Le « Bad buzz » : pour ceux qui ne connaissent pas encore ce néologisme, désigne un mauvais buzz, ou l’art de déchaîner les foudres du web sur une cible définie. A ce titre, l’affaire Cora est devenue un cas d’école. Près de 48 heures ont suffi pour enflammer le Net, sans coordination préalable ni épicentre.
C’est un article publié dans l’Express.fr qui déclenche la machine le 26 octobre dernier. L’histoire de cette caissière des supermarchés Cora, « Menacée de licenciement pour un ticket de caisse ramassé », provoque des réactions en chaîne et une vague de commentaires violents sur la page Facebook de la marque. Sur Twitter, le hashatg #Cora figure en tête des topics, et les indignés s’apaisent à peine le lendemain, quand l’enseigne publie son mea culpa sur Facebook. Le web gagne, la salariée est réintégrée, et Cora s’en tire avec une e-réputation gravée dans les annales de Google. Cette mobilisation éclair n’est pas un cas isolé, et reflète le pouvoir fédérateur du Net, pourvoyeur de nouveaux outils pour défendre, plaider, dénoncer, aider, critiquer, et agir. Pour sa 9ème vague, l’Observatoire Orange-Terrafemina se penche sur la mobilisation numérique et les nouveaux visages de l’engagement citoyen, et révèle ainsi que les trois quarts des internautes français (74%)* ont déjà effectué une action de mobilisation numérique comme signer une pétition en ligne, faire un don électronique ou diffuser un appel à se mobiliser pour une cause via les réseaux sociaux. Que valent ces gestes sur la Toile ? Nouvelle culture militante, contre-culture ou culte du buzz ?
*D’après un sondage CSA réalisé dans le cadre de l’observatoire Orange-Terrafemina sur les révolutions numériques, effectué en ligne les 16 et 17 novembre sur un échantillon représentatif de la population française.
Une nouvelle culture militante
D’après l’enquête CSA réalisée pour l’observatoire Orange-Terrafemina, 55% des internautes français pensent que les outils numériques facilitent la mobilisation des citoyens pour une cause humanitaire, caritative ou associative, et les deux tiers ont déjà signé une pétition en ligne. Pour aider le Sidaction, la Somalie, soutenir un parti politique ou une association locale, la facilité d’accès via les moteurs de recherches et les groupes d’intérêts sur les forums, blogs et réseaux, sont les moteurs logiques d’une mobilisation plus grande, à quoi s’ajoute la possibilité de toucher de nouvelles cibles. « Le fait de trouver sur la Toile des personnes qui partagent vos opinions vous renforce dans vos convictions et vous encourage à les défendre sur la place publique », analyse Alban Martin, cofondateur du Social Media Club. Un mécanisme à l’œuvre dans le mouvement « Occupy Wall Street », parti de New York et relayé dans plusieurs capitales mondiales, comme l’explique Christophe Aguiton, chercheur en sciences sociales : « L’engagement traditionnel, syndical ou politique, reposait sur des structures hiérarchisées et pérennes. Internet s’est construit différemment, avec pour ADN l’expression de l’individu en tant que personne. Dans les mobilisations contemporaines comme le mouvement Occupy Wall Street ou les Indignés, c’est d’abord la personne qui s'exprime et s'engage. » C’est en effet la génération PC qui se montre massivement convaincue du pouvoir des outils numériques : les hommes âgés entre 18 et 34 ans précisément, à l’aise avec l’informatique, tout comme les CSP +. Mais ces militants du clavier sont-ils au rendez-vous lorsqu’il s’agit de passer à l’action ?
La réalité du terrain
Si 19% des sondés, soit un internaute sur cinq, déclarent avoir déjà participé à une mobilisation organisée sur les réseaux sociaux, en relayant des messages sur un wall ou un fil Twitter par exemple, les acteurs comme Julien Bayou, cofondateur des collectifs Génération précaire et Jeudi noir, ne se font pas d’illusion quant au taux de mobilisation physique grâce au net : « le temps de l’indignation est un temps pour manifester de l’empathie avec une cause humaine qui touche à la morale. Ensuite c’est à nous, structures organisées, de transformer cet éclair en engagement prolongé ». C’est une « forme hybride de l’engagement », qui serait née grâce à Internet et aux réseaux sociaux, selon Alban Martin, « plus superficielle, et souvent décevante quand il s’agit de passer au concret ». Ce dernier attribue cette volatilité à l’outil lui-même : on peut soutenir une cause sur Facebook en un clic, sur une page qui accroche le chaland avec des airs de pétition : « C’est un problème d’émotion. Sur le coup de l’émotion, on peut cliquer vite sans réfléchir », déclare un membre du groupe focus réalisé par l’institut Treize Articles dans le cadre de l’observatoire Orange-Terrafemina. « On suit le buzz et on signe les pétitions à la mode » déclare un autre. Cette indolence presque coupable du net n’empêche pourtant pas les citoyens engagés en dehors d’Internet de plébisciter les outils numériques, en tant que complément des actions concrètes : 48% des bénévoles de plusieurs associations estiment que la façon la plus efficace de faire avancer une cause est d’être présent sur le terrain (démarchage, visites, porte-à-porte,…).
Du contre-pouvoir à l’avènement d’une e-démocratie
C’est principalement sur les enjeux polémiques et politiques que les nouveaux moyens de communication et Internet font la différence. Une grande part des internautes considère en effet que les outils numériques facilitent la mobilisation : contre une entreprise (57%), pour la protection de l’environnement (54%) ou pour débattre d’enjeux locaux (48%). L’affaire de la caissière licenciée chez Cora, ou la campagne vidéo de Greenpeace en 2007 contre les composants toxiques de l’iPhone d’Apple, témoignent de l’efficacité du web face aux marques, si prestigieuses soient-elles… « Les clients peuvent prendre un pouvoir nouveau, et mobiliser les réseaux sociaux pour ternir l’image de l’entreprise sur la Toile, faire retirer un produit, critiquer les modes de production ou demander la réintégration d’un salarié. » Le web s’imposerait donc comme « le lieu d’exercice privilégié des contre-pouvoirs face aux sociétés privées, personnalités politiques et médias traditionnels », nous dit Julien Bayou. Encore faut-il savoir se rendre visible et attirer les foules virtuelles, c’est alors la bataille de l’attention qu’il s’agit de gagner, comme le souligne Christophe Aguiton : « Sur Internet, la chose politique ne cesse d’être mise en concurrence avec des messages plus attractifs et plus légers ». Traduction : pour éviter l’abstention et le désengagement numérique, et espérer donner naissance à une véritable e-démocratie, les ONG, les militants associatifs et politiques devront aussi se convertir au marketing agressif du web 2.0.
Les résultats complets de l'Observatoire Orange-Terrafemina sur la mobilisation numérique
L’étude qualitative par l’Institut Treize articles WebLab
Mobilisation numérique : « S'indigner c'est bien, s'engager c'est mieux »
Mobilisation numérique : « une forme hybride de l'engagement »
Mobilisation numérique : « une nouvelle culture militante ? »
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