De François-Régis Gaudry, les auditeurs d'On va déguster et les téléspectateurs de Très très bon ne connaissent généralement que la voix. Pour se soustraire aux attentions intéressées des restaurateurs, le journaliste gastronomique avance masqué. Mais c'est pour mieux aiguiser les papilles des foodies, toujours plus nombreux à suivre ses pérégrinations gustatives. Dans ses deux rendez-vous dominicaux, l'un sur France Inter, l'autre sur Paris Première, François-Régis Gaudry passe au grill les tendances culinaires et les nouvelles tables parisiennes, mais surtout partage sa passion pour les bons produits et la cuisine de qualité.
Terrafemina : Depuis 2010, vous animez chaque dimanche On va déguster sur France Inter, c'est un vrai succès d'audience. Pourquoi selon vous ?
François-Régis Gaudry : Quand on parle de gastronomie aujourd'hui à la radio et à la télévision, c'est toujours sous les mêmes prismes. D'abord à travers ce qu'on appelle la cuisine-réalité comme dans Top Chef ou Master Chef, où l'on est avant tout dans une approche compétitive avec un enjeu, un suspens, des gens qui pleurent. Or, on ne peut pas réduire la cuisine à une immense compétition. La cuisine, c'est surtout du plaisir, un art de vivre quotidien, le plaisir de se nourrir, de nourrir les autres. C'est un écueil qu'on voulait éviter. Et puis souvent, on a tendance à aborder la cuisine à travers la télévision et les documentaires dans un prisme très anxiogène, qui était peut-être aussi la marque de fabrique de l'émission qui nous précédait sur France Inter [Ça se bouffe pas, ça se mange animé par Jean-Pierre Coffe, ndlr]. Nous, on a voulu renouveler un peu le genre en proposant une émission de grande écoute le dimanche à 11 heures, presque une grand-messe sur l'actualité de la cuisine, mais où l'épicurisme, la convivialité, le partage sont la priorité.
TF : Qui sont les invités d'On va déguster ?
F.-R. G. : Des gens qui travaillent bien et que l'on respecte : des chefs, des experts, des historiens, des artisans de bouche, des éleveurs, des producteurs. Des gens qui ont une haute idée de leur métier et qui défendent à leur manière un terroir sans concession, sans céder aux sirènes de la facilité ou de l'industrie. On préfère montrer la cuisine de manière vivante et positive, en mettant en avant des talents qui font avancer le débat, qui tirent la gastronomie et le terroir vers le haut. On n'a pas envie d'inviter des représentants de l'industrie laitière pour les démolir en plateau.
TF : On va déguster est aussi désormais un livre. Comment est née cette idée ?
Je n'avais pas envie de faire un livre de recettes classique. Moi-même j'en reçois beaucoup en tant que journaliste gastronomique. J'avais envie de faire un peu plus que ça, de faire un ouvrage intelligent avec de la culture, qui soit à l'image de l'émission. On dit souvent que l'émission On va déguster c'est un tiers de recettes, un tiers de culture, un tiers de dégustation conviviale. Je voulais qu'on retrouve ces trois ingrédients dans le livre : pas seulement des recettes, mais un livre où l'on apprend des choses grâce aux notions historiques, en faisant des focus sur différents produits. La gastronomie, c'est plus que des recettes. Tout l'enjeu de ce livre était donc de décentrer la gastronomie de l'assiette. On a aussi voulu s'adapter à une époque portée sur le zapping et le picorage, en proposant une espèce de culture façon mezze. Ça a donné cette encyclopédie désordonnée et décalée, avec beaucoup de photos et d'illustrations, des portraits, des recettes et anecdotes historiques.
TF : Vous animez aussi chaque dimanche Très Très Bon sur Paris Première. Est-on dans la même démarche qu'avec On va déguster ?
F.-R. G. : Avec Très Très Bon, on est plutôt dans un exercice de critique gastronomique, que l'on fait collectivement avec Mina Soundiram et Elvira Masson. On pratique la critique de tables autrement que dans la presse écrite en passant sur le grill toutes les nouveautés et en considérant qu'on rend un service au téléspectateur. On paye nos additions, on réserve sous un faux nom, on a évidemment une déontologie et une méthodologie très strictes. Vous remarquerez que les adresses où l'on va, ce n'est pas pour le plaisir de pilonner, mais pour mettre justement en avant des talents. On met souvent des "bon", des "très bon". Parfois, la critique comporte quelques bémols, mais ce qui nous rend crédibles pour faire des compliments. On considère qu'à travers cette grille de lecture qu'on pose sur les nouveaux établissements, on encourage un fan club de gourmets et gourmettes à fréquenter des tables et découvrir de nouveaux talents.
TF : Très Très Bon existe depuis 5 ans et réalise chaque semaine les meilleures audiences de Paris Première. Comment imaginez-vous son avenir ?
F.-R. G. : On est actuellement en négociations avec la chaîne pour réfléchir à une évolution de l'émission, en gardant évidemment les fondamentaux qui font son succès, mais en lui ajoutant des rubriques différentes, peut-être avec des gens nouveaux pour incarner d'autres secteurs du métier auxquels on n'avait pas forcément pensé. L'an prochain, l'émission certainement augmentée de quelques minutes ou d'une ou deux rubriques en plus pour anticiper aussi un peu son renouveau.
