Il faut choquer pour interpeller. C’est sans doute la raison du succès des Slutwalks (« marches de salopes ») qui s’organisent un peu partout dans le monde depuis la première de 2011 à Toronto. Grossièrement on peut dire que les filles en minijupe à la sexualité décomplexée en ont eu assez de se faire traiter de salopes, mais en toile de fond ce sont les questions liées au sexisme ordinaire, à la féminité et au traitement du viol qui sont posées par ces nouvelles marches militantes. L’idée d’utiliser le vocabulaire de l’ennemi ne date pas d’hier (Cf. le mouvement « ni putes ni soumises » et les « chiennes de garde », mais surtout « le manifeste des 343 salopes »). Mais les « salopes » de 1971 qui avouaient leur avortement malgré les risques de poursuites pénales étaient 343, et on comprenait bien l’ironie de la démarche. Faut-il pour autant continuer à jouer avec les gros mots pour se faire entendre ?
À l’origine, le terme « slut » s’est banalisé côté féministes grâce au mouvement de rébellion de collégiennes américaines contre le « Slut Shaming » (qu’on peut traduire par « réputation de salope »). Lena Chen, une sex-blogueuse matérialise ce combat en 2010. À 22 ans, l’étudiante de Harvard confiait ses secrets de « nymphomane » en toute impudeur sur son blog, photos à l’appui, écrivait des chroniques pour Hustler et pour la rubrique sexe du magazine « New York ». Elle l’a payé cher et a retourné sa veste à force de subir attaques et insultes. Depuis, sans se soucier du paradoxe, elle est non seulement engagée dans la promotion de l’abstinence auprès des jeunes femmes, mais elle est devenue une guerrière en croisade contre cette manie des hommes et (surtout) des femmes de traiter de salope toute personne de sexe féminin épanouie sexuellement.
Petit à petit, la lutte contre le Slut Shaming s’est imposée comme le nouveau combat à mener d’urgence par les femmes. Selon un blog féministe américain, il y a Slut Shaming « quand une personne insulte publiquement ou en privé une femme parce qu’elle a évoqué sa sexualité d’une façon qui n’est pas conforme aux attente de la société patriarcale ». La première Slutwalk répertoriée fut une marche spontanée à Toronto le 3 avril 2011 : un policier désormais blacklisté du nom de Michel Sanguinetti enquêtant sur une série de viols commis sur le campus de l’Université de York avait fini par conseiller aux femmes de ne pas s’habiller comme des « sluts » pour ne pas tenter le diable… Comprendre : « sinon vous aurez ce que vous méritez…. » Les marches se sont depuis multipliées pour protester contre la culpabilisation des victimes de viol. Et c’est bien l’objet de cette marche du 6 octobre à Paris, où quelque 800 personnes ont promis de participer sur Facebook, initiative suivie dans une dizaine de villes françaises et pour la première fois en Suisse, à Genève.
Gaëlle Hyn est la responsable du mouvement Slutwalk France. Elle considère que l’événement touche tout le monde et n’est pas qu’un « concept branché ». Elle avoue que certaines organisations féministes ont tiqué sur le nom, mais la plupart seront là pour marcher « non pas sous une bannière mais à titre personnel et en tant que femmes ». Les slutwalkeuses entendent rappeler au gouvernement de François Hollande ses promesses en matière de lutte contre les violences faites aux femmes. Gaëlle Hyn pointe quelques signes dangereux sur la faiblesse de l’accompagnement des victimes de viol, et le manque de formation de la police pour répondre aux femmes agressées. « En France, quand vous entrez dans un commissariat pour porter plainte pour viol, on vous fait votre procès, en vous demandant vos antécédents, vos pratiques sexuelles et si vous avez déjà été avortée… »
« Pour le dress code, il n’y en a pas », répond du tac au tac la responsable de la marche, qui ne veut surtout pas que le mouvement soit assimilé à un défilé de minijupes et talons hauts. Venez « comme vous êtes », jupe ou pas jupe, talons hauts ou bottes de cheval, et tout le monde est bienvenu. À New York ou à Londres l’année dernière, certaines avaient joué la provoc’ façon Femen en se baladant seins nus ou en sous-vêtements.
Le seul souci est que ce genre de marche pourrait donner envie à la presse de se lâcher avec des titres vulgaires comme : « Lâcher de salopes sur Paris ». On veut ou on veut pas ?
Plus d’infos sur le tumblr Slutwalk France
Voir une vidéo de la Slutwalk à Toronto
Femen : les féministes 4e génération débarquent en France
OLF sur les Femen : « Dommage de se déshabiller pour attirer l’attention sur le féminisme
Violences faites aux femmes : Eve Ensler veut faire danser un milliard de personnes