"Dans notre société, ce sont toujours les hommes qui sont chargés d'arrêter les hommes qui tuent les femmes"
C'est un film qui en regorge, de répliques comme ça. Elles font toujours l'effet d'uppercuts... Alors que l'histoire qu'elles viennent illustrer est tout aussi dévastatrice. Si vous l'avez vu en salles, vous avez reconnu l'origine de cette ligne : La nuit du douze, le film de Dominik Moll scénarisé par Gilles Marchand, où la révélation Bastien Bouillon et le poignant Bouli Lanners délivrent d'intenses performances.
La nuit du douze, c'est un polar. Il est question d'un enquêteur à la recherche d'un meurtrier, obsédé par l'image de la victime, une jeune femme brûlée vive. A l'instar des personnages du cinéma de David Fincher, notre héros, Yohan, officier de la police judiciaire perfectionniste, va totalement se fondre dans cette quête de réponses, en une introspection qui va bouleverser sa vie d'homme. Epaulé par son collègue Marceau, cette affaire sordide lui fait prendre conscience des fléaux qui imprègnent notre société.
Ce film fut un triomphe aux César. Et il est enfin disponible sur Netflix ! Mais comment expliquer son retentissement, dont ses précieux sésames du Meilleur film et du meilleur réalisateur, mais aussi l'engouement du public qu'il a suscité ? C'est très simple en vérité.
Sa mise en ligne sur Netflix devrait sensibiliser toute une nouvelle partie des spectateurs aux grandes réflexions qu'il déploie.
Car La nuit du douze est la preuve qu'on peut faire du grand cinéma féministe populaire. Notamment connu pour son génial drame/thriller psychologique Harry, un ami qui vous veut du bien (également scénarisé par son binôme Gilles Marchand), Moll connaît bien le polar, dont il invoque tous les codes.
Pour mieux les bouleverser.
La plus grande démonstration de force de cette note d'intention, c'est cette séquence si marquante où Yoann interroge la meilleure amie de la victime. Nous voilà face à un passage obligé des thrillers et séries noires : interroger, récolter des indices, poser les questions qui fâchent, de manière distante et pointilleuse. Mais très vite, l'interrogatoire s'inverse, et l'inspecteur est bousculé. Celle qu'il questionne lui demande : pourquoi douter autant des attitudes et des actes de la victime ? Comme si celle-ci pouvait être aussi coupable que son meurtrier ? Dès lors, la domination s'inverse, et ce n'est plus du tout notre protagoniste qu'il faut écouter.
L'espace de ces quelques minutes, un simple interrogatoire devient une prise de parole féministe. Le grand sujet abordé ici, c'est le victim blaming : la manière dont la société banalise de manière plus ou moins frontale l'inversion victime/coupable, n'hésitant pas à conférer à une victime une réelle responsabilité. Ce que cela raconte entre les lignes, c'est la culpabilité qui pèse constamment sur les épaules des femmes.
Le film décline ce motif : très tôt, Marceau aborde la chasse aux sorcières qui fut l'argument superstitieux pour autoriser tant de meurtres de femmes. Ou comment adapter une enquête captivante aux grands enjeux de notre société post-#MeToo.
6 Césars viendront saluer l'initiative.
Il y en a peu des films aussi retentissants qui abordent la violence des hommes, la misogynie, la stigmatisation des victimes. D'ailleurs, même nos protagonistes masculins ne sont pas parfaits, loin de là, et ne seront jamais présentés comme tels. Il suffit d'observer le traitement du personnage (un brin toxique) de Marceau.
On a pu reprocher à ce film d'aborder, à travers la plume et le regard des mecs, les problématiques que visibilisent depuis tant d'années les femmes - militantes, artistes, féministes. Mais c'est précisément là le sujet de La nuit du douze : regarder "les hommes tomber", comme a pu l'écrire Jacques Audiard, et les laisser, surtout, questionner leurs propres responsabilités.