TF : L'an dernier, vous aviez consacré un numéro spécial au jambon-beurre. Y a-t-il un nouveau long format de prévu ?
F.-R. G. : Oui ! Alors ça, c'est un scoop car on ne l'a pas du tout dit. Elvira Masson a fait un grand documentaire de 52 minutes qui va paraître au printemps et qui va s'appeler "Paris, le sacre du sucre". C'est un portrait de Paris comme capitale mondiale de la création pâtissière avec plein de nouveaux talents aux styles très différents et des éclairages historiques sur la façon dont Paris a gagné son statut de capitale pâtissière. C'est effectivement un format que Paris Première nous a demandé de développer à travers plusieurs sujets. On ne sait pas encore quel sera le prochain mais on a de très bonne idées, l'idée étant d'en réaliser un régulièrement.
TF : Dans son Guide 2016, le Fooding parle de la cuisine faubourgeoise pour qualifier le renouveau du paysage gastronomique parisien. Qu'en pensez-vous ?
F.-R. G. : Je suis assez ami avec le Fooding mais je ne suis pas totalement convaincu par cette expression. Ce que je constate en revanche, c'est que la gastronomie parisienne aujourd'hui est très intéressante, très dynamique, très effervescente parce que protéiforme, partant dans tous les sens et dans des registres très différents. Ce qui me fascine, c'est cette façon dont la gastronomie française peut se réinventer à travers des tendances assez différentes, complémentaires, parfois un peu contradictoires.
TF : Par exemple ?
F.-R. G. : Je pense par exemple au retour d'une ambition très française autour du grand restaurant. Il y a aujourd'hui des jeunes chefs qui reviennent à des classiques en alliant tradition gastronomique et vrai souci de créativité. Pour moi c'est un peu le syndrome Jean-François Piège avec son Grand Restaurant ou Christophe Pelé chez Clarence. Parallèlement, il y a aussi cette tendance de jeunes chefs dans des bistros plus décontractés, des tables sans nappe et un répertoire qui insiste sur les très bons produits, dans la veine de Septime, de Saturne ou du Chateaubriand. Et puis il y a les expériences tous azimuts. Je pense instantanément à Alexandre Giesbert qui se lance dans la pizza, dans la bistronomie et prépare une grande trattoria dans le quartier de la Bourse dont on va pas mal entendre parler en avril car elle met l'accent sur la cuisine italienne de très grande qualité. Il y a aussi du bistro pur et dur qui revient au goût du jour. Le virus de l'oeuf mayo et du poireau vinaigrette n'est pas totalement éradiqué. Il y a encore des gens qui ont envie de développer cette nostalgie de la nappe à carreaux avec des spécialités bistrotières pur jus comme chez Les Marches dans le XVIe où vous avez vraiment tous les grands tics du bistro, le foie de veau poêlé en persillade ou le rognon à la sauce crème et moutarde. C'est ça qui est intéressant : on est dans une période me semble-t-il de transition où finalement il n'y a pas un genre qui domine par rapport à un autre, mais au contraire une multitude d'offres. Et c'est ça à mon avis qui est le secret de l'énergie d'une ville.
TF : Quel est votre point de vue sur le palmarès du dernier Guide Michelin ?
F.-R. G. : Je respecte évidemment le Michelin dans la façon dont il a construit, structuré notre paysage gastronomique en poussant les chefs vers l'excellence. La gastronomie dans son rayonnement mondial au XXe siècle doit beaucoup à cette Bible rouge. Je pense simplement qu'aujourd'hui le Guide Michelin est dans une période d'errance et de doute. Il reste très sûr de son jugement et est un petit peu déconnecté de l'époque, de la gastronomie telle qu'elle vit aujourd'hui. Et le Michelin a peut-être perdu un peu sa façon de prendre le pouls de la gastronomie en négligeant certains genres, en en récompensant d'autres avec retard ou en laissant des chefs de côté alors qu'ils font pour moi le sel et le poivre de la gastronomie actuelle. Je pense par exemple à Alexandre Gauthier à la Grenouillère (à Montreuil-sur-Mer) que le Michelin a décidé de bouder ostensiblement. Le Guide prend un grand risque à ne pas reconnaître un talent fou, celui de passer pour une vieille dame acariâtre qui a un peu perdu la mémoire.
Mais je reconnais aussi au Michelin ses bonnes décisions et sa capacité à être le seul guide à avoir étendu un tel quadrillage de la gastronomie en France. J'aurais davantage aujourd'hui envie d'utiliser le Guide Michelin plutôt pour trouver la petite adresse de village où le critique gastronomique n'a pas forcément le temps et les moyens d'aller. Et là effectivement, le Guide Michelin a encore son utilité dans une boîte à gants.
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On va déguster, tous les dimanches à 11 heures sur France Inter
Très Très Bon, tous les dimanches à 12 heures sur Paris Première