Culture
Zahia Ziouani, l'une des rares cheffes d'orchestre françaises, raconte sa bataille pour l'égalité
Publié le 24 janvier 2023 à 17:38
Par Catherine Rochon | Rédactrice en chef
Rédactrice en chef de Terrafemina depuis fin 2014, Catherine Rochon scrute constructions et déconstructions d’un monde post-#MeToo et tend son dictaphone aux voix inspirantes d’une époque mouvante.
La France compte moins de 4% de femmes cheffes d'orchestre. Zahia Ziouani est l'une d'entre elles. Et son extraordinaire parcours a inspiré un film, le joli "Divertimento", en salle ce 25 janvier. Nous avons rencontré cette musicienne passionnément engagée pour parler d'égalité.
La bataille de la cheffe d'orchestre Zahia Ziouani pour l'égalité femmes-hommes dans la musique
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Toute jeune déjà, Zahia Ziouani vivait, rêvait, respirait musique. Son rêve ? Tenir la baguette et devenir cheffe d'orchestre. Et ce en dépit de l'absence quasi totale de rôle-modèles. Cible des micro-agressions classistes, sexistes et racistes, la musicienne originaire de Pantin ne variera jamais de cap, traçant sa route à force de détermination et de talent.

Aujourd'hui, Zahia Ziouani, 44 ans, a atteint son objectif : elle est l'une des rares cheffes d'orchestre françaises dans un pays qui n'en compte que 4%. Consciente qu'elle ne pouvait compter que sur elle-même pour bousculer le milieu élitiste et très cloisonné de la musique classique, la maestra a créé en 1998 son propre orchestre symphonique, Divertimento. Basée en Seine-Saint-Denis, cette formation réunit 70 instrumentistes passionnés et se donne comme mission de démocratiser le classique, de l'ancrer dans le quotidien et sur tous les territoires.

Le fabuleux destin de Zahia Ziouani a inspiré la réalisatrice Marie-Castille Mention-Schaar qui lui consacre un film, Divertimento, en salle ce 25 janvier. Un joli biopic, ode à la transmission, qui revient notamment sur sa rencontre avec son mentor, le maestro Sergiu Celibidache (le toujours fabuleux Niels Arestrup) et insiste sur la persévérance de la jeune mélomane (interprétée par l'épatante Oulaya Amamra) face aux obstacles.

Nous avons rencontré la cheffe engagée pour parler des missions d'égalité qu'elle s'est fixées.

Terrafemina : Quand avez-vous décidé de devenir cheffe d'orchestre ?

Zahia Ziouani : J'ai compris très jeune que je voulais évoluer dans le monde de la musique. J'ai commencé à 8 ans, puis j'ai fait du violon alto à 12 ans parce que je voulais absolument intégrer un orchestre. Et dès 14 ans, je me suis dit : "Quand je serai grande, je serai cheffe d'orchestre". Ce n'était pourtant pas évident de se projeter car je voyais peu de jeunes chefs et encore moins de femmes cheffes.

L'univers de l'orchestre symphonique a pendant très longtemps été très masculin. Il y avait peu de places dans les conservatoires, et notamment au Conservatoire supérieur de Paris. Et très peu de places voire aucune pour les femmes pendant des années. A chaque fois que je parlais de mes rêves autour de moi, on essayait de m'en dissuader. J'ai malgré tout gardé ce rêve en moi et j'ai placé les jalons pour pouvoir atteindre mon objectif.

Comment définiriez-vous le rôle d'une cheffe d'orchestre ?

Z.Z : C'est une figure emblématique qui sert à fédérer tous les musiciens, qui les emmène dans une même direction. Les musiciens ont besoin de se sentir en confiance, de sentir qu'ils ont quelqu'un en face d'eux qui a une idée en tête et les embarque tous ensemble.

Avez-vous été confrontée à des attaques sexistes lors de votre parcours ?

Z.Z : Oui, j'ai déjà eu à faire à des réflexions souvent très déplacées, sexistes. On me disait carrément : "Le métier de chef d'orchestre n'est pas un métier pour les femmes." On m'a balancé que je ne réussirais pas parce que j'étais une femme. Certains orchestres refusaient tout bonnement d'être dirigés par une femme.

De mon côté, j'ai toujours fait face à ces situations en travaillant dur pour montrer que cela n'avait aucune importance que l'on soit un homme ou une femme, qu'une femme pouvait diriger tous les répertoires. Le plus important est bon pour avoir la légitimité de diriger. C'est ce qui m'a challengée quelque part pour devenir une grande cheffe.

