Jean-Luc Godard est décédé à l'âge de 91 ans. Hormis des interviews fleuves, un goût pour la citation littéraire et picturale, une manière unique de mettre en scène Jean-Paul Belmondo, on retiendra de ce géant du cinéma, réalisateur de A bout de souffle et Pierrot le fou, un goût prononcé pour les muses - telle Anna Karina.
Or, alors que se propageaient notamment les notions de "regard masculin" et "regard féminin", sur lesquelles revient la critique du cinéma Iris Brey dans son ouvrage Le regard féminin, celui de Jean-Luc Godard - de regard - fut volontiers passé au crible. Et plus précisément, le point de vue qu'il pointe sur les actrices. En ce sens, l'un de ses classiques devint de plus en plus contesté au fil des années : Le Mépris avec Brigitte Bardot.
Mais pourquoi donc ?
A l'ère #MeToo, Le Mépris aurait-il mal vieilli ? Certaines voix le supposent. Notamment, en s'attardant sur l'une des séquences cultes du film. Celle où "BB" est allongée nue sur le ventre, détaillant au personnage de Michel Piccoli les parties diverses de son anatomie - "Tu les trouves jolies, mes fesses ?", interroge-t-elle notamment, avec désinvolture. Une leçon d'érotisme qui cache une réalité moins glamour.
Effectivement, cette séquence aurait été rajoutée à la demande du producteur américain du film, qui se serait exclamé à l'adresse de "JLG" : "Non, non, ça ne va pas ! Je veux voir le c... de Bardot !". Si le personnage incarné par l'actrice est resté dans les mémoires, cette vision du corps féminin en tant qu'objet fait aujourd'hui grincer des dents et on l'entend volontiers. Une anecdote dérangeante concernant ce film qui fut un phénomène lors de sa sortie en salles, interdit aux moins de 18 ans, et est depuis largement étudié dans les écoles de cinéma.
En outre, des voix féministes comme celle de l'avocate Elisa Rojas sont revenues sur la dimension sexiste de l'oeuvre. "Les deux personnages masculins sont deux connards violents et les deux personnages féminins, deux victimes qui se font traiter comme de la merde", cinglait l'activiste sur son blog. "A la 43e minute de film, Brigitte de retour dans l'appart' conjugal avec son mari se prend une torgnole. Est-ce que Brigitte prend une poêle Téfal pour l'assommer ? Non", observe encore l'autrice.
"Elle demande pardon à son mari, scénariste, d'être une dactylo de 28 ans avec qui il regrette de s'être marié. 10 minutes plus tard, alors qu'il vient de lui mettre une baffe, le mec demande le plus sérieusement du monde à sa femme : 'qu'est-ce que j'ai fait ? Pourquoi t'es de mauvaise humeur ?'. Ahahah. Quel génie du dialogue ce Godard !", poursuit la blogueuse. Pour Elisa Rojas, Le Mépris banaliserait ouvertement les violences domestiques.
"Le film porte bien son nom néanmoins. J'y ai bien vu le mépris de Godard pour les femmes, le mépris des cinéastes masculins pour les femmes, le mépris des hommes pour les femmes. Ce mépris auquel certaines femmes cherchent à échapper en choisissant de privilégier les productions culturelles féminines. Parce qu'en plus de nous faire vivre cette violence dans la réalité, ces hommes voudraient que l'on continue à se la coltiner indéfiniment via leurs productions répétitives sur ce thème", dénonce encore Elisa Rojas.
A l'unisson, le blog Indiependent juge le film "daté", fustigeant notamment "la misogynie" des personnages masculins. "Le Mépris est indissociable de son sexisme car c'est une composante essentielle de l'histoire. Paul et Camille ne peuvent pas se connecter car pour lui, elle n'est qu'un objet. Bardot est objectivée pendant la majeure partie de la durée du film, se fait gifler par son mari", dénonce encore le média.
En outre, Indiependent voit là "les ruminations de Godard sur son propre sexisme autodestructeur transféré sur celluloïd". Des critiques acerbes qui invitent le public à (re)découvrir l'oeuvre acclamée du cinéaste.