L'histoire de Cécile* pourrait presque être "classique" : en couple depuis 10 ans, elle a commencé à entamer un parcours de procréation médicalement assistée il y a deux ans pour tomber enceinte. "En deux ans, j'ai enchaîné sur 5 inséminations- on dépose du sperme dans l'utérus de la femme- avec stimulation hormonale. Cela représente 14 piqûres, quatre échographies endovaginales avant qu'il n'y ait l'insémination. Puis un traitement hormonal pendant trente jours avant d'avoir les résultats. Cela n'a pas marché."
Ce parcours lourd et douloureux est celui de très nombreuses femmes infertiles. A un détail près : Cécile est lesbienne. Ces démarches, elle a dû les entreprendre avec sa femme, dans l'ombre, en Belgique. Car la loi française actuelle ne lui permet pas d'être traitée et guidée officiellement. "C'est tellement injuste. Je me dis que si j'avais été en couple avec un homme, j'aurais été aidée sur le champ. Mais je ne l'ai pas été et je devais me piquer entre deux portes pour ne le dire à personne. Certains gynécologues m'ont carrément claqué la porte au nez en me disant : 'Vous n'êtes pas stérile, vous êtes juste lesbienne'."
Après ces tentatives d'inséminations infructueuses, les médecins lui diagnostiquent un syndrome des ovaires polykystiques et orientent Cécile vers une FIV (fécondation in vitro). "En gros, on vous stimule 5 fois plus que pour une insémination, on va ponctionner les ovocytes qui auront été créés pour essayer de faire une fécondation en laboratoire et on vous réimplante les embryons. C'est une procédure très lourde et sachant que c'est à l'étranger, c'est encore plus compliqué. Là, j'ai décidé d'arrêter."
La voix est nouée. Cécile est fatiguée, découragée. Le coût ("Près de 20 000 euros pour les traitements"), la logistique, les démarches, le poids émotionnel... Elle est à bout. "C'est très dur", souffle-t-elle. Et l'invisibilisation de son cas, en tant que femme lesbienne infertile, la ronge.
"Je n'en ai jamais entendu parler pendant les débats, qui sont d'ailleurs accaparés par les opposants. Et quand on dit : 'Ces femmes ne sont pas stériles, on ne va pas leur payer des PMA qui sont réservées aux couples infertiles', c'est injuste ! Il y a des lesbiennes infertiles, dont la stérilité n'est pas diagnostiquée. Il y a des lesbiennes stériles aussi", tempête-t-elle. "Et surtout, ce qu'on ne dit pas, c'est que sur toutes les PMA hétérosexuelles, seules 30% concernent des couples déclarés stériles. Ce sont des PMA 'sociales' parce qu'on considère que si ça n'a pas marché au bout de 18 mois, on va les aider, alors qu'ils ne sont pas diagnostiqués infertiles ou stériles."
A la stigmatisation s'ajoute le sexisme ordinaire. "J'ai 35 ans, je n'ai pas d'enfant, je commence un nouveau job et la dernière question de l'entretien, ça a été : 'Vous avez des enfants ? Est-ce que vous en voulez ?'. Sous-entendu, si tu nous mets un congé de maternité dans l'année, cela sera compliqué... Donc ça, ça n'aide pas."
Alors qu'autour d'elle, les naissances se multiplient douloureusement ("Dix naissances en deux ans chez nos amis hétéros"), le couple tente d'avancer : Cécile ne se voyant pas se lancer dans une procédure de FIV, c'est au tour de sa femme de commencer un traitement en vue d'une PMA à l'étranger. "C'est très dur pour notre couple parce qu'on n'est pas prises en charge dans notre pays. On ne peut faire aucun projet parce qu'on ne sait pas si on sera en traitement, si le traitement aura marché... C'est compliqué d'organiser des vacances, de faire des projets de déménagements. Notre vie est en stand-by."
La PMA pour toutes ? Cécile la redoute autant qu'elle l'espère. Les manifestations contre le Mariage pour tous en 2013 l'ont traumatisée et elle ne veut pas être confrontée à ces relents homophobes d'une violence inouïe. Elle se tiendra donc éloignée des débats qu'elle devine nauséabonds pour mieux se préserver. "On est dans notre projet et c'est déjà assez dur de se protéger de l'extérieur. J'ai vraiment très peur des manifestations à venir et des propos tenus." Mais au bout, peut-être l'espoir d'être enfin traitées en France, de bâtir cette famille qu'elles désirent tant. Et pouvoir enfin avancer dans la lumière, sans se cacher.
* Le prénom a été changé.