Une femme se tenant à une barre de métro plantée au beau milieu d'un paysage hostile – une grotte, une forêt, les fonds sous-marins – avec, comme menace immédiate, une meute de loups, un ours ou un requin blanc.
Voici la nouvelle campagne contre le harcèlement dans les transports en commun est affichée dès aujourd'hui et jusqu'à la fin du mois dans les couloirs du métro parisien, sur les abribus de la capitale ou dans les gares de banlieue.
Dévoilée ce lundi 5 mars sous l'impulsion de Valérie Pécresse par la Région Île-de-France, Île-de-France Mobilités, la RATP et SNCF Transilien, cette nouvelle campagne de communication vise à sensibiliser les voyageurs et les voyageuses au fléau que constitue le harcèlement dans les transports en commun.
Car il s'agit bien d'un fléau. Selon un rapport du Haut Conseil à l'Égalité femmes-hommes (HCE/fh) datant d'avril 2015, 100% des utilisatrices des transports ont été victimes au moins une fois dans leur vie de harcèlement sexiste ou d'agressions sexuelles, qu'elles en soient conscientes ou non. Dans 50% des cas, les victimes de harcèlement dans les transports sont mineures. Dans les transports en commun, les femmes sont aussi les principales victimes d'injures et insultes, tout comme la majorité des victimes de violences sexuelles. Une autre enquête, plus récente et menée par l'Observatoire de la délinquance, estime qu'au moins 267 000 personnes ont été victimes d'atteintes sexuelles dans les transports en commun entre 2014 et 2015.
Il y a donc urgence à agir pour sensibiliser les utilisateurs des transports en commun et leur faire prendre conscience qu'une femme harcelée sous leurs yeux ne doit pas être laissée seule face à son agresseur et qu'il est de leur devoir moral d'intervenir ou de donner l'alerte auprès des autorités ferroviaires. D'où le slogan de la nouvelle campagne : "Ne minimisons jamais le harcèlement sexuel. Victimes ou témoins, donnez l'alerte !"
"Cette campagne a pour objectif de sensibiliser les voyageurs tout en leur rappelant les bons réflexes à adopter face au harcèlement. L'enjeu de cette campagne est également d'apporter des réponses concrètes en faisant connaître les outils de signalement du harcèlement comme les numéros d'alerte (3117 par téléphone, 31 17 7 par SMS et l'application 3117), les bornes d'appel ou bien encore inciter à prévenir les agents présents dans les transports publics", explique le communiqué de presse.
Or, pour les militant.e.s féministes, la campagne élaborée par la région Île-de-France rate clairement son objectif : montrer aux témoins d'agressions et de situations de harcèlement que les auteurs de ces violences ne sont pas des animaux prédateurs, mais des "messieurs tout-le-monde", de tous âges, de toutes origines et de toutes catégories sociales.
Sur Twitter, plusieurs internautes ont déploré le choix d'illustrer une campagne contre le harcèlement dans les transports au moyen d'animaux. À commencer par Valerio Motta, président du cabinet de conseil Nemo Claudit et ancien conseiller en communication de la secrétaire d'État chargée des Droits des femmes Pascale Boistard. Dans un long thread, il explique pourquoi il juge cette campagne problématique et peu pertinente pour sensibiliser les auteurs d'agressions.
Représenter les harceleurs et/ou agresseurs sous la forme d'animaux prédateurs renvoie aussi, note le compte de La Légiste, au fameux mythe de l'animalité des hommes, incapables de refréner leurs pulsions sexuelles.
D'autres journalistes et militantes, à l'image d'Anaïs Condomines de LCI, de la blogueuse Crêpe Georgette ou de la créatrice du tumblr Les mots tuent Sophie Gourion, soulignent le problème lié au fait d'assimiler les agresseurs à des ours, des requins ou des loups.
Pour Crêpe Georgette, le slogan même de la campagne n'est pas pertinent et peut même s'avérer dangereux : "Ne minimisons jamais le harcèlement sexuel. Victimes ou témoins, donnez l'alerte !"
Encore une fois, note-t-elle, se sont aux victimes elles-mêmes que revient le devoir de donner l'alerte, avec tous les dangers que cela peut représenter pour elles de s'opposer à leur agresseur. Cela induit aussi qu'une femme qui se fait harceler et qui ne réagit pas est en partie coupable de ce qui lui arrive.
Pour elle comme pour d'autres, la responsabilité incombe en premier lieu à la SNCF et à la RATP, ainsi qu'à la police, qui doit former ses agents, notamment à mieux recueillir la parole des victimes.
Interrogée ce matin pendant la conférence de présentation de la campagne, Valérie Pécresse a justifié le choix de représenter les harceleurs en animaux sauvages.
Comme le note Sophie Gourion, ce n'est pas la première fois que la RATP et la SNCF filent la métaphore animale pour dénoncer les comportements répréhensibles d'usagers de transports en commun.
Elle souligne aussi que même si la nouvelle campagne de la région Île-de-France n'est pas exempte de défauts, elle a le mérite de parler publiquement des violences quotidiennes que subissent des milliers d'usagères des transports en commun.
On revient d'ailleurs de loin. En 2011, la RATP n'avait même pas considéré le harcèlement sexuel "digne" d'apparaître dans sa campagne contre les incivilités.
La solution pour la faire de prochaine campagne contre le harcèlement transport une campagne efficace et pertinente ? C'est encore Sophie Gourion qui la livre : y associer les associations qui connaissent ces problématiques pour avoir longuement travaillé dessus.
On espère que la région Île-de-France, la SNCF et la RATP en prendront note pour leur future campagne de sensibilisation contre le harcèlement.