cinéma
Richa Chadda, star du film "Masaan" : "Il est très pénible d'être une femme en Inde"
Publié le 24 juin 2015 à 09:00
Par Ariane Hermelin | Journaliste Terrafemina
C'est ce mercredi 24 juin que sort dans les salles françaises "Masaan", réalisé par Neeraj Ghaywan. A mille lieux des comédies musicales de Bollywood, ce long métrage qui a obtenu le Prix spécial du Jury et le Prix Fipresci dans la sélection "Un certain regard" au Festival de Cannes 2015 montre la vie de jeunes gens en quête d'amour à Bénarès. Terrafemina a rencontré Richa Chadda, l'actrice principale de ce beau film qui représente le nouveau cinéma indépendant indien. Interview.
Richa Chadda à la première du film "Youth" au 68e Festival de Cannes le 20 mai 2015. Richa Chadda à la première du film "Youth" au 68e Festival de Cannes le 20 mai 2015. © Sipa
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Terrafemina : "Masaan" montre la manière dont les jeunes Indiens sont écartelés entre modernité et tradition. Le tableau que fait le film de la jeunesse indienne est-il fidèle à la réalité ?

Richa Chadda : L'Inde a évolué de manière incroyable au cours des quinze dernières années. Par exemple, moi, qui ai grandi dans les années 90, je constate ce changement à travers la télévision. Il y a une énorme différence entre ce que je regardais petite et ce que les enfants regardent aujourd'hui : Hannah Montana, des Anime japonais... C'est comme en Europe, on assiste à une globalisation d'un point de vue culturel qui fait que nous consommons tous aujourd'hui ce que fabrique Hollywood. Ce qui ne me dérange pas, à condition que nous puissions conserver certaines de nos traditions.

Et en ce moment, en Inde, il y a une grande tension entre tradition et modernité car les jeunes gens ont aujourd'hui tous accès à Internet. Quand j'étais adolescente, je n'avais aucune idée de ce qu'était la pornographie. Mais mon frère, qui a seulement quatre ans de moins que moi, y a eu accès en grandissant. Et cela change tout. Le défi auquel notre pays fait face, c'est de garder les bonnes traditions tout en se débarrassant des mauvaises.

Et il est également essentiel de se battre pour l'indépendance des femmes. De nombreux journalistes m'interrogent au sujet de la véracité des faits divers indiens qui font la Une des médias, et je comprends leurs questions.

Prenons le harcèlement que subissent Devi (le personnage que joue Richa Chadda, ndr) et Piyush : ces deux jeunes gens sont violentés par la police parce qu'ils ont été découverts en train de faire l'amour dans une chambre d'hôtel au début du film. Bien sûr, c'est de la fiction, mais ce type de situation arrive fréquemment en Inde. Si deux jeunes Indiens sont surpris en train d'avoir des relations sexuelles hors mariage, leur vie entière peut être brisée du jour au lendemain. Car c'est leur réputation qui est en jeu, et c'est précisément l'arme que la police utilise contre Devi dans le film. C'est ainsi que la police fait chanter son père qui ne veut pas que les frasques de sa fille soient rendues publiques. Et celui-ci accepte parce que cela ternirait sa réputation, et ce d'autant plus que c'est un prêtre.

Dans la première partie du film, on voit Devi changer de tenue avant de retrouver Piyush. Mais attention, elle ne fait pas cela pour se faire belle, mais pour avoir l'air mariée. Car, en Inde, les femmes mariées portent des saris et des bindis, ainsi qu'un collier noir qui est comme une sorte d'alliance. De son côté, Piyush porte des vêtements d'adulte pour faire plus vieux que son âge. Le but de cette mascarade, c'est de faire en sorte que personne à l'hôtel ne les soupçonne. Malheureusement cela ne fonctionne pas, et finalement la police fait irruption. Et ces opérations ont certes pour but de contrôler la prostitution, mais elles peuvent mal se terminer, comme dans le film.



Richa Chadda dans "Masaan" © DR/ Pathé Distribution

TF : Avez-vous vous-même souffert de harcèlement en tant que femme ?

