On ne les appelle pas "les invisibles" pour rien. En France, les femmes sans-abri sont violentées, méprisées, ou tout simplement ignorées. On passe à côté sans les regarder. Et pourtant, elles représentent pas moins de 38 % des personnes sans domicile fixe. Et parmi elles, l'on dénombre un taux tout aussi conséquent de mères sans abri. Elles aussi se retrouvent abandonnées et laissées-pour-compte. C'est tout du moins ce que nous explique cet édifiant reportage du Monde.
S'intéresser à la manière dont la maternité s'inscrit dans un tel contexte, c'est se heurter à une dure réalité. Augmentation du nombre de naissances de bébés dans la rue, hôpitaux débordés, isolement des mamans qui dorment dehors, danger de mort indéniable pour l'enfant... Le constat établi par les journalistes François Béguin et Isabelle Rey-Lefebvre est loin, très loin du conte de Noël.
Interrogée par les reporters, la médecin Sophie Le Goff, qui officie à la Pitié-Salpêtrière, parle même de situation "morbide". Et on la croit sur parole. En France, nombreuses sont celles à ne pas pouvoir accoucher au sein des hôpitaux ou s'occuper de leurs enfants en maternité. Certaines viennent de pays en guerre, et perçoivent l'Hexagone comme un refuge - que finalement elles ne trouvent pas. Au manque de places à l'intérieur des centres d'accueil, il faut ajouter la situation alarmante d'un personnel débordé. A tel point que les vigiles des hôpitaux doivent empêcher ces mères de pénétrer les lieux, enfants dans les bras ou non. Car l'hôpital, relate l'article, "n'a pas les conditions requises pour être un lieu d'hébergement".
C'est une sage-femme, Samra Seddik, qui le déplore d'ailleurs au Monde. Présidente de l'association Un petit bagage d'amour (venant en aide aux mères précaires, sans abri et réfugiées), elle raconte la recrudescence des cas de mamans qui "dorment dehors avec leurs bébés" et ont à peine de quoi les protéger du froid hivernal.
Et le bilan est rude : en ce mois de décembre, ce sont pas moins de 700 enfants qui se retrouvent à la rue en Ile-de-France. Bruno Morel, directeur d'Emmaüs Solidarité, remarque un "triplement" des flux d'arrivées au sein des centres. Les mères, quant à elles, font comme elles peuvent. Elles dorment dans le métro (c'est le cas de 250 à 300 personnes chaque soir à Paris), dans la rue, trouvent refuge en maternité ou dans des "lits d'hospitalisation". D'autres tentent "l'incruste" sur le sol d'un "bout de couloir" hospitalier, où elles cherchent la chaleur et le repos. Certaines y restent jusqu'à quatre-vingt jours d'affilée...
Et les femmes sans abri qui ont la "chance" d'accoucher sur un lit, au chaud, au sein d'un hôpital, doivent évidemment très vite laisser leur place aux nouvelles arrivantes. Et rebelote. Par-delà la santé des femmes, c'est bien sûr celle de leurs enfants qui est en jeu. Le froid, la sous-nutrition, les maladies sont autant de drames qui pèsent sur leurs têtes. Certains ne survivent pas à l'accouchement. De cette évocation du "phénomène" des femmes à la rue surnage cette image qui en dit long, narrée par Sophie Le Goff : une mère qui, après un accouchement sous césarienne il y a quelques mois de cela, se retrouve "planquée", au rez de chaussée de la maternité, n'ayant pour nourriture que "les restes des plateaux des patientes hospitalisées".
Parmi ces femmes qui sont les premières victimes des violences de rue, certaines, enceintes, sont mêmes violées, "parfois en présence de leurs enfants", raconte encore Le Monde. Derrière l'horreur, l'attente : celle de voir les pouvoirs publics réagir à cette urgence nationale. C'est pour cela, dixit le journal, que le ministre du Logement Julien Denormandie a récemment organisé une réunion de crise et compagnie d'associations. L'adjointe à la maire de Paris, Dominique Versini, vient d'ailleurs de proposer à l'Etat l'ouverture de plus de 1 000 places d'hébergements au sein des bâtiments municipaux. Mais cela sera-t-il vraiment suffisant ?