Terrafemina : Le héros de « Elle et lui » était déjà l’un des personnages principaux dans votre premier livre « Et si c’était vrai ». Pourquoi ce retour aux sources après quinze romans ?
Marc Levy : Par désir et par plaisir. Je voulais renouer avec des personnages auxquels j’étais très attaché. Ils m’ont manqué. Aussi fou que cela puisse paraître, pour un romancier les personnages deviennent des personnes qui font partie de votre vie. Un jour en me baladant avec mon meilleur ami, je lui ai montré la fenêtre d’un appartement en lui disant que c’est là que vivait l’héroïne de mon roman Toutes ces choses qu’on ne s’est pas dites. Il m’a pris pour un fou, et m’a lancé un regard consterné. Mais moi j’étais très sincère. Quand on passe des mois et des mois avec des personnages, ils rentrent dans votre vie. Donc en écrivant ce roman, j’avais envie de renouer avec ces personnages, mais aussi la comédie. Ça faisait sept ans que je n’en avais pas écrit et ça me manquait. J’avais envie de légèreté et j’ai pris beaucoup de plaisir à retrouver tout ça.
Tf : Ce livre est une belle comédie romantique à mi-chemin entre « Quand Harry rencontre Sally » et « Coup de foudre à Notting Hill ». Il y a d’ailleurs un côté très cinématographique dans ce roman. Avez-vous emprunté délibérément aux codes de la comédie romantique ?
M.L : Je ne dirais pas que j’emprunte aux codes. Mais ça me touche beaucoup quand on me dit que j’ai une écriture visuelle car en seize romans je n’ai jamais décrit physiquement un de mes personnages. Mais c’est ça le métier de romancier. Quand je lisais Les Misérables, je voyais un film, le cinéma n’existait pas. On n’a jamais lu de roman adapté d’un film, c’est l’inverse. Finalement, cette magie du métier de romancier, c’est de créer des images dans la tête d’un lecteur, uniquement avec des mots. Donc étrangement, ce n’est pas le roman qui emprunte au cinéma. C’est le cinéma qui met en image le travail du romancier. Après, est-ce qu’il y a des codes dans la comédie romantique ? Oui. Mais comme il y en a dans le polar et le thriller.
Tf : Au rayon inspirations, Paul Barton le héros est comme vous un ancien architecte devenu écrivain de romans populaires, qui comme vous cartonne en Asie et qui comme vous est un expatrié. On ne va pas se mentir, vous avez mis énormément de vous en lui…
M.L : C’est possible. Je suis quelqu’un d’extrêmement pudique et j’ai toujours fait très attention à garder une certaine réserve. Mais il est vrai que lorsqu’on se retrouve dans le domaine de la comédie et de l’autodérision, cela permet de raconter plus de choses. Le risque de se prendre au sérieux n’existe plus. Donc oui, on a beaucoup de choses en commun, comme le fait qu’il soit très maladroit, gauche, un peu timide.
Tf : Il y a une scène dans laquelle il vomit de stress avant d’entrer sur un plateau télé. Et vous-même, il paraît que vous détestez ce genre de chose. C’est un clin d’œil à l’une de vos mésaventures ?
M.L : Oui, c’est du vécu. Je peux être extrêmement malade avant d’entrer sur un plateau de télévision. Mon attachée de presse pourra vous le confirmer, c’est arrivé, et pas qu’une seule fois. C’est encore ce rapport à la pudeur, le fait de se mettre en avant. Moi j’écris parce que ça me permet de partager des choses avec les gens sans me montrer. C’est ce qui fait la différence entre celui qui veut être acteur et celui qui veut être metteur en scène.
Tf : Dans le livre, on peut lire que Paul est « désarmé face à son succès ». Comme lui, c’est quelque chose que vous pouvez ressentir ?
M.L : C’est quelque chose que je vis depuis seize ans. On se demande toujours « pourquoi moi ? Pourquoi pas quelqu’un d’autre ? » La motivation ce n’est pas le succès. La motivation c’est l’envie de partager avec les autres. Il y a quelque chose de très impudique dans le mot succès, ce qui n’empêche pas que ça produise un immense plaisir. Et puis c’est très difficile d’en parler, c’est extrêmement désarmant. Donc c’est bien aussi que je puisse en parler à travers mon roman. Ça fait du bien de se moquer de soi-même et ça montre qu’on peut vivre ça pleinement sans se prendre au sérieux.
Tf : Si le héros s’inspire de vous, de qui s’inspire l’héroïne, Mia, l’étoile montante du cinéma britannique ?
M.L : Elle m’est venue comme ça. Mais ce qui est drôle, c’est qu’on pourrait imaginer que l’idée d’une star qui s’inscrit sur un site de rencontres est quelque chose de complètement improbable. Pourtant, ça, c’est bel et bien inspiré de quelqu’un que je connais. Je tairais son nom mais c’est une actrice anglaise qui l’a vraiment fait. Elle a même eu des rendez-vous. C’est comme ça que j’ai eu l’idée du roman. Elle était extrêmement seule dans sa vie, et ça correspond au personnage de Mia. Car au-delà de la comédie, c’est un roman sur la solitude urbaine qui touche 18 millions de personnes en France. On est seuls parce que l’on n’arrive pas à sortir de notre propre enveloppe, de l’image que l’on s’est faite de soi-même.
