Culture
Nathalie Álvarez Mesen : "Normalisons les histoires de femmes qui n'ont pas la vingtaine"
Publié le 14 décembre 2021 à 15:50
Par Catherine Rochon | Rédactrice en chef
Rédactrice en chef de Terrafemina depuis fin 2014, Catherine Rochon scrute constructions et déconstructions d’un monde post-#MeToo et tend son dictaphone aux voix inspirantes d’une époque mouvante.
La réalisatrice Nathalie Álvarez Mesen a une obsession : comment éviter de reproduire les clichés patriarcaux ? Dans son très beau premier film "Clara Sola", elle raconte l'émancipation d'une quarantenaire costaricaine en prise avec les traditions. Et s'attache à pulvériser les codes édictés par les mecs. A l'occasion des Arcs Film Festival 2021 où son film est présenté, elle nous livre sa vision engagée.
Bande-annonce de "Clara Sola", un film de Nathalie Álvarez Mesen
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Alors que l'année 2021 s'apprête à tirer sa révérence, l'agenda de la réalisatrice costaricienne-suédoise Nathalie Álvarez Mesen est plein à craquer. Sélectionnée dans la catégorie "Hauteur" aux Arcs Film Festival 2021 (qui se déroule du 11 au 18 décembre), elle est aux Etats-Unis pour faire campagne pour les Oscars. Son premier film, Clara Sola, déjà repéré à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes, fait mouche. En explorant l'éveil à a sexualité et la spiritualité d'une quarantenaire recluse dans un village du Costa Rica, la cinéaste signe un coming of age poétique, imprégné de "réalisme magique", comme elle se plaît à le définir elle-même. Et pose les jalons de débuts diablement prometteurs.

Nous avons échangé par mail avec Nathalie Álvarez Mesen sur la place des réalisatrices dans cette industrie post-#MeToo, de "female gaze" et d'histoires à réinventer.

Terrafemina : Comment avez-vous vécu ces deux années bousculées par le Covid ?

Nathalie Álvarez Mesen : J'ai réalisé à quel point j'avais besoin des êtres chers. J'ai aussi chéri le temps passé seule. Ma rage et ma tristesse face à la crise climatique ont augmenté. Le sentiment de communauté s'est développé dans plusieurs cercles, même à distance. Le rythme de la vie s'est ralenti et j'ai noué des liens profonds avec de nouveaux et d'anciens amis grâce à cela.

Si vous deviez les qualifier en un mot ?

N.A.M : Introspection.

Votre film aborde le réveil social et sexuel d'une femme de 40 ans. Pourquoi avoir choisi ce sujet ?

N.A.M : L'âge de Clara n'a finalement pas vraiment d'importance. C'est une femme qui a été élevée d'une manière qui l'oblige à admirer la "pureté" inaccessible de la vierge Marie. Et cette tradition la pousse à avoir honte de son désir sexuel naturel et à considérer le plaisir comme un péché.

Le film se déroule dans une maison matriarcale qui reproduit encore les normes patriarcales. Moi aussi, j'ai grandi entourée de femmes qui ont fait de leur mieux pour éduquer la prochaine génération, mais qui ont inévitablement continué à reproduire leur héritage patriarcal... C'est un héritage qui est enraciné en nous. On nous inculque à avoir honte de nos règles, de nos poils, de la masturbation, de dire "non".

Cette société nous encourage à tout donner aux autres, sans rien garder pour nous. Mais cette Clara n'est pas une martyre : elle est obstinée, n'a pas honte de son corps, n'a aucune envie de plaire aux autres - en fait, elle est plus en phase avec les insectes et les plantes qu'avec les humains - et elle a un rythme et un langage différents. Alors comment peut-elle continuer à exister dans ce monde ?

Choisir une femme qui a la quarantaine comme personnage principal, est-ce un choix politique dans ce cinéma frappé par le fléau de l'âgisme ?

N.A.M : Ce qui peut être politique, c'est le fait que nous ayons ouvert le casting à un large éventail d'âges. Dans le script, le personnage avait 10 ans de moins, mais lorsque l'actrice Wendy Chinchilla est arrivée, nous avons immédiatement su que ce devait être elle, alors nous avons changé le scénario. Et nous avons découvert que cela le rendait tellement plus riche. Pour moi, il s'agissait surtout de trouver la bonne personne pour incarner l'histoire. Et c'était elle.

Mais il y a quelque chose de politique à rejoindre un projet comme celui-ci, à acheter un film comme celui-ci pour le distribuer, à acheter un billet pour aller le voir. Je suis incroyablement fière et reconnaissante que tant de distributeurs se soient joints à nous : c'est un pas vers la normalisation des histoires de personnages féminins qui n'ont pas la vingtaine. Et j'adore que les spectateurs remarquent que c'est un récit d'émancipation : nous pouvons avoir besoin de changement quel que soit l'âge.

