet, à force d'entendre ces femmes qui se questionnaient de l'impact de ces hormones sur leur corps ou l'environnement, et qui recevaient bien souvent pour seule réponse de leur gynéco un "Circulez, y'a rien à voir !", je me suis rendu compte qu'on était beaucoup à souffrir de la contraception. Et j'ai décidé de mener mon enquête.
S.D. : L'idée m'est venue en décembre dernier, mes éditeurs m'avaient demandé si je souhaitais écrire un second livre. J'avais décliné car je ne voyais pas quoi rajouter après une année d'enquête. Toutefois, j'étais ravie que le succès médiatique du livre ait permis de lancer un réel débat public sur la charge contraceptive.
Et puis finalement, je l'ai fait car j'étais amère de voir que, bien que les femmes libèrent la parole, rien ne change. Je suis certes journaliste mais aussi féministe. Or comme il semblerait qu'il n'y ait que moi qui ose se prononcer publiquement sur le sujet, je monte donc au créneau, forte des encouragements des nombreuses femmes qui m'écrivent. Marie-Hélène Lahaye et Diglee ont ajouté leur grain de sel à la tribune et même un homme m'y a aidé (porteur d'un slip chauffant) mais il a souhaité rester anonyme car ils ne ne se "sentait pas à l'aise avec le fait de dire aux femmes quoi faire de leurs corps".
En matière de contraception, clairement, les femmes en ont marre de tout se taper et de subir en plus les effets secondaires. Elles se sentent seules car elles ne sont pas accompagnées quand la pilule ne leur convient pas. Elles se sentent seules et sans solutions. D'ailleurs, pour beaucoup de gynécos comme pour la société dans son ensemble, la contraception masculine n'apparaît pas comme une option sérieuse. Il faudrait que l'on se contente d'avoir la pilule. pourtant, nous n'avons pas à mettre sous le tapis la parole des femmes sous prétexte que cette contraception est un symbole féministe. On peut faire mieux, c'est un acquis à affiner !
S. D. : Aujourd'hui, que reprochent les femmes aux contraceptifs ? Les effets secondaires. Si on veut un monde dans lequel plus personne ne souffre ou ne meurt à cause de ça, il faut démédicaliser la contraception, car toute contraception médicalisée expose, de fait, à des effets secondaires, c'est la roulette russe. Or si nous voulons nous diriger vers une contraception non médicalisée, il faut allouer des budgets à une recherche scientifique indépendante.
Les femmes en ont marre d'aller tous les ans faire un toucher vaginal pour prendre la pilule, les couples veulent de l'autonomie. Entre 2000 et 2016, il y a eu une diminution de 20 % de la consommation de pilule. Dans la tribune, je propose de créer une concertation nationale contraception afin de mettre autour de la table les femmes, les hommes et les médecins et les chercheurs afin de trouver d'autres alternatives qui ne soient pas uniquement à base d'hormones ou médicalisées (les seules options actuellement largement promues, notamment par l'industrie pharmaceutique).
Pour moi, la vraie révolution serait qu'on n'ait pas à passer par la case médicale pour avoir une sexualité libre. On est en pleine période de backlash, il y a beaucoup de régression en matière de droit des femmes, mais si on n'ose pas rêver à une contraception sans effet secondaire, si on se satisfait de ce qu'on a, on n'avancera jamais. Il faut retrouver la motivation des années 60.
S. D. : Je me suis moi même retrouvée toute seule à chercher des solutions, je pratique la symptothermie, je connais mon cycle d'ovulation et je la couple avec un préservatif pendant la période à risque de grossesse. Il s'agit d'une méthode validée scientifiquement et qui marche (différente de la méthode Ogino, qui calque un calendrier type avec ovulation à date précise, ndlr). Je suis ravie d'avoir une sexualité épanouie grâce à ça. Mais si cela nous convient pas, que fait-on ?
S. D. : Aucun pour le moment, mais je me suis rendue à la table ronde de l'UNFPA (United Nations sexual and reproductive health agency), autour du rapport Une mission inachevée : l'accès aux droits et aux choix pour toutes et tous, et j'ai été entendue.
S. D. : La réponse est non, ce sont les faits. En France, on a un systématisme du tout pilule, les gynéco ont tendance à orienter vers la pilule ou vers les systèmes hormonaux, contrairement aux médecins anglais qui sont tenu·es de présenter toutes les contraceptions de manière neutre à toute femme qui en demanderait une, vasectomie comprise. Il faudrait laisser la femme choisir sans l'influencer, contrairement à ce qu'on pratique ici. Est-ce que le fait que nos médecins soient formés à 98 % par l'industrie pharmaceutique explique cette tendance ? Très certainement. En tout cas c'est l'une des pistes de réflexion que j'avance.
Enfin, beaucoup de femmes rapportent également qu'on ne les a jamais informées du fait que leur contraception comportait des effets secondaires pouvant aller jusqu'au décès. Et, comme je l'ai estimé avec une professionnelle, il y aurait en France chaque année 3 000 femmes qui finissent à l'hopital à cause de leur contraception hormonale et 83 qui décèderaient. Pour comparaison, la vache folle, c'est 200 décès en 20 ans et l'on a qualifié cela de "scandale"...Concernant la pilule, on a vraiment l'impression que tout le monde s'en fout.
Aujourd'hui, c'est un fait irréfutable, la science nous dit que si l'on a un corps en bonne santé il vaut mieux éviter de l'exposer à des hormones de synthèse. On sait aussi que seulement 1 à 5 % des effets secondaires graves des médicaments sont remontés. Alors, mettons ces faits et chiffres sur la table et faisons-une concertation nationale pour développer des contraceptions sans effets secondaires ! Les acquis du passé ne sont pas une raison pour que notre regard soit constamment fixé dans le rétroviseur, il faut aussi penser à l'avenir et aux améliorations à apporter, pour que plus personne n'ait à souffrir ou à mourir pour sa contraception.