Jessica Powell, qui se définit comme une "technophile technophobe", a un parcours brillant. Issue du monde de la technologie, elle a côtoyé les plus hautes sphères de la Silicon Valley. D'abord chez Badoo, célèbre application de rencontres, puis chez Google, en tant que vice-présidente et directrice de la communication.
En 2017, elle claque la porte du géant du net pour créer sa propre entreprise et rompt avec un monde où règne le patriarcat et où les salariés semblent convaincus qu'ils peuvent transformer et diriger le monde.
Univers très proche de celui qu'elle dépeint dans The Big Disruption, A Totally Fictional But Essentially True Silicon Valley Story" (La Grande disruption, une histoire totalement fictive mais essentiellement vraie de la Silicon Valley), son roman publié en octobre dernier sur la plateforme Medium.
On y suit les aventures de personnages hauts en couleurs, tous plus mégalomanes les uns que les autres. Tous des hommes... à l'exception de Jenny, dont la vision du féminisme se limite à séduire les hommes pour mieux les manipuler.
Bien que totalement fictive, l'intrigue de The Big Disruption, qui se déroule majoritairement à Anahata- société reine de la Silicon Valley- s'inspire directement de l'expérience professionnelle de Jessica Powell et dresse un portrait caustique de ces entreprises, en forçant le trait de ses employé·es, jusqu'à l'absurde.
Nous nous sommes entretenues avec cette autrice de talent, qui, en plus d'avoir le sens de l'observation et du détail, manie remarquablement l'art du suspense.
Jessica Powell : Mon roman s'intitule Une histoire totalement fictive mais essentiellement vraie de la Silicon Valley, donc même si rien dans l'histoire ne s'est réellement passé, c'est le reflet de la Silicon Valley : des petits détails aux grands problèmes autour du sexisme et des pensées monoculturelles. C'est-à-dire une poignée de gens - principalement des hommes - qui ont la même vision, la même expérience et prétendent savoir ce que veut le reste du monde.
J.P : Je ne voulais pas que le livre traite d'une entreprise en particulier, mais plutôt du secteur de la technologie en général, dans lequel les entreprises prétendent qu'elles construisent un avenir meilleur, alors qu'en fait nous causons beaucoup de dommages à notre société.
Cela dit, il y a des références au monde réel, depuis les interminables débats par courriel jusqu'aux plateformes de médias sociaux utilisées pour diffuser de la désinformation.
L'idée qu'un groupe de gars puisse essayer de concevoir une voiture auto-propulsée qui servirait aussi d'application de rencontres, sans se soucier de savoir si les femmes trouveraient cela un peu flippant a été définitivement inspirée par mon travail chez Badoo.
J.P : C'est bien sûr un peu exagéré, mais on voit sans cesse, que ce soit dans les start-ups ou dans les grandes entreprises, de grandes femmes talentueuses se faire court-circuiter ou ne pas être embauchées.
Les hommes parlent de ne pas "faire baisser le niveau", de "maintenir les normes" ou d'un "manque d'adaptation à la culture", mais c'est souvent un code pour ne pas juger les femmes de la même façon que les hommes.
Un homme plein d'assurance est considéré comme un leader, alors qu'une femme sûre d'elle est souvent décrite comme "autoritaire", "non coopérative" ou "difficile à travailler avec".
J.P : Son caractère n'est pas du tout féministe, quoi qu'elle en dise ! La seule chose que je savais clairement quand j'ai commencé ce roman, c'est que je ne voulais pas d'"une sauveuse". La technologie agit comme le sauveur de l'humanité et je voulais le contraste d'une entreprise qui prétend faire tout ce bien, alors que ses employés sont moralement douteux.
La dernière chose que je voulais, c'était une femme symbolique qui viendrait en tant qu'outsider et sauverait la mise. Si je veux avoir un homme méchant, je veux aussi avoir une femme méchante. Voici donc cette femme qui est tout aussi impitoyable que les autres, mais qui est aussi très intelligente et débrouillarde et qui s'avère plus talentueuse que n'importe laquelle d'entre elles. Et pourtant, à la fin, elle est évincée parce que c'est une femme.
