Elle a 14 romans à son actif, mais Jojo Moyes aura dû attendre la publication de son dixième ouvrage pour enfin connaître le succès. Sorti en 2012, Avant toi a fait l'effet d'une petite bombe dans le monde de la littérature romantique. Drôle et sensible, ce roman racontant l'histoire d'amour peu conventionnelle entre une jeune femme ordinaire et un jeune homme tétraplégique a transformé à jamais la vie de son auteure. Depuis, le roman est devenu un film (avec Emilia Clarke) et Jojo Moyes une star. De passage à Paris à l'occasion du Salon du livre, la pimpante britannique nous a accordé une interview. On a pu parler avec elle de son nouveau roman, Sous le même toit, l'histoire d'une violoniste endeuillée qui décide de quitter Londres et de s'installer dans une maison de famille délabrée avec ses enfants. Un livre doux-amer au parfum de campagne anglaise qui invite à repenser les notions de foyer et de famille. Et puis bien sûr, comment résister à l'envie de lui poser quelques questions sur le livre qui l'a rendue célèbre ?
Jojo Moyes : Quand j'écris un live, si le héros ne me passionne pas, je le laisse de côté complètement et je préfère l'oublier. Sincèrement, j'ai abandonné de nombreuses histoires parce que je ne les sentais pas. Mais Sous le même toit est un livre qui me parle encore car l'héroïne est à la fois une artiste et une mère. Elle est tiraillée par ses envies de création et par les besoins de ses enfants. Au début du livre, ce n'est pas une personne très sympathique. Mais pour moi, c'était important d'être honnête. Je connais beaucoup de femmes qui sont déchirées par ces sentiments. A la fin, elle réussit à rétablir l'équilibre, mais je connais beaucoup de musiciens qui sont comme elle, qui ont du mal à combiner leur art et leur vie de famille.
Jojo Moyes : Je peux vous le dire car je parle à un média français et non anglais (rires), mais j'ai été inspirée par une femme que je connais, qui est violoniste et qui est mariée à un violoniste. Ce sont des gens obsédés par la musique. Quand j'allais chez eux, je me retrouvais au milieu d'un véritable chaos. Il y avait des poules qui couraient partout, les enfants qui faisaient n'importe quoi... Voir ces parents tellement concentrés qu'ils en devenaient aveugles au reste du monde est une image qui m'a beaucoup marqué. L'autre chose qui m'a inspiré, c'est la rénovation de ma maison. Ce qui m'a frappé, c'est l'étrange relation qu'on se met à entretenir avec son constructeur. On se met à dépendre l'un de l'autre et on est obligé de faire confiance à quelqu'un qui a la main sur votre foyer. Quand on est une femme et qu'on n'a pas forcément les clés du processus de construction, on est vraiment dans une position de faiblesse. On confie au constructeur tout son monde et on a plus qu'à espérer que tout se passe bien.
J.M. : Je pense que la plupart des écrivains ont le sentiment d'être eux-mêmes des outsiders. Nous préférons observer plutôt que participer. Je ne sais pas si c'est parce que je suis fille unique ou si c'est parce que j'ai toujours été obsédée par les livres mais toute ma vie, je n'ai jamais fait partie d'une bande. Donc je suppose que ça explique pourquoi je suis attirée par les personnes solitaires plutôt que par les pom-pom girls. J'aime les personnalités qui sont toujours un peu à l'extérieur.
J.M. : Certains de mes livres ne se terminent pas en happy end, mais la plupart d'entre eux sont effectivement réconfortants. Il y a déjà tellement d'horreurs dans le monde et quand j'écris, je pense qu'inconsciemment j'essaie de réparer les choses. Mais parfois, il est juste impossible de changer les choses. La fin d'Avant toi le montre bien. La plupart du temps, je veux que les gens referment mes livres en se sentant apaisé, mais je mets toujours un point d'honneur à être honnête. Dans la vie, il y a du bon et du moins bon, et c'est quelque chose qui me tient à coeur quand j'écris.
