Miroirs brisés, tache rouge sur le tapis, bouteille de parfum à moitié vide, nourriture périmée dans le frigo. Dans ce jeu d'évasion grandeur nature intitulé "Le secret de Laurence" et inspiré du célèbre modèle de l'escape game, les participants sont invités jouer les Sherlok Homes et à explorer les moindres recoins d'une pièce. Avec une telle mise en scène, on pourrait facilement en déduire qu'il s'agit d'une affaire de meurtre. Pourtant la réalité est tout autre, puisqu'il s'agit d'une reconstitution fidèle de l'ancien appartement de Laurence Cottet, ancienne alcoolique et auteur de l'ouvrage Non ! J'ai arrêté, paru en 2015. Cette démarche originale s'inscrit dans le cadre d'une campagne de sensibilisation et d'information orchestrée par le Fonds Actions Addictions. Elle est relayée par Addict Aide, une plateforme en ligne spécialisée dans les problèmes d'addiction.
Révélée ce lundi 12 février, la solution de l'énigme consiste à deviner que la personne qui habite l'appartement (Laurence, donc) souffre d'une dépendance à l'alcool. La tache rouge sur le tapis n'est pas une tache de sang mais de vin. La bouteille de parfum entamée qui trône sur l'étagère est là pour les jours de pénurie, les aliments dans le frigo sont tous périmés car Laurence se nourrissait essentiellement d'alcool. Quant aux miroirs brisés, ils traduisent une incapacité à "se regarder en face". Pendant un mois, plus de 7000 volontaires ont enquêté dans l'appartement (réellement ou virtuellement) pour percer le secret de Laurence. Seuls 3 d'entre eux ont trouvé la bonne réponse.
À la fin du jeu, Laurence (la vraie) dévoile son secret dans une vidéo : "vous avez pris du plaisir à jouer, mais moi j'ai souffert dans cet appartement, où j'étais alcoolique. Il y avait beaucoup d'indices que vous avez mal interprétés. C'est malheureusement normal, car il est facile de passer à côté des signes lorsque l'on a pas une connaissance, même sommaire, de la maladie de l'alcoolisme", explique-t-elle en s'adressant directement aux joueurs.
Laurence a sombré dans l'alcool à l'âge de 36 ans (un an après le décès de son conjoint) en multipliant "les pots" au travail. Sa dépendance a duré 12 ans, période durant laquelle ses proches et son entourage professionnel n'ont rien vu. "Le secret de Laurence est un jeu pédagogique qui démontre qu'il est facile de passer à côté de l'addiction d'un proche", a expliqué l'addictologue Michel Reynaud, président du Fonds Action Addictions et initiateur du "Secret de Laurence".
L'alcoolisme est une maladie qui concerne environ 1.5 millions de femmes en France. "La sensibilisation et l'information sont d'autant plus importantes que l'on peut, hélas, prédire une épidémie d'alcoolisme dans les dix ans qui viennent avec la banalisation des ivresses et des alcoolisations massives chez les jeunes femmes", souligne le Pr Reynaud.
Cette campagne s'adresse donc à un large public, puisque nous sommes tous en principe susceptibles de côtoyer une personne qui présente des problèmes de dépendance à l'alcool. Et ces signes sont parfois encore plus difficiles à repérer chez la femme. Comme l'a expliqué le psychiatre addictologue Amine Benyamina à Addict Aide, les marques physiques liées à une dépendance à l'alcool (rougeurs, visage bouffi) sont moins visibles sur une femme, qui peut les camoufler sous des couches de maquillage.
Il existe de nombreux facteurs qui favorisent l'alcoolisme : dépression, troubles anxieux, isolement social, prédisposition génétique... Ces causes menacent autant les hommes que les femmes. Des études ont cependant démontré que le taux d'alcool dans le sang de la femme est supérieur à celui de l'homme. Cet écart les expose donc davantage que leurs homologues masculins. De surcroît, certains troubles pathologiques pouvant conduire à une dépendance à l'alcool concernent spécifiquement la gent féminine. C'est par exemple le cas de l'alcoolorexie, un trouble alimentaire encore méconnu mais qui prend de plus en plus d'ampleur, notamment chez les adolescentes et les jeunes adultes américaines.
Trouble qui compile les syndromes de l'anorexie et de l'alcoolisme, l' "alcoolorexie" consiste à ne pas s'alimenter et à boire de l'alcool afin de remplacer les calories d'un repas par celles de la boisson. Obsédées par les standards de beauté des publicités, des magazines ou des films, les jeunes femmes atteintes d'alcoolorexie (souvent des étudiantes) planifient leur soirée en calculant le nombre de calories qu'elles vont ingérer et, pour ne pas compiler celles de la nourriture et de l'alcool en même temps, optent pour le jeûne.
L'OFDT (Observatoire français des drogues et des toxicomanies) a signalé qu'entre 2005 et 2010, les états d'ivresse avaient augmenté, en particulier chez les jeunes femmes de 18 à 35 ans.