Elle s'est avancée d'un pas assuré, dans un tailleur pantalon blanc éclatant, couleur emblématique des suffragettes. Sur le petit podium dressé sur le parking du Chase Center de Wilmington dans l'Etat du Delaware, devant les militants installés façon "drive-in" (distanciation sociale oblige), Kamala Harris est apparue ce samedi 7 novembre dans son nouveau costume : celui de vice-présidente élue des Etats-Unis.
Lors de son premier discours de victoire, émue, elle a rendu un hommage appuyé à ces "générations de femmes - femmes noires, asiatiques, blanches, latines, amérindiennes- qui tout au long de l'Histoire de notre pays ont ouvert la voie à ce moment ce soir". A cet instant, grave et solennel, elle mesurait l'importance de l'enjeu. Kamala Harris se sait figure empouvoirante, inspirante. Et elle le formule tel un mantra.
"Si je suis peut-être la première femme à occuper ce poste, je ne serai pas la dernière, car chaque petite fille qui regarde ce soir voit que c'est un pays de possibilités."
Car Kamala Harris est aujourd'hui, à 56 ans, l'une des femmes les plus puissantes du monde, faisant voler en éclat les innombrables plafonds de verre qui s'érigeaient au-dessus de sa tête.
Première femme vice-présidente. Première femme noire. Première femme d'origine asiatique.
Des "premières fois" que l'ancienne procureure et sénatrice, née d'une mère indienne et d'un père jamaïcain, a égrené tout au long de son brillant parcours. "A chaque élection où je me suis présentée, j'étais la première à gagner. Première personne de couleur. Première femme. A chaque fois", confiait-elle au New Yorker.
Parmi ses titres de pionnière : elle a été la première femme et la première personne de couleur à être nommée procureure du district de San Francisco en 2003 et procureure générale de Californie en 2010. Elle a également été la première personne d'origine sud-asiatique à être élue au Sénat et seulement la deuxième femme noire de l'Histoire en 2016.
C'est dire si son élection marque un tournant dans une nation profondément divisée, où le pyromane Donald Trump a fait flamber les tensions raciales. A l'instar du nouveau président Biden, présenté comme le futur "guérisseur" de ces plaies béantes ouvertes par quatre ans d'un mandat d'une violence inouïe, Kamala Harris promet de panser, rassurer, redonner de l'espoir à cette Amérique traumatisée. Et de représenter cette communauté afro-américaine, meurtrie par les violences policières, qui a largement contribué à l'élection du ticket démocrate (l'électorat noir a voté Biden/Harris à 87%).
"Kamala Harris n'est pas progressiste dans tous les domaines, mais lorsqu'elle énumère les noms des femmes et des hommes noirs tués par la police qui ont fait descendre des centaines de milliers de personnes dans la rue cette année, comme lors de son discours prononcé à la fin d'août contre la politique de Donald Trump, elle accepte de se charger de faire aboutir de toute urgence les revendications des Noirs", note ainsi le Los Angeles Times.
Dans un pays où les femmes racisées sont moins susceptibles d'être promues ou d'accéder à des postes de direction que hommes blancs et les femmes blanches (entre autres disciminations), Harris incarne la persévérance et la résilience, pulvérisant symboliquement un système d'oppression qui tend à reléguer les femmes- et les femmes de couleur en particulier-, en marge de la société. Fervente défenseuse du droit à l'avortement, promotrice de l'égalité salariale et soutien au "Green New Deal" de sa consoeur démocrate Alexandria Ocasio-Cortez, la voix de la vice-présidente pourrait peser sur les orientations du président centriste Biden. Et compter.
"C'est la première fois dans l'Histoire américaine que l'élection du vice-président est plus historique que l'élection du président", souligne Joel Goldstein, professeur de droit à l'université de St-Louis et spécialiste de la vice-présidence au Los Angeles Times.
Aux côtés du nouveau président élu Joe Biden, 77 ans, l'éloquente Kamala Harris personnifiera la modernité et la pugnacité. A l'image de ces images virales réjouissantes sur lesquelles on la voit danser et rire aux éclats. De ses Converse (déjà) iconiques et de son collier de perles très symbolique. Ou encore de cette vidéo Twitter déjà likée par plus de 3,3 millions de personnes sur laquelle elle apparaît en tenue de running, téléphonant à Joe Biden, quelques instants après l'annonce des résultats : "We did dit, Joe" ("Nous avons réussi, Joe").
Une image habilement maîtrisée pour un tandem d'une complémentarité subtilement calculée. Et surtout, un galop d'essai pour l'ambitieuse étoile montante du parti démocrate. Car personne ne s'y trompe : Kamala Harris se place d'ores et déjà en position de force pour l'élection présidentielle de 2024.
"Mon espoir est que nous allons littéralement suivre le chemin d'une femme noire pour devenir la première femme présidente de l'Histoire de notre pays", s'enthousiasme Glynda Carr, présidente de Higher Heights, association visant à encourager les femmes noires en politique.
Et là encore, Kamala Harris serait précurseuse : elle deviendrait non seulement la première présidente de l'Histoire des Etats-Unis, mais aussi la première présidente sans enfant, dans une nation où la cellule familiale tient un rôle prépondérant. En effet, elle offre une représentation puissante à ces femmes aux parcours encore trop souvent considérés comme "atypiques". Célibataire jusqu'à ses 49 ans, elle a épousé il y a six ans l'avocat Doug Emhoff (qui devient de fait le "First gentleman" de l'Histoire), père de deux enfants. Le couple forme aujourd'hui une famille recomposée modèle que la "Momala" (alternative affectueuse au "belle-mère" dont elle ne raffole pas) n'a pas manqué de faire monter sur scène lors de son premier discours officiel.
Pas de doute, ce samedi soir-là, dans son beau costume blanc, Kamala Harris a ouvert une nouvelle brèche : "Vous avez inauguré un nouveau jour pour l'Amérique."