"Ça va bien se passer. C'est juste que la vie va changer. La lumière ne va pas partir en fumée. Parce que la nuit brille encore de la même clarté". La slammeuse anglaise Hollie McNish avait 26 ans lorsqu'elle a découvert qu'elle était enceinte. Sa première réaction n'a pas été de prévenir tout le monde, mais de commencer un journal intime.
Plus facile. Plus facile pour cette poétesse de se réfugier dans l'écriture depuis son havre de paix déniché dans un festival à Glastonbury. Trois jours de sursis avant l'annonce au futur papa. Hollie McNish se prend au jeu. Elle se met à écrire chaque jour de sa grossesse, puis après la naissance, jusqu'aux 3 ans de sa fille.
En 2016, elle accouche de Personne ne m'a dit : journal d'un nouveau parent, une oeuvre émouvante et originale qui compile tribulations de femme enceinte, puis de maman, entrecoupés de poèmes. Tantôt pour s'émouvoir de la joie de voir grandir sa fille ou de la beauté d'un paysage, tantôt pour coucher ses états d'âme sur le papier.
Loin des récits édulcorés et tout en rose qui chantent les louanges de la maternité, Hollie McNish dresse un portrait critique de la société dans laquelle elle vit et dénonce les nombreux tabous dont la femme est encore victime : masturbation pendant l'accouchement, allaitement en public...
On a rencontré cette slammeuse engagée, talentueuse et pleine d'allant.
Hollie McNish : Non, pas du tout ! J'écris depuis que j'ai 8 ans. Je ne sais pas trop pourquoi, mais j'ai toujours aimé tenir un journal. Adolescente, j'avais tout un journal de poèmes. J'écrivais souvent quand j'étais en colère : par exemple si je ne pouvais pas entrer en boîte de nuit, j'en faisais un poème.
Quand je suis tombée enceinte, il y avait beaucoup de choses que je ne comprenais pas et je me sentais coupable, alors j'ai écrit. Souvent pour clarifier mes pensées ou pour exprimer mes émotions quand j'étais triste ou fâchée.
H.M.N : Oui, exactement ! C'était stupide de paniquer à cause du sexe du bébé. Je me suis rendue compte après coup que ça n'avait vraiment aucune importance.
H.M.N : Quand j'ai appris que j'attendais un enfant, je terminais mes études d'économie. Donc oui, j'avais déjà conscience de ces choses. Ce qui m'a choquée en revanche, c'est tout le marketing que l'on fait autour de la maternité : toujours des couples mariés, des couples blancs, parfaitement habillés, avec plein de fleurs autour d'eux. Ce n'est pas la réalité. Cela fait penser aux gens qu'ils ne sont pas aussi bien que ces "familles parfaites".
H.M.N : Je crois que j'aurais aimé entendre que je n'avais rien fait de mauvais quand j'étais enceinte, car j'avais cette impression de tout faire de travers. Après, quand j'ai eu mon bébé, je ne me suis pas sentie appuyée dans l'espace public : j'ai essuyé des regards de reproche dans la rue parce que je marchais avec une poussette.
Quand j'allaitais en public, ce n'était pas accepté : même des personnes qui disaient être pour l'allaitement en public m'ont conseillé de le faire discrètement.
Personne ne m'a dit non plus qu'on saigne après l'accouchement. C'est peut-être évident, mais j'ai été surprise de voir du sang entre mes jambes. C'était effrayant car je ne savais pas. Personne ne m'avait prévenue. Dans les médias, on ne voit jamais de sang sur les bébés.
H.M.N : Parce que les seins ont une image sexuelle. On a ce gros problème en Angleterre, et j'imagine qu'en France aussi. Quelqu'un qui suce un téton alors que ce n'est pas un amant sexuel, ça met mal à l'aise.
Quand j'ai écrit mon poème "Les Seins", je me suis rendue compte que beaucoup de femmes ont essayé de m'encourager pour dire que oui, les seins sont pour les bébés, pas pour les hommes, car c'est naturel.
Mais je trouve que ça n'aide pas. Car pour moi, c'est pour les deux. C'est très distinct. Je ne veux pas d'autres enfants et je n'allaite plus depuis longtemps. Est-ce que cela signifie que mes seins ne servent plus à rien ? Je ne pense pas.
C'est le même principe avec les lèvres : je n'embrasse pas mon amant comme j'embrasse ma fille. Je rêve un jour de regarder une publicité avec une scène sexuelle sur laquelle on verrait une femme avec son amant mais qui serait aussi en train de donner le sein à son bébé !
H.M.N : Au bout d'un moment, j'ai fini par me sentir bizarre. J'avais l'impression d'être une vache. D'autres fois, je trouvais ça très beau. Mais ce qui me rend triste, c'est d'habiter dans un pays où on considère que l'allaitement n'est pas normal dans certaines circonstances.
Si une femme allaite pendant 5 ans, la majorité va se déchaîner sur les réseaux sociaux pour dire que c'est 'dégueulasse'. Je trouve incroyable que les gens fassent une histoire et se fâchent à cause de l'allaitement, quand il y a des meurtres chaque jour et des guerres dans le monde. C'est vraiment bizarre.
H.M.N : De parler. D'exprimer ce qu'elle ressent. En direct. Pas sur internet. Quand je fais des signatures je dis toujours aux mamans : "well done !" ("bien joué"). C'est vraiment ce qui m'a manqué en tant que maman. Un petit encouragement.
En Angleterre, le père est invité à trinquer pour fêter la naissance du bébé. Il sort avec ses amis pour boire. Mais il n'y a aucune tradition pour la mère.
H.M.N : Non, pas encore. Je crois qu'elle ne veut pas. Elle apprécie sûrement d'être dedans, et elle aime certains de mes poèmes, surtout ceux avec des gros mots. Elle m'accompagne une fois par semaine quand je fais des lectures, donc elle les connaît bien. Mais je crois que ça l'ennuie un peu (rires).
H.M.N : Oui, j'écris un livre sur une équipe féminine de football. En Angleterre, le football a été interdit pour les femmes jusqu'à la fin de la Première Guerre mondiale. Juste après l'interdiction, dans les années 20, des footballeuses sont allées en France pour jouer un match.
C'était leur première fois à Paris, la première fois qu'elles quittaient leur village. Je vais me concentrer sur leur histoire.
Oui. Ma fille aussi. Je vois dans l'école de ma fille que ce sport reste dédié aux garçons, même s'il y beaucoup de petites filles qui jouent aujourd'hui. On leur dit encore que c'est bizarre pour les filles de jouer au football. Sûrement parce que c'est encore très populaire : partout dans les magasins, on voit des garçons qui jouent au foot sur les affiches. Jamais des filles. C'est très différent dans les autres sports.
Quand je dis aux autres parents que je joue au foot, les pères rient : alors qu'eux-mêmes ne sont pas très sportifs. Parfois, quand je vais à l'école chercher ma fille je me dis : "les petites filles verront qu'il y a au moins une femme qui joue au foot !"'
Hollie McNish, Personne ne m'a dit : journal d'un nouveau parent, Editions Solar, 18,90 euros
Traduction : Fabienne Gondrand