J.P : Globalement, j'ai une expérience formidable chez Google. Mais j'ai connu le sexisme comme la plupart des femmes dans n'importe quel environnement de travail. Il s'agit d'hommes qui font des commentaires sur votre apparence, qui vous interrompent constamment dans les réunions ou encore qui s'attribuent le mérite de vos idées.
Ce genre de chose est vraiment difficile à combattre parce que je pense qu'à un certain niveau, en tant que femmes, nous nous y sommes habituées et nous avons certainement l'impression que ne nous pouvons pas nous en plaindre, de peur d'être étiquetée comme "cette femme" qui fait toute une histoire de ces choses.
J.P : Le sexisme demeure un grand problème. Les entreprises traitent peut-être un peu mieux le harcèlement sexuel qu'il y a cinq ans, mais il y a encore beaucoup de sexisme au quotidien qui rend la tâche difficile pour une femme qui travaille dans la technologie.
Par exemple, décider qui obtient une promotion ou qui est embauché·e - la plupart du temps, ces emplois sont occupés par des hommes, même lorsqu'il y a beaucoup de candidates qualifiées.
Le meilleur antidote au sexisme dans le domaine de la technologie est d'avoir plus de femmes aux postes de pouvoir, de contribuer à un environnement plus équilibré et de financer la prochaine génération pour les aider à créer leur propre entreprise.
J.P : J'ai travaillé dans une ONG en France et je pense que les associations ont leurs propres particularités structurelles et culturelles, ce qui rend difficile la comparaison avec la culture d'entreprise, et encore plus dans le secteur de la technologie.
Cela dit, je pense qu'on accorde beaucoup plus d'importance en France au fait de travailler un nombre d'heures raisonnable par semaine (contre 80 heures par semaine aux États-Unis). Un jour, mon patron m'a dit que je travaillais trop dur et que ce n'était pas bon pour le reste de l'équipe parce que je donnais du travail supplémentaire à tout le monde !
Et je pense aussi qu'en France, les femmes sont également confrontées à un énorme sexisme sur leur lieu de travail.
J.P : J'ai créé ma propre société de technologie en créant un logiciel pour les musiciens afin de leur permettre de partager et d'éditer facilement leur musique et de collaborer à distance.
J.P : Quand on a travaillé longtemps dans d'autres entreprises, on a appris à identifier les choses qu'on aime, mais aussi les choses qu'on souhaite pouvoir changer. Une fois que vous avez le contrôle, vous pouvez bâtir une entreprise à votre image.
J.P : Je pense qu'il faut envisager différentes choses selon son parcours de vie. Si vous êtes au début de la vingtaine et que vous avez peu de responsabilités au-delà de votre loyer, les risques sont beaucoup moins élevés que si vous êtes un peu plus âgé·e et avez des enfants ou un partenaire.
Dans mon cas, je n'ai pas créé d'entreprise avant mes 39 ans. Oui, j'ai trois enfants et beaucoup plus de choses à considérer que lorsque j'étais plus jeune, mais je suis aussi plus stable financièrement.
La première chose à faire est donc d'examiner vos finances et votre mode de vie et de déterminer le niveau de risque que vous êtes prêt à prendre, puis de déterminer à quoi ressemble votre plan en conséquence. J'ai vu des femmes à toutes les étapes de leur vie créer des entreprises, et je pense qu'il est très important que nous le fassions.
Les choses ne changeront jamais vraiment dans le déséquilibre de pouvoir entre les hommes et les femmes tant qu'il n'y aura pas plus de femmes à la tête des entreprises et des institutions.
Jessica Powell, The Big Disruption A Totally Fictional But Essentially True Silicon Valley Story, roman en anglais disponible en intégralité sur Medium.
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