Le pitch de Skam France est simple : une bande de lycéen·nes et leur vie plus ou moins compliquée dans le XIe arrondissement de Paris. Un scénario quasiment copié collé, à part quelques éléments des saisons 3 et 4, sur la version originale norvégienne. On l'a dévoré en une semaine. Les quatre saisons en ligne. Dans notre lit, dans le métro, à la pause dej'. On a même eu du mal à lâcher notre téléphone dans la rue (tous les épisodes sont dispo sur l'appli de france.tv), évitant de justesse un accident de poteau. Le format de 20 minutes prête forcément à l'addiction, mais c'est autre chose qui nous hameçonne.
Une atmosphère qu'on veut retrouver, des questions auxquelles on souhaite des réponses, des personnages auxquels on s'attache vite. Pourtant, on n'a plus 17 ans depuis un bon moment - on n'ose pas compter - et on ne pige pas toujours leurs références (musicales, surtout). Mais l'équation marche. A tel point qu'on s'est retrouvé à 2 heures du mat' à Googler les infos sur la saison 5, lunettes anti-lumière bleue sur le nez et camomille sur la table de chevet, espérant qu'elle tourne autour de Daphné - chaque saison se focalise sur un membre de la troupe -, une protagoniste agaçante d'enthousiasme mais plus mystérieuse qu'elle n'y paraît. Pas de bol, c'est un autre - Arthur - qui sera sous les projecteurs prochainement.
Skam, qui signifie "honte" en norvégien, est un succès chez les ado, ça ne fait aucun doute, mais a aussi de quoi séduire les plus grands. Les adultes, les vieux, ceux qui n'apparaissent presque pas dans le scénario, si ce n'est pour apporter quelques conseils précieux, un soutien salvateur ou une morale évidemment insupportable. Comme l'infirmière de l'école, un peu à côté de la plaque (elle donnera de l'oxycodone à des élèves venus pour de l'aspirine), brillamment interprétée par Olivia Côte, aussi dans Pupille de Jeanne Herry.
On a analysé les raisons derrière notre propre engouement pour le teen drama, celles pour lesquelles vous devriez, vous aussi, foncer.
On entend parfois nos potes dire qu'ils aimeraient revivre une journée au lycée, rien qu'une fois. Se retrouver dans la cour, se retrouver en cours, se goinfrer de steak-frites à la cantine avant de tenter une typique "j'peux pas faire d'acrosport, j'ai mal au ventre" en EPS. Qui ne marchera pas. Des moments qui paraissaient anodins du haut de nos 17 ans et notre folle envie de partir loin, mais qu'on échangerait clairement contre une énième réunion inutile et obligatoire aujourd'hui.
Skam nous replonge dans l'ambiance si particulière de cette période, où l'on doit faire des choix impactant son avenir alors qu'on vient de sortir de l'enfance, où les hormones se bousculent et où l'importance de sa cote de popularité surpasse de loin la note qu'on vient de se taper en SVT. Les fêtes comme rendez-vous cruciaux, les relations pas toujours simples avec les parents, le test plus ou moins innocent de ses limites, et les émotions qui n'ont rien de générationnelles, se mêlent sobrement au fil des épisodes. Une sorte de Ma Terminale (M6, 2004) à la sauce 2019, à la limite du docu-fiction.
La saison 1 démarre avec Emma. Elle sort avec Yann et ne parle plus à sa meilleure amie, Ingrid. On flaire rapidement une histoire de garçons et de trahison, vieille comme le temps. Sauf qu'à travers cette anecdote ordinaire, on aborde des sentiments et des injustices qui ne sont pas toujours traités par le genre. Le fait de se sentir seule, impuissante, d'être prise pour cible parce qu'on est celle qui a "volé" le mec de l'autre, sans qu'on ait l'air de juger autant le garçon en question. La "salope" vs la fille bien, qui se transformera plus tard en la mère vs la putain. Le sexisme intervient aussi dans les relations entre adolescentes, et plus largement entre adolescent·es.
Les personnages de Skam s'éloignent des clichés. Aucun n'est complètement bon, peu sont foncièrement méchants. Et si quelques fois les situations, bien que toujours justes, semblent un peu fleur bleue, la série a le mérite de donner des clés pour les gérer. L'occasion de prendre des notes car certains de ces scénarios ne disparaissent pas après le bac.
Féminisme, racisme, découverte de sa sexualité, religion, peur de l'autre. Skam passe en revue, sans jamais bâcler, des discussions actuelles et nécessaires. Elle aborde l'homosexualité de Lucas qui tombe amoureux d'un élève pour la première fois, la bipolarité d'Elliott, le quotidien d'Imane, jeune fille noire et voilée (sauf au lycée, dans la VF) tiraillée entre sa foi et ses amours, ses amies d'enfance et ses nouvelles copines blanches. La photo nue volée de Manon et la notion de consentement quand elle soupçonne le frère de son copain de l'avoir violée, saoule. La violence à laquelle certain·es sont confronté·es plus tôt, et fréquemment, que d'autres.
Un soap-opera moderne et réussi qui ne fait ni l'impasse sur la réalité, ni sur son temps, qui prône la tolérance sans tomber dans la naïveté, et surtout qui n'a pas peur de parler des avancées ni des fléaux de notre époque.
L'un des atouts de la série réside aussi dans le caractère inédit de sa diffusion. En plus des épisodes intégraux d'une vingtaine de minutes, France Télévisions, comme la chaîne norvégienne avant eux, met en ligne chaque séquence à heure exacte. On s'explique. Un épisode de Skam est divisé en plusieurs séquences : "vendredi 18:12", "lundi 08:21" ou encore "mercredi 22:41", vous avez saisi le topo. Eh bien le vendredi à 18h12, vous pourrez regarder la séquence correspondante, postée à la même heure. Une façon immersive de suivre les personnages comme s'ils existaient vraiment. Pareil sur Instagram, chacun·e a son compte qu'il ou elle alimente en fonction de l'intrigue.
Et si l'aspect digital a été conçu pour alpaguer la génération Z, force est de constater que la prouesse technologique donne envie d'en savoir plus, et de se pencher sérieusement sur le phénomène qui n'est pas près de s'arrêter. Alors à vos écrans.
Skam, saisons 1-4 à retrouver sur France.tv Slash