J.M. : Je vais être honnête : je trouvais ça beaucoup plus frustrant quand je ne vendais pas des millions de livres (rires). Plus sérieusement, le plus beau compliment que j'ai reçu vient d'une journaliste du Guardian. Elle est très féroce, très intellectuelle, et elle me terrifie ! J'ai participé à une oeuvre de charité avec elle et elle m'a dit : "J'ai lu ton livre, Avant toi". Je ne savais même pas quoi répondre parce que je ne m'y attendais pas. Et elle m'a dit : "Je pense qu'avec ce livre tu as réussi à parler du suicide assisté mieux que je ne l'aurais jamais fait avec mes articles". Et ce sont des mots qui ont longtemps résonné en moi. Les romans écrits par des femmes sont sans arrêt enfermés dans des cases – chick lit, romance, etc. – mais ces livres traitent parfois de sujets très sérieux, comme la violence domestique ou le viol. Mais en enfermant ces livres dans des cases, on rend le travail des auteures moins important. On a toujours essayé d'amoindrir le travail et la voix des femmes donc ce n'est pas nouveau... la meilleure réponse reste de continuer à faire ce que vous faites et de transformer ça en succès.
J.M. : Totalement. Quand j'ai écrit Avant toi j'avais déjà publié huit livres et aucun n'avait été un best-seller. Mon éditeur avait perdu confiance en moi, c'était vraiment compliqué. J'ai écrit Avant toi en pensant que personne n'allait le lire. C'est un sujet difficile, la fin n'a rien de joyeux. C'est un livre assez étrange finalement. Il est à la fois drôle et très triste. Mais j'avais le sentiment qu'il fallait que j'écrive cette histoire. Et ça a fait un effet boule de neige. Il arrive parfois qu'un livre qui fonctionne dans un pays ne fonctionne pas sur un autre continent. Avant toi a contredit tout ça. Il a été traduit dans le monde entier et continue de se vendre. Ce roman m'a permis de faire découvrir mes autres livres aux lecteurs, et j'ai eu le sentiment que mon travail était enfin compris. Quand le succès met du temps à venir, vous finissez par vous dire que vous n'êtes pas assez bonne, que ce que vous écrivez n'intéresse personne. Ce roman a changé la donne. C'est tout ce qu'un auteur peut espérer finalement.
J.M. : En fait, c'est une histoire que j'ai entendu à la radio à propos d'un rugbyman. Il devait avoir 24 ou 25 ans et il était tétraplégique suite à un accident. Plusieurs années après le drame, il avait réussi à persuader ses parents de l'accompagner en Belgique dans un centre de suicide assisté. J'ai été très choquée par cette histoire. Je n'arrivais pas à comprendre comment un parent pouvait être d'accord avec ça. Donc j'ai commencé à lire pas mal de choses sur le sujet. Et plus je lisais, plus je me rendais compte que tout n'était pas tout noir ou tout blanc. Je me demandais ce que je ferais si j'étais à sa place, si j'étais à la place de sa mère ou à la place de la femme qui l'aime. Je n'arrivais pas à me sortir cette histoire de la tête, il fallait absolument que j'écrive là-dessus.
J.M : Je ne sais pas encore. Je n'ai pas encore eu le temps d'écrire le scénario car je travaillais sur d'autres projets. Je suis toujours en contact avec le studio mais si ça doit arriver ça ne sera pas cette année.
J.M. : Tout ce que je peux vous dire c'est que ce livre va suivre Lou à New York. Je ne peux vraiment pas en dire beaucoup plus car il m'arrive souvent d'écrire un livre entier et de décider d'un seul coup de changer la moitié de l'intrigue. Du coup, mieux vaut ne rien dire.
Sous le même toit, de Jojo Moyes, éditions Milady, 576 pages, 18,20€