Supervisée par le journaliste Stéphane Deschamps (Les Inrockuptibles), l'exposition en ligne "Les petites histoires des chansons coquines" s'invite sur le site de la SACEM. L'idée ? Nous faire (re)découvrir "la petite musique de notre vie sentimentale et sexuelle" à travers un demi-siècle de hits et de petits perles plus méconnues. Au programme ? Slows sirupeux (Reality de Richard Sanderson, L'été indien de Joe Dassin), classiques de la chanson française (Charles Aznavour, Johnny Hallyday, Georges Brassens) et fulgurances kitsch (Lio, Guesch Patti, Ophélie Winter).
La playlist est aussi nostalgique que diversifiée : boums d'antan aux rythmes entêtants, variétoche au sous-texte incendiaire et rock électrisant. Mais d'un genre à l'autre, c'est toujours le sexe qui s'énonce, qu'il soit question de baisers volés ou de caresses intimes, de liaison interdite ou de fantasmes moites. Petit panorama en dix morceaux qu'on assume à fond (ou presque).
Moins hot que 37,2° le matin, ce 28 degrés à l'ombre a pour lui une team de choc, puisque c'est la machine à tubes (pour supermarchés) Didier Barbelivien qui pose là sa prose. Au menu, une ribambelles de clichés pour slows de l'été énoncés par un Jean-François Maurice apparemment possédé par l'esprit (et surtout l'intonation) du Alain Delon de Paroles, Paroles.
Aux choeurs angéliques s'ajoute une voix féminine ultra-janebirkinienne (tendance Je t'aime, moi non plus) et un doux parfum de farniente sexuel. "On est tout seul au monde / Tout est bleu, Tout est beau / Tu fermes un peu les yeux / Le soleil est si haut / Je caresse tes jambes / Mes mains brûle ta peau...".
Ce Banana Split là a fait couler beaucoup d'encre - et de glace. On a glosé à souhait sur le sens caché des fameux "baisers givrés sur les montagnes blanches" que décoche la lolita Lio - Wanda Ribeiro de Vasconcelos de son vrai nom - se régalant de son dessert phallique jusqu'à ce que "la chantilly [ne] s'écroule en avalanche".
La fausse insouciance de la chanteuse de 17 ans est celle d'une France Gall période Les sucettes (passage obligé de l'expo) et son irrévérence sucrée se retrouve chez de tout aussi insolentes héritières. Comme Alizée bien sûr, et son album Gourmandises ("Y'a les baisers volés / Dans les trains de tsarines / Les baisers d'un été / Où la main s'achemine / Mais les baisers d'Alizée / Sont de vraies gourmandises").
"J'aime regarder les filles qui marchent sur la plage / Le soleil sur leur peau qui jour à cache-cache". Que l'on y voit une ode aux mateurs (comprenez voyeurs) ou un éloge du désir - qui brûle comme la canicule - on ne peut le nier : la chanson de Patrick Coutin fait toujours son petit effet. La voix quasi plaintive de Coutin exprime avec une sorte d'érotisme las les pensées obscènes de ce protagoniste fasciné par les filles et "leur poitrine gonflée par le désir de vivre".
Un tube de l'été ovniesque à la perversité gorgée de poésie - telle cette déclaration d'amour au "parfum volage" des "ambres solaires" - et qui, nous rappelle l'exposition, fut enregistrée au château d'Hérouville, autrefois théâtre des amours cachés entre George Sand et Chopin.
Depuis que le chantre du punk londonien a dégommé les charts avec ce hit, "danser avec soi-même" est presque devenu la métaphore ultime de la masturbation. Sans avoir l'esprit mal tourné (à peine !), difficile de ne pas prêter de sulfureuses intentions à ces allusions caverneuses à la "love vibration" (sensation d'amour) qui ne peut éclater que lors d'une "lonely night" (une nuit solitaire).
L'irrésistible désir de se déhancher qui s'empare de nous à l'écoute de ce classique rock ne rend le tout que plus sexuel. Un hymne dépressif à l'amour en solo, servi par un chanteur tout de cuir vêtu, qui promène avec lui le style des années 80 et le souffre qui va avec.
"Homme parmi les hommes / Dans le noir ou l'ivoire / Recherchant les symptômes / D'orgasmes illusoires". Cette évocation par Serge Gainsbourg d'une aventure homosexuelle, tout droit sortie du sulfureux album Love on the beat, tangue entre l'obscène et le sensuel, des "nocturnes torrides" vécues par le protagoniste aux âmes esseulées "fébriles dans leurs angoisses" qu'il croise dans sa dérive. En pleine promo, l'artiste convoquait tout de même James Joyce et Henry de Montherlant pour expliquer ses paroles, excusez du peu.
Les insatiables pourront toujours satisfaire leur faim en sautant sur d'autres nids à métaphores estampillées Gainsbourg, de l'inénarrable Ouvre la bouche ferme les yeux (interprété avec panache par Régine) aux langoureuses et folles Variations sur Marilou ("Arrivée au pubis de son sexe corail / Écartant la corolle / Prise au bord du calice / De vertigo Alice / S'enfonce jusqu'à l'os / Au pays des malices / De Lewis Caroll").
