Nadine Labaki : Mes films sont toujours inspirés de quelque chose de personnel. A l’époque où j’attendais mon premier enfant, c’était une période plutôt tranquille au Liban, et puis il y eu une nouvelle guerre de rue pendant quelques jours. Je voyais des voisins devenir tout à coup des ennemis et j’ai eu peur. J’ai pensé : « si mon fils était là, comment je l’empêcherais de se mêler de tout ça et de prendre une arme ? » De là est partie l’histoire d’un village et de femmes qui, face à l’absurdité, font tout pour écarter les hommes de la guerre. Au Liban il y a beaucoup de villages comme celui du film, où l’église et la mosquée se côtoient, nous avons notamment tourné à Taybeh, l’un de ces villages « mixtes », situé à environ 90km de Beyrouth.
N. L. : Je n’aurais certainement pas écrit le même film si mon instinct maternel ne s’était pas réveillé. Pour « Caramel », en 2007, je posais d’autres questions de femmes, mais je ne suis pas vraiment féministe. J’écris sur les femmes parce que c’est naturel pour moi et que j’estime qu’il est de ma responsabilité dans cette société de proposer une manière de changer les choses. « Comment, avec ma vision de femme et ma façon de penser, est-ce que je pourrais intervenir dans cette situation ? »
N. L. : Je crois que ça vient naturellement aussi. Nous avons appris très vite à rire de nos malheurs, cela fait partie de la personnalité libanaise, nous n’avions pas le choix. Je ne connais personne autour de moi qui n’ait pas vécu un drame et perdu un proche dans la guerre. L’instinct de survie nous incite au détournement, à rire de nous-mêmes. J’aime toucher les deux registres, le tragique et le comique, et exprimer les sensations fortes de ces extrêmes. Je sais que certains sont déstabilisés par cela dans mon film, mais c’est un défi que j’aime relever.
N. L. : C’est le résultat d’un processus intense et long. Beaucoup de personnes s’impliquent, vont dans les rues, à la rencontre les familles, filment les gens et cherchent à partir des descriptions que je leur ai faites. En écrivant, le personnage se dessine dans ma tête, c’est un caractère et un physique qui en général vont de pair. Ensuite je les rencontre, nous discutons, et si cela fonctionne j’essaie de les convaincre d’accepter de jouer… Je ne leur demande pas un rôle de composition, ce qui m’intéresse c’est leur personnalité dans la vie, le plus difficile étant de garder leur spontanéité tout en les structurant. Il y a parfois des moments précieux, où ils sont tout à fait dedans, ils y croient et ce n’est plus du jeu, cela m’aide à croire aussi à ce que je fais.
N. L. : En fait il s’agit peut-être d’une de mes faiblesses, mais de la même façon que je demande à tous mes comédiens, pros ou amateurs, d’être au plus près de leur personnalité, je joue quelqu'un de très proche de moi. Amale et Layale se ressemblent et me ressemblent : je suis une meneuse, volontaire, j’aime rassembler les gens et fédérer les actes.
N. L. : J’avais envie de toucher à ce genre de cinéma, j’aime la danse et les comédies musicales, et c’est une bonne façon d’exprimer la souffrance de ces femmes. La scène inaugurale les montre comme une armée qui marche dans la même douleur, et cet épisode chorégraphié me permet de raconter mon histoire comme un « conte ». D’ailleurs le film commence avec cette phrase « Cette histoire je vais la raconter à ceux qui veulent écouter… » Mon mari, Khaled Mouzanar, a composé les musiques, et c’est une amie, Tania Saleh, qui a écrit les paroles des chansons.
N. L. : Evidemment c’est très inspirant, et j’aime que mes films résonnent avec les questions du moment. Actuellement le Liban n’est pas le premier pays concerné, nous sommes plutôt occupés par le Tribunal Pénal International qui doit juger les assassins de l’ancien Premier ministre, Rafic Hariri. Mais cet espoir de changer les choses nous touche, et au plan artistique les choses bougent, c’est encourageant. Pour mon prochain film j’attends qu’une idée s’impose spontanément, je fonctionne toujours ainsi.
Crédit photos : Rudy Bou Chebel
« Et maintenant on va où ? », un film de Nadine Labaki, Sélection officielle du Festival de Cannes dans la catégorie « Un certain regard ». Sortie le 14 septembre 2011.
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