Le 28 novembre 2008 vit Bombay s’embraser, tombé entre les mains assassines de terroristes décidés à tuer quiconque ne penserait pas comme eux, et quiconque croiserait leur chemin ce soir-là. La veille pourtant, Michèle Fitoussi téléphonait à Loumia Amarsy de son hôtel à Pondichéry, toute excitée à l’idée de retrouver cette nouvelle « presque amie » récemment rencontrée autour d’un déjeuner qu’aucune d’elles n’aurait voulu clore, tant elles s’étaient reconnues l’une dans l’autre. Loumia avait proposé à Michèle de la rejoindre en Inde, et programmé une multitude d’activités qu’elles feraient ensemble, dans ce pays chargé d’histoire et de mystère. « Tu verras, l’Inde est un pays imprévisible », avait lâché Loumia dans un éclat de rire avant de raccrocher ce soi-là. Quelques heures plus tard, elle franchissait les portes de l’hôtel Oberoi où elle trouverait la mort.
Longtemps choquée par l’événement, cette amitié avortée, cette histoire inachevée, et son rôle dans ce scénario improbable, Michèle Fitoussi a des mois à se décider à écrire. « L’histoire de Loumia ne me quittait pas. Qu’est-ce que je venais y faire ? », s’interrogeait-elle alors, avant d’entamer une immense enquête de deux ans avec l’accord et l’aide de Shama, la sœur de Loumia. La Nuit de Bombay est un livre à part. Ni récit pur, ni fiction, thriller parfois, il se rapproche de ce que les américains appellent la « narrative non-fiction ». Et si le livre débute par l’enfance des sœurs Hiridjee parties de Madagascar pour tenter leur chance à Paris et connaître l’immense réussite que l’on sait, n’allez pas croire non plus qu’il s’agit d’une biographie. « Je ne suis pas hagiographe », rappelle l’auteure, qui comprend même que beaucoup de lecteurs aient consommé le livre comme un polar, tant le rythme y devient haletant, porté par une écriture nerveuse, rapide, ralentissant parfois à mesure que se rapproche l’inéluctable dénouement.
« Tous ces personnages sont éminemment romanesques », admet-elle. Son héroïne, bien sûr, mais les terroristes aussi, qui cheminent vers ce point de rencontre qui verra les destinées du couple Amarsy et la leur se croiser. Sur ces hommes qui semèrent la mort (les attentats de Bombay firent 166 morts et 300 blessés), aveuglés par un endoctrinement plus que jamais d’actualité près de six ans après, Michèle Fitoussi, bien que « fascinée » par ses découvertes, a souhaité porter un regard froid. « Je ne voulais pas être en empathie avec eux. Ca m’intéressait de savoir ce qui les avait fait bouger, pourquoi, comment » mais pas de donner corps à une potentielle humanité en eux. « S’ils ont peur, s’ils tremblent, cela ne m’intéresse pas. Ils ne m’intéressent pas. »
Au contraire, par son récit, l’auteure a cherché à les combattre avec ses armes à elle. « Contre cette violence, il y a les mots. (…) L’histoire de Loumia est symbolique. Ca n’est pas une victime. Elle a vécu, elle était moteur, dynamique. » Avec ce libre, Michèle Fitoussi a cherché à redonner vie à cette femme au destin exceptionnel contre ceux qui, justement, « cherchent à faire taire les femmes et la féminité ». Joueuse de poker, ancienne fumeuse invétérée, virevoltante, fatigante, inspirante, Loumia Amarsy était tout ce que ces hommes détestaient. Avec sa sœur, elles étaient deux petites musulmanes indiennes, pudiques, inexpérimentées parvenues à fonder l’une des plus grosses entreprise de lingerie dans un monde de l’entreprenariat encore très frileux à l’idée d’accueillir des femmes en son sein. Sans parler du milieu de la lingerie qui vit d’un très mauvais œil l’arrivée de ces deux douces dingues persuadées que lorsqu’on veut, on peut.
La Nuit de Bombay est un polar passionnant, certes, mais c’est aussi un message fort d’espoir et de courage envoyé aux femmes autant qu’un bras d’honneur adressé à ceux qui veulent les faire taire. A lire en suivant la piste que chacun aura choisies.