R.C. : Vous savez, je fais partie d'une élite : j'ai bénéficié d'une éducation libérale et je viens d'une famille ouverte qui me soutient dans ma carrière, alors que traditionnellement le métier d'acteur n'est pas considéré comme respectable pour les femmes en Inde. Ma famille éloignée a tenté de me dissuader de devenir comédienne, mais je me suis battue pour continuer. J'ai commencé au théâtre et puis un jour, j'ai passé une audition pour jouer dans un film... Je suis donc une privilégiée, je voyage, je vais à Paris, à New York, bref, je sors de mon pays.

Mais cela ne m'empêche pas, quand je prends les transports en commun, de subir des agressions. Et sur Twitter aussi : si je fais une déclaration en faveur du féminisme, voire contre l'obscurantisme, je subis des salves d'attaques misogynes. Et pas parce que je suis une personnalité en Inde, parce que je suis une femme qui dit ce qu'elle pense. Mais je n'y accorde guère d'intérêt.

Alors, oui, même si je mène moi-même une existence protégée, je trouve qu'il est très pénible d'être une femme en Inde. Cela étant, la situation s'améliore, tout doucement. On parle beaucoup des viols en dehors d'Inde, mais les femmes sont non seulement plus impliquées dans la vie politique du pays, mais elles sont aussi plus présentes dans le domaine des médias, des arts... Bref, les femmes s'imposent de plus en plus dans tous les milieux professionnels. Et elles sont sur un pied d'égalité avec les hommes. Aujourd'hui, ce n'est plus mal vu pour une femme de travailler comme ce fut le cas il y a une trentaine d'années.

Par exemple, au sein de ma famille, ma mère a appartenu à la première génération d'Indiennes entrées sur le marché du travail, et cela m'a justement permis, à moi sa fille, de faire le métier que je veux. Donc, pour résumer, on vit une période de transition difficile, mais je suis très optimiste pour l'avenir.


TF : "Masaan" est très différent des films de Bollywood dans sa forme. Pensez-vous que son succès va ouvrir la voie à un nouveau cinéma indépendant ?

R.C. : Cela fait très longtemps que l'Inde produit des films indépendants, qui n'ont rien à voir avec Bollywood. La différence, c'est que le public indien est en train de s'ouvrir progressivement au cinéma grâce à Internet. Les Indiens connaissent mieux le cinéma mondial, ils savent qui est Kieslowksi, qui est Marion Cotillard, etc... Et leur goût s'est également affiné. Avant, quand on allait au cinéma, on avait seulement le choix entre des films de Bollywood, mais c'est en train de changer. Et les acteurs se tournent de plus en plus vers les films indépendants. Moi, par exemple, je fais les deux. Ma notoriété contribue à faire connaître les films indépendants auxquels je participe. Et inversement, les films de Bollywood dans lesquels je joue gagnent à leur tour en crédibilité.

Mais vous savez, il y a une raison pour laquelle l'Inde produit beaucoup de films musicaux. Les gens ont une vie si pénible qu'ils ont besoin de s'évader au cinéma. Ils veulent oublier leurs problèmes. Et pour ceux d'entre eux qui sont illettrés, ils ont besoin de films qui soient faciles à comprendre, qui n'abordent pas des sujets trop sérieux. Le but, c'est d'oublier tout pendant deux heures, d'écouter de la musique et de danser. C'est du divertissement, et c'est aussi important que le reste. C'est comme les franchises hollywoodiennes, Avengers, Fast & Furious...


TF : Quels sont vos futurs projets ?

R.C. : J'adorerais travailler en dehors d'Inde ! Pour l'instant j'ai seulement fait un court-métrage avec la réalisatrice Mira Nair, qui fait partie d'une compilation de courts-métrages sur la spiritualité baptisée Words with Gods (qui doit sortir prochainement, ndr). Mais j'espère que la sortie de Masaan à l'international va m'ouvrir des portes. J'adorerais jouer dans des films français, si l'occasion se présentait. Le cinéma français m'a beaucoup influencée, de même que le cinéma européen en général.


TF : Avec quels réalisateurs aimeriez-vous travailler ?

R.C. : Lars Von Trier, Pedro Almodovar, Emir Kusturica, Paolo Sorrentino, Michael Haneke, et bien d'autres encore. Je veux vraiment travailler avec les plus grands.

© DR/ Pathé Distribution
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