La réalisatrice Nathalie Álvarez Mesen © Esteban Chinchilla
A quelles formes de sexisme avez-vous été confrontée dans l'industrie cinématographique ?

N.A.M : Je ne m'attends pas à obtenir tous les emplois que je veux simplement parce que je suis une femme. J'ai d'ailleurs parfois présenté des projets qui n'étaient pas prêts ou assez solides. Mais s'ils l'étaient et qu'on me les refusait sous prétexte que je suis une femme, comment le saurais-je ?

Cela dit, une fois, j'ai reçu des commentaires sur les raisons pour lesquelles on m'a refusé le financement : on m'a parlé des éléments "faibles" du film en termes d'attrait pour le public ou quelque chose comme ça. Et comme par hasard, la plupart des rôles principaux de ce projet sont des femmes, le personnage principal est considéré comme neurodivergent et l'intrigue se passe dans une zone rurale...

Les femmes travaillant dans d'autres départements, comme la caméra, pourraient avoir un contact plus direct avec les comportements sexistes. Par exemple, on a déjà dit à une amie : "Je ne peux pas travailler avec toi parce que tu es une femme et les femmes ont peur de se salir". Donc, il y a toujours ce bon vieux sexisme qu'on te jette directement au visage.

Comment booster la représentation des femmes devant et derrière la caméra ?

N.A.M : Là où nous en sommes maintenant, je pense que des fonds et des efforts supplémentaires devraient être dirigés vers les femmes et les communautés sous-représentées dans l'industrie. Tout commence par l'éducation - en s'assurant que l'éducation au cinéma ou au théâtre soit disponible et accessible - en reconnaissant que l'égalité et l'équité sont importantes. Elle se poursuit par la création d'opportunités d'emploi et plus tard par le financement de divers projets.

Tout est question de qualité. Si un script n'est pas assez bon, il ne devrait pas être fait, même si c'est une femme derrière. Mais nous devons ouvrir la porte d'entrée aux personnes talentueuses exclues depuis si longtemps. Lorsque le sommet de cette pyramide commencera à être plus diversifié, la qualité augmentera indéniablement car nous obtiendrons plus de perspectives. Et quoi de plus intéressant que cela ? Et puis chaque jeune conteur ou conteuse en herbe pourra trouver des modèles.

Ensuite, il y a le fait que c'est une pyramide au lieu d'un cercle... Mais c'est un autre débat !

Julia Ducournau et Jane Campion au festival Lumière à Lyon le 15 octobre 2021 © Abaca
Les réalisatrices ont remporté des prix aux Oscars, à Cannes, à la Mostra de Venise. 2021 aura été une belle année. Enfin ?

N.A.M : Oui, j'espère que cela deviendra la règle plutôt que l'exception maintenant. Le fait que cela soit seulement en 2021 qu'une femme remporte la Palme d'or seule, sans avoir à la partager avec un homme, est embarrassant (Jane Campion avait remporté la Palme d'or en 1993 pour "La leçon de piano", ex aequo avec Chen Kaige pour "Adieu ma concubine"- Ndlr). Mais j'essaie de me concentrer sur les choses positives et d'aller de l'avant.

Quels sont vos films "female gaze" préférés ?

N.A.M : Oh, j'adore cette question. Je me questionne beaucoup en écrivant des films : comment m'assurer de ne pas reproduire moi-même les normes patriarcales ? C'est un travail ardu qui demande du dévouement, de l'amour et de l'entêtement.

Je me lance pour mes films préférés. Je dirais : Les Merveilles d'Alice Rohrwacher, Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma, Fausta de Claudia Llosa, Pleasure de Ninja Thyberg, Grave de Julia Ducournau et La leçon de piano de Jane Campion.

Quelle actrice rêveriez-vous de diriger ?

N.A.M : Ah, juste une ? Non non, ce n'est pas possible. Je rêve de travailler avec toutes ces femmes : Viola Davis, Olivia Colman, Florence Pugh, Gina Rodriguez, Saga Becker, Glenn Close, Maggie Smith, Reese Witherspoon, Alicia Vikander... Et je peux continuer !

Quels sont vos voeux pour 2022 ?

N.A.M : Une chambre à moi, que les gens se fassent vacciner, avoir du temps pour me salir les mains et les pieds dans la terre et m'éloigner de mon ordinateur, avoir du temps en famille, avec mon chat et du temps à écrire.

Clara Sola

Un film de Nathalie Álvarez Mesen

Sortie en France le 25 mai 2022

Mots clés
Culture cinéma festival les Arcs News essentielles interview feminisme sexisme #MeToo
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