J'ai toujours été très exigeante envers moi-même et j'ai cultivé ce perfectionnisme pour être toujours au top de mes préparations. Je veux montrer que l'on peut avoir sa propre personnalité, être à la fois ferme autoritaire, mais aussi respectueuse et bienveillante.

Le milieu du classique reste très blanc et bourgeois. Avez-vous également été victime de racisme ?

Z.Z : Oui. On voit peu de personnes issues de la diversité et c'est un milieu qui a encore du mal à s'ouvrir. C'est aussi pour cela que j'essaie avec l'orchestre Divertimento de montrer et d'incarner cette diversité et de former des jeunes qui sont issus des milieux populaires et ruraux. J'ai confiance en tous ces jeunes pour faire bouger le monde après nous. C'est important de montrer que c'est possible.

Quelles qualités doit avoir un·e chef·fe d'orchestre selon vous ?

Z.Z : Un·e bon·ne chef·fe d'orchestre devrait être audacieux·se, engagé·e et respectueux·se. C'est ce que j'essaie de faire. Je veux être la cheffe d'orchestre du 21e siècle que j'ai envie d'incarner. Je veux m'investir pleinement pour que la musique soit accessible dans les grandes salles de concert mais aussi en milieu rural, urbain ou carcéral. Je veux que tout le monde ait accès à cette musique, j'ai envie de la rendre populaire au sens noble du terme.

On continue à transmettre le patrimoine musical qui existe qui traverse le temps, mais aussi le confronter aux sujets d'aujourd'hui. On s'interroge par exemple aujourd'hui sur l'identité, sur la mixité, sur le vivre ensemble. Je veux montrer comment notre histoire et notre patrimoine se sont construits à travers les rencontres avec d'autres cultures, faire le lien avec de grands événements. Nous aurons par exemple bientôt les Jeux olympiques et paralympiques : c'est une merveilleuse opportunité pour montrer que la musique est ouverte sur le monde. Faire le lien entre musique, sport et ces cinq continents, c'est une belle source d'inspiration.

L'actrice Oulaya Amamra et la cheffe Zahia Ziouani sur le tournage de "Divertimento" © Guy Ferrandis
Comment booster la représentation des femmes dans ce milieu si cloisonné de la musique classique ?

Z.Z : J'avais vraiment envie de faire bouger les choses et c'est pour cela que j'ai créé l'orchestre Divertimento. Aujourd'hui, je travaille quotidiennement pour mettre les femmes en avant ou avoir cet équilibre entre les hommes et les femmes au sein du projet. En tant que cheffe d'orchestre, j'ai une place de choix pour être visible et montrer aux jeunes qu'il peut y avoir une femme cheffe. J'ai aussi installé une parité au niveau des instrumentistes, en mettant des femmes sur des pupitres d'instruments où on en voit peu comme les cuivres et les percussions. Mais je cherche aussi l'égalité dans le choix des solistes et des metteures en scène.

Au sein de l'Académie de formation Divertimento, nous avons beaucoup de jeunes issu·e·s de la diversité et de milieux sociaux différentes, des garçons et des filles dans tous les instruments. Et on essaie de préparer les prochaines générations à pouvoir incarner cette diversité et cette mixité. C'est un sujet de fond qui fait partie de l'ADN du projet Divertimento.

Quelles sont vos oeuvres préférées ?

Z.Z : Ce sont des oeuvres qui me tiennent à coeur, qui ont été emblématiques dans l'histoire de l'orchestre et que l'on entend d'ailleurs dans le film Divertimento.

Je dirais La Danse bacchanale de de Camille Saint-Saens : c'est la rencontre entre le patrimoine musical français et la culture algérienne. Cela renvoie à mon histoire personnelle.

Il y a aussi le Boléro de Ravel qui est une très belle oeuvre, très dynamique, avec beaucoup d'intensité. On y retrouve aussi ce mélange des cultures, puisque l'oeuvre fait le lien avec l'Espagne. Ce sont deux morceaux qui m'inspirent particulièrement.

Divertimento

Un film de Marie-Castille Mention-Schaar

Sortie au cinéma le 25 janvier 2023

Avec Oulaya Amamra, Lina El Arabi, Niels Arestrup...

Mots clés
Culture musique cinéma interview sexisme égalité hommes-femmes News essentielles Femmes engagées les audacieuses
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