Les dernières années n’ont pas été folichonnes en ce qui concerne le droit à l’interruption volontaire de grossesse. Au Texas, les cliniques IVG ferment les unes après les autres, tandis qu’en Espagne, un projet de loi anti-avortement a enflammé le pays avant d’être finalement enterré. Quant à la France, alors que la loi Veil fête ses 40 ans (17 janvier 2015), le sujet reste sensible. Depuis 2002, 180 centres IVG ont fermé leurs portes, et l’année dernière, on a même vu des opposants à l’avortement descendre dans les rues pour manifester suite à la suppression des termes « situation de détresse » dans la loi. Mais ce sursaut réactionnaire est-il vraiment surprenant ? Car en réalité, l’avortement reste un sujet tabou, dont on a honte. La plupart des femmes qui y ont eu recours n’en parlent même pas à leurs proches. Partant de là, difficile de faire accepter au plus grand nombre la normalité de cette procédure.
Pis, à l’heure où bingewatcher des séries n’a jamais été aussi tendance, on se rend compte que la pop culture est loin d’être progressiste dans le domaine. Mais en abordant le sujet d’un point de vue pro-life, films et shows télé ne tendent-ils pas à culpabiliser les femmes tout en donnant une vision totalement erronée de l’avortement à des millions de personnes ? Une recherche menée par la sociologue américaine Gretchen Sisson apporte un début de réponse. Selon l’étude, la représentation de l’avortement dans la pop culture influence le regard que l’on porte dessus. Malheureusement, la sociologue s’est également rendu compte que sur 310 longs-métrages et séries traitant du sujet, 9% des femmes qui choisissaient d’avoir recours à l’IVG finissaient par mourir. Interrogée par Slate, elle explique très clairement : « Le lien entre l’avortement et la mort est toujours très présent dans la tête du public. Cette façon de présenter la chose crée un mythe social où l’avortement semble être plus dangereux qu’il ne l’est vraiment ».
Bien que l’avortement soit encore et toujours délicat aux Etats-Unis, Hollywood semble pourtant obsédé par la chose. Les séries qui ont établi des intrigues autour d’une grossesse non-désirée sont extrêmement nombreuses : Sex and the City, Desperate Housewives, Glee, Melrose Place, Weeds, Newport Beach et beaucoup d’autres encore. Dans la plupart des cas, la question de l’avortement est à peine effleurée et l’héroïne finit par garder le bébé – ou le perdre, comme dans Girls, une série pourtant résolument progressiste. Comme l’expliquait Monica Michlin, maître de conférences à Paris-Sorbonne aux Inrocks en 2012, les gros networks ne peuvent tout simplement pas se permettre de froisser les annonceurs : « Il faut parler de sujets soft, qui ne divisent pas ».
Certaines séries néanmoins ont choisi d’aller jusqu’au bout même si le résultat n’est pas toujours aussi libéral qu’il n’y paraît. Dans Six Feet Under, le chef d’œuvre de HBO, la jeune Claire avorte mais rêve ensuite d’enfants morts. Dans l'excellente Friday Night Lights, une adolescente a recours à une IVG après s’être vu proposer plusieurs options par sa proviseure. Si elle n’est pas inquiétée, celle qui l’a aidée se retrouve acculée par les parents d’élèves et finit par démissionner de son poste.
Pour la journaliste Charlotte Lazimi, également auteure du livre Toutes les femmes ne viennent pas de Vénus, la pop culture se doit d’être précurseuse et dans ce cas précis, elle ne remplit pas son contrat : « Dans les séries télé, il y a une vague très conservatrice. Je pense à ‘La vie secrète d’une ado ordinaire’ avec Shailene Woodley qui est un peu la nouvelle star des teens. On la voit tomber enceinte à 15 ans, et la question de l’avortement est à peine évoquée dans les premiers épisodes. Je pense qu’il y a trop de films et de séries aux Etats-Unis comme ailleurs, où l’avortement n’est même pas considéré comme une hypothèse. C’est là que ça devient dangereux, parce qu’on est très loin de là où on devrait être. Dans ma génération, il y a des femmes autour de moi qui se sont fait avorter et ça reste un tabou, un secret. Je pense que la pop culture devrait être en avance, mais là pour le coup elle est plutôt en retard ».
Le cadeau « Obvious Child »
Sur grand écran aussi, il y a énormément de progrès à faire estime la journaliste : « Il y a des films assez branchés, comme 'Juno', où l’avortement est envisagé mais où il n’y a jamais de passage à l’acte. Dans 'En cloque, mode d’emploi', de Judd Appatow – qui représente pourtant à lui tout seul un mouvement de la pop culture - on voit une nana qui couche avec un loser qu’elle connaît à peine, et du coup on ne comprend pas pourquoi elle a le bébé. La question de l’avortement ne se pose même pas. Et malheureusement, je pense qu’en France on est très influencés par la culture américaine où l’avortement fait vraiment débat. Donc ce serait bien que le sujet soit traité à plus grande échelle ».
Mais à une époque où les scénaristes s’emmêlent encore les pinceaux dès qu’un embryon non désiré pointe le bout de son nez, un film a pourtant récemment réussi à tirer son épingle du jeu : Obvious Child, sorti en septembre dernier. Réalisée par Gillian Robespierre, cette comédie romantique estampillée film indépendant, raconte en toute simplicité comment une jeune femme (la superbe Jenny Slate) tombe enceinte après un coup d’un soir. Si elle se laisse peu à peu charmer par celui qui l’a mise dans son lit, elle choisit de ne pas garder le bébé, et leur relation peut alors vraiment commencer. Le message du film est clair : l’avortement est un choix valide, personnel et complexe qui se doit de l’être au cinéma comme dans la vie. Interrogée par le New York Times, la réalisatrice confie :
« On savait que l’intrigue ne devait pas être : ‘Va-t-elle le faire ou non ?’ J’ai déjà vu ce genre de films où l’héroïne se torture (…). Mais pour elle, la décision n’est pas difficile à prendre, même si c’est un cap difficile à passer. Après avoir vu le film, certaines femmes me disent : ‘Merci. Je me sentais coupable de ne pas me sentir coupable’ ».
Obvious Child et Grey’s Anatomy, même combat
Si Obvious Chilld innove, il reste beaucoup de travail à faire pour que la pop culture se décide enfin à traiter l’avortement comme une expérience normale et non pas traumatisante. Récemment, la très belle série Transparent (auréolée récemment de deux Golden Globes) a fait ce choix-là, nous rappelant ainsi un épisode de Grey’s Anatomy datant de 2008 dans lequel Cristina Yang avait recours à une IVG tout simplement parce que la maternité ne l’intéressait pas. De ce côté-ci de l’Atlantique, c’est finalement vers Plus belle la vie qu’il faut se tourner pour apercevoir des intrigues autour de l’avortement. Mais la série relevant plus du soap opera qu’autre chose, difficile de la prendre au sérieux et donc de se projeter.
Alors à quand plus de séries et de films au discours déculpabilisant ? Quarante ans après les promulgations des lois Veil en France et Roe v. Wade aux Etats-Unis, on se dit qu’il y a encore beaucoup de boulot. Mais si un petit film comme Obvious Child et une série grand public comme Grey’s Anatomy ne peuvent pas transformer notre société en un claquement de doigts, ils y contribuent avec grâce. Peut-être même qu’ils sont en train d’ouvrir la voie à d’autres histoires traitées à plus grande échelle. Une pierre après l’autre.