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Tf : « Elle et lui » évoque donc les sites de rencontres. Quel regard portez-vous sur ce phénomène ?
M.L : Moi je trouve ça très bien. La maladie, c’est la solitude. Ce qui compte ce n’est pas le site de rencontres en soit, c’est ce que les gens en font. Si on est sincère dans la vie, on l’est tout autant sur un site de rencontres. D’ailleurs, il y a un personnage dans mon roman qui le dit bien : se rencontrer sur un site ou dans un bar, ça change quoi ? Ce qui compte c’est la rencontre. Donc si ça permet d’aller au-delà de cette pudeur qui nous bloque, je dis oui. Ça m’est arrivé tellement de fois dans ma vie d’être assis dans un train ou un bus et de rêver de parler à la fille assise en face de moi. Mais j’étais incapable de le faire, tellement j’avais la trouille. Je fais partie de cette catégorie d’hommes à qui il faut six mois pour aller parler à la fille qui nous sourit à l’autre bout de la pièce. Donc si le site de rencontres permet de s’alléger de cette pudeur qui bloque, c’est bien.
Tf : Dans vos livres vous évoquez souvent des phénomènes de société (mariage homosexuel, écologie, adoptions illégales). Cette fois-ci, l’actualité est encore au cœur de votre roman avec l’évocation du régime nord-coréen. Pourquoi avoir décidé de parler de ça précisément ?
M.L : Tout simplement parce que je me suis rendu en Corée du Sud et que ça m’a interpellé. C’est vrai que c’est une dictature terrible et qu’on n’en parle jamais. Il n’y a pas de pétrole en Corée du Nord et son économie n’intéresse personne, alors que l'on est face à un peuple qui vit en esclavage. Ils connaissent la famine, la misère, la déportation, c’est épouvantable. Donc j’avais envie d’en parler, comme j’ai eu envie de parler de la dictature en Argentine ou de l’apartheid. En situant une des intrigues en Corée, ça me permettait de mélanger le côté ubuesque de la comédie avec cet écrivain qui se retrouve dans un pays où il ne comprend rien à ce qu’on lui raconte, et un côté beaucoup plus grave.
Tf : De façon assez brève, « Elle et lui » évoque la littérature érotique. Aujourd’hui, c’est vrai que ce genre est très à la mode bien qu’il soit aussi décrié pour diverses raisons. En tant qu’auteur de romans d’amour, que pensez-vous de cette tendance ?
M.L : L’important, c’est de donner envie de lire. Aujourd’hui, dans le temps de loisir qui nous est accordé, on le passe malheureusement le plus souvent connecté et on est en permanence sollicité par l’image. Donc moi ce que je crains, ce n’est pas que les gens ne lisent pas ce qu’ils devraient lire, mais qu’ils oublient le bonheur de lire. Parmi les courriers que je reçois et qui me font le plus plaisir, c’est ceux où les gens me disent qu’ils n’avaient plus ouvert de livre depuis vingt ans et que je leur ai redonné le goût de la lecture. Donc si un livre comme 50 nuances de Grey permet aux gens de retrouver l’envie de lire, c’est très bien. Parce qu’une fois que ces gens-là auront fini le roman, ils vont avoir envie d’en découvrir un autre, et puis un autre. Et ça c’est tant mieux.
Tf : Dans la littérature sentimentale, il y a des auteurs qui vous inspirent ?
M.L : Victor Hugo. Ça va faire grincer des dents, mais je trouve que Les Misérables est un roman extrêmement sentimental. Je pourrais aussi citer Alexandre Dumas, Françoise Sagan, ou Alessandro Baricco qui a écrit le très beau Soie. Pour moi, la littérature sentimentale est une littérature qui provoque une émotion sur le lecteur, grâce à laquelle il entre en empathie avec les personnages et s’approprie leur histoire.
Tf : On vous doit des romans d’amour, d’aventure, fantastique, et même policiers. Au bout de 16 livres, qu’est-ce qui vous fait encore rêver ? Quels univers aimeriez-vous explorer ?
M.L : Ma liberté d’écrire elle est d’alterner les genres. Je n’avais pas écrit de comédie depuis sept ans et j’y suis revenu. Et si j’ai envie d’en écrire une nouvelle l’année prochaine, je le ferais. Je ne veux pas m’enfermer dans un genre. Si c’était vrai avait fait un gros carton à l’époque de sa sortie, mais je ne voulais pas refaire quinze fois le même livre. Mais il n’y a jamais tromperie. Quand je dis que je publie un thriller, je le fais, et les lecteurs qui n’aiment pas le genre ne me suivent pas. Un jour peut-être, j’écrirais une saga, une histoire longue sur 3 ou 4 volumes où l’on verrait évoluer les personnages. Ça me brancherait bien, mais bon, on verra…