Anaële s'estime "chanceuse". Non que son parcours de PMA soit un long fleuve tranquille, loin de là. Mais elle a eu l'immense joie de tomber enceinte au bout de deux tentatives d'insémination, au mois de mai 2019. " Par rapport à d'autres couples chez qui cela prend beaucoup plus de temps, on a été épargnées ", reconnaît-elle. Elle est aujourd'hui enceinte de quatre mois et demi.
En couple depuis 4 ans, mariée en octobre 2018 ("Pour que ma femme puisse devenir mère de notre enfant, il fallait qu'on se marie pour faciliter les choses"), cette Parisienne de 30 ans s'est "naturellement" tournée vers la Belgique pour débuter son parcours de PMA. Avec ce sentiment étrange et frustrant d'être une hors-la-loi.
"Je ne nie pas la difficulté pour les couples hétérosexuels en France parce qu'il y a toute cette lourdeur du processus médical. Le cycle et tout le mois sont rythmés par les analyses médicales. Mais dans notre cas, nous avons dû aller en Belgique parce qu'en France, on est dans la clandestinité la plus totale. On a l'impression de faire quelque chose de totalement illégal, on n'ose pas en parler, même si tout le monde dans le corps médical sait que les analyses et ces échographies sont prescrites dans le cadre d'une PMA...", confie-t-elle. "C'est stigmatisant de devoir se cacher alors qu'on fait juste un enfant entre deux personnes qui s'aiment et qui sont mariées."
Pour Anaële, cette "omerta" est d'autant plus étonnante qu'elle est "retombée dans la légalité" le jour où elle est tombée enceinte. "J'ai déclaré ma grossesse à la Sécurité sociale et maintenant, je vais être remboursée à 100% pour pas mal de choses". Tout en continuant à être confrontée à l'hétéronormativité de l'administration, à ces papiers "père/mère" ("On a barré 'père', mais je ne pense pas que cela soit pris en compte par la Sécu").
Car Anaële le sait, une autre épreuve- tout aussi lourde- l'attend après son accouchement : la difficulté de faire reconnaître sa femme comme "mère sociale" de l'enfant, alors même que le couple est conjugalisé à la CAF et rattaché à un seul foyer fiscal. "Si j'accouche, que je ne suis pas consciente et que l'enfant a un problème, comment faire pour que ce soit ma femme qui prenne les décisions ? C'est tout bête, mais c'est fondamental", s'inquiète-t-elle. "Et on ne peut pas lancer de demande d'adoption, car cette demande ne peut être faite que 6 mois après la naissance, alors que nous nous étions mariées en partie pour faciliter cela. J'ai bon espoir qu'avec le projet de loi, cela évolue."
La loi bioéthique, elle l'attend avec impatience, même si elle n'impactera pas le couple pour cette grossesse à venir. Mais Anaële, très engagée dans ce combat pour l'ouverture de la PMA à toutes les femmes, espère. Parce qu'elle a elle-même subi ce chemin de croix clandestin et qu'elle veut que cela change. "Ce serait une immense satisfaction de savoir que d'autres femmes vont pouvoir passer par un processus légal, être accompagnées et avoir une PMA sereine, encadrée, où les deux conjointes seront protégées, où l'enfant aussi sera protégé. Bref, que cela se fasse au même titre qu'un couple hétérosexuel."
Comme beaucoup d'autres couples de femmes, la future maman craint la violence des débats, encore meurtrie par les propos haineux qui ont accompagné le Mariage pour tous. "J'espère que cela ne sera pas aussi long qu'en 2013. On a déjà plein de sondages qui montrent que la société est prête, que les gens sont ouverts à cela. Et puis, on se trompe de débat : on ne débat pas sur le bien-fondé de la procréation médicalement assistée. On débat sur le fait de l'étendre à toutes les femmes. C'est une question d'égalité, pas une question éthique."