Boire fait partie de notre culture. Un verre de rosé en terrasse, une bière fraîche en fin de journée, un cocktail bien dosé en début de soirée. Chaque événement semble d'autant plus intéressant quand l'alcool est impliqué. Et sur les réseaux sociaux, les clichés de verres remplis à ras bord pullulent. La meilleure pub (gratuite) que l'on puisse faire à l'industrie de la boisson. Et qui dédramatise tristement l'alcoolisme.
Comme le rappelle le Guardian, en 2017, une jeune femme du nom de Louise Delage gagnait en notoriété sur Instagram. On la voyait poser sur un voilier, en boîte, dans son bain, à la plage, sur un rooftop. Toujours bien habillée avec un style style négligé à la française qui marche tant sur le réseau. Et toujours un verre à la main. Sauf que ce dernier détail est presque passé inaperçu. On s'attardait davantage sur les paillettes du quotidien qu'elle partageait volontiers.
Derrière le compte qui a séduit jusqu'à 100 000 abonné·es se cachait en réalité Addict'Aide, plateforme d'aide aux personnes addicts, et l'agence de pub BETC. A travers cette campagne montée de toutes pièces, l'association souhaitait sensibiliser à l'alcoolisme mondain, principalement chez les jeunes. Montrer qu'il peut toucher tout le monde, même des personnes qui sont loin des stéréotypes - et dont les symptômes s'affichent pourtant sous nos yeux. Louise était effectivement alcoolique et les preuves ne manquaient pas. La publicité remportera 17 Lions à Cannes - festival international de la créativité - tant son efficacité et sa viralité ont été reconnues. Il faut dire que peu sont les internautes à ne pas être tombé·es dans le piège.
Prendre un verre est tellement ancré dans nos habitudes que l'excès semble effectivement difficile à discerner. Et à l'inverse, refuser de boire éveille souvent des soupçons. Surtout si la cause n'est ni religieuse, ni médicale. On demande systématiquement pourquoi quelqu'un préférera opter pour un virgin mojito plutôt que pour un mojito tout court. Alors que personne ne regardera dubitatif·ve un·e de ses convives quand il ou elle déclinera un Coca pour se rabattre sur une pinte.
Récemment, un nouveau mouvement a cependant vu le jour : Sober Curious. Une façon de prôner la sobriété dans la même veine que le bien-être et la vie healthy. Et d'en être fier·e. Ruby Warrington, pionnière du mouvement et autrice de l'ouvrage éponyme, a lancé Club Söda NYC en 2016, une série d'événements ou débattre et questionner la relation que l'on entretient avec l'alcool. Elle veut notamment pointer toutes les nuances qui existent entre le fait d'avoir une consommation normale et celui d'être alcoolique. "Il y a cette idée que vous êtes soit un buveur à problèmes ou un alcoolique, soit un buveur normal qui n'a aucun problème avec l'alcool", explique-t-elle. "De plus en plus, nous constatons qu'il y a des échelons lorsqu'il s'agit de la dépendance à la boisson".
Dans son livre, elle affirme ainsi que la sobriété est "la prochaine étape logique dans la révolution du bien-être", soulignant l'absurdité d'une journée consacrée au yoga et aux légumes verts suivie d'une nuit de à maltraiter son foie au bar. En effet, l'incohérence s'avère surprenante. Et prendre la parole sur ce sujet, farouchement nécessaire.
Le problème, c'est que l'émergence de ce mouvement bienveillant a atteint une limite douteuse. En même temps que de sensibiliser aux bienfaits de la sobriété et à l'abus d'alcool, Sober Curious a par la même occasion transformé cette résolution en tendance instagrammable, parfois glamourisée à l'excès. Ainsi, quand on jette un oeil à #SoberCurious sur le réseau social (plus de 17 000 occurrences), on trouve des photos de mocktails, des citations inspirantes, des selfies de jeunes femmes armées de lattes. Un comportement contre lequel Ruby Warrington met en garde.
"Parler de la sobriété comme d'une tendance n'est pas acceptable", assure-t-elle. "Le but de Sober Curious est de faire la différence entre ceux d'entre nous qui ont le privilège de pouvoir être sobre et peut-être de consommer [de l'alcool] ici et là, et ceux pour qui en boire ou non est une question de vie ou de mort."
Si aborder cette discussion reste essentiel, l'important est aussi de comprendre que pour beaucoup, dire adieu à sa consommation d'alcool n'est pas aussi facile que d'utiliser un filtre Instagram. Il s'agit d'un combat permanent qui demande une prise en charge allant au-delà du virtuel. Surtout quand on sait qu'en France, la boisson tue 41 000 personnes par an.