Souchon, éternel amoureux de la variétoche spleenétique, s'encanaille ici avec une véritable ode aux délices BDSM. Un trésor de grivoiseries fétichistes dont les paroles valent bien mille discours : "J'veux du cuir, pas du peep show, du vécu / J'veux des gros seins, des gros culs".
L'occasion, comme il l'énonce avec ironie de "casser son image" en s'élançant de Sade à Suzy Q, chantant avec beaucoup d'humour son amour des jarretelles et bas résilles, des sexy dentelles et des talons aiguilles. Comme un clin d'oeil aux monstres de la chanson française qui, bien avant lui, ont conféré à la grivoiserie ses lettres de noblesse, du Fernande de Brassens au Don Juan de Nougaro.
"Étienne, Étienne, Étienne / Oh ! Tiens-le bien / Délassé, délaissé, enlacé, élancé...". Guesch Patti, c'est une voix atypique, tout sauf mainstream, et une chanson bien sûr, cet Etienne bousculé par le plus sauvage des corps à corps. Mais c'est aussi un clip (chemise ouverte) et une chorégraphie (à dos de chaise chevauchée). Le récit provoc' d'une femme fatale qui s'égosille ("Étienne, tiens-le bien !) le temps d'un show qui fait dangereusement monter la température, jusqu'au climax très "position de l'amazone"-friendly : "Reste allongé, je vais te rallumer".
Au final, un sacre pour la "Lucifer de la chanson française", précise Stéphane Deschamps, censuré sur quelques chaînes musicales mais n° 1 en France. Des années après, d'aucuns s'exercent à restaurer ce trouble érotique. C'est le cas de Chris, qui, au micro d'Augustin Trapenard, est venue nous offrir une convulsive reprise, tout aussi sexxx et possédée que l'originale.
"Contaminé le soir, j'me réveille pour crier / Après avoir rêver de totale nudité / Vapeurs humides, suaves et chaleureuses / D'expériences sadiques, de plaisir maléfique / De tétons mordillés, de cambrures et de volupté..." Doc Gynéco, en 1997, est à la fois l'incarnation du cool, d'un rap qui s'émancipe des cases ("Classez-moi dans la variét'", balançait-il) et d'une impertinence salace très "gauloise" que l'on dit héritée de Brassens. Avec un premier album vendu à plus d'un million d'exemplaires, le Doc consulte comme personne sa génération, entre torpeur des banlieues, péripéties d'Hélène (et les garçons) et formes fantasmées de Vanessa (Paradis).
Sa chanson éponyme est l'hymne des jeunes "branleurs" qui, écrasés par l'ennui dans leur chambre d'ado, se laissent aller à leurs songes lubriques. Romans S.A.S, strip-tease des pornos nocturnes et "beaux fessiers" des meufs de l'été : difficile de rêver meilleur résumé du Doc, ce personnage "romantique, polisson, obsédé sexuel et macho", dixit Stéphane Deschamps.
Tout le monde le fait, tout le monde le fait. D'accord, mais quoi ? Féru·e·s de sens caché s'abstenir, Ophélie Winter dévoile très vite la "chose" : "le plaisir solitaire demeure un péché / Cliché de facilité / Pourquoi s'en priver ?". Une belle manière de décomplexer ses fangirls en claquant le tabou de la masturbation à grands élans de RnB fougueux. La chanteuse ne cache d'ailleurs rien de ses (savoureuses) intentions puisque son album s'intitule carrément Explicit Lyrics.
Si au gré des couplets, Winter aime s'épancher sur "les mains vagabondes" que l'on fait balader sous ses jeans l'espace de "quelques secondes" (ce qui laisse quand même très peu de temps pour prendre le pied de l'année), le clip, lui, est un merveilleux condensé de torses musclés et de fesses qui s'agitent. Du bling bling cu-culte.
J'aime trop ton boule est la quintessence d'une époque où sexe et dérision copulaient sans ménagement. Yelle électrisait les foules avec Je veux te voir ("Je veux te voir / Dans un film pornographique / En action avec ta bite / Forme patatoes ou bien frites") tandis que les jeunes "jackass" de PZK s'époumonaient sur le très peu féministe Les filles adorent - "Les filles adorent être au top / De leur forme / Pour nous autres / Nous les hommes / Faire du sport / Baiser jusqu'aux aurores".
La base, c'est évidemment Fatal Bazooka, le groupe parodique de Michael Youn, et leur générationnel J'aime trop ton boule. Derrière l'humour potache de ce hit se creuse un discours plus fin qu'il n'y paraît sur la représentation du corps féminin au sein de l'imaginaire-rap. Mais puisqu'il fait trop chaud pour filer l'analyse, dites-vous qu'il est surtout question de baggy, de booty shake et de déclarations d'amour un brin fleur bleue. Du style "j'vais te démonter comme une tente de camping". Le sexe, c'est avant tout du romantisme.