La culture peut traverser les murs. Telle est en tout cas la conviction de Laure Gomez-Montoya, Debora Kahn-Sriber et Karine Vincent. Avec leur projet "Aux oubliées", ces trois férues de littérature distribuent des livres aux femmes détenues. Car celles qui patientent derrière les barreaux ont plus que tout besoin de lectures.
Né l'an dernier en Espagne sous l'impulsion de Maria Rufilanchas, cette initiative solidaire a fureté vers l'Hexagone le mois dernier. Interrogées par le Huffington Post, les créatrices de "Aux oubliées" se disent "engagées pour l'émancipation des femmes". Le partage et l'art ont évidemment leur rôle à jouer dans cette évasion symbolique.
Du côté de leur site officiel, ces âmes généreuses détaillent le pourquoi de ce projet. Transmettre un livre à une femme en prison, ce n'est pas seulement faire un don, lit-on, c'est aussi "faire oublier leur réalité à des femmes privées de tout". Et pas juste le temps d'une lecture éphémère. Car la littérature soulève des débats. Ce faisant, elle éveille un dialogue entre des individus laissés-pour-compte. Autrement dit, les livres font office de contre-pouvoir : ils libèrent les voix de celles que l'on écoute pas assez tout en rappelant les vertus du partage et de l'interaction. C'est pour cela que Laure Gomez-Montoya, Debora Kahn-Sriber et Karine Vincent décrivent leur projet comme "une initiative culturelle, féministe, poétique et solidaire".
Sur Instagram, ses initiatrices expliquent la marche à suivre à celles et ceux qui souhaitent devenir donateurs : il suffit de choisir un livre, écrire un mot personnalisé sur la première page, et l'envoyer à cette adresse "Karine Vincent, L'iconoclaste, 26 rue Jacob, 75006 Paris".
Cet appel aux dons a très bien fonctionné en Espagne. Maria Rufilanchas est parvenue à récolter près de huit cents livres en quatre semaines seulement et, un an plus tard, sa "bibliothèque" regorgeait de milliers d'opus. Dans l'Hexagone, "Aux oubliées" commence à s'épanouir. Les couvertures de livres bientôt offerts s'alignent du côté d'Instagram : Emmanuel Carrère, Antoine de Saint-Exupéry, Gaël Faye... Écrivains nationaux et littérature étrangère s'enlacent. Les classiques sont amenés à côtoyer des lectures plus contemporaines. Le premier envoi aura lieu le 9 mars prochain à la prison de Fleury Mérogis.
Sur les réseaux sociaux, les internautes saluent cette "très belle initiative" et sortent déjà leurs stylos - pour le "petit mot" perso. "Pour toi qui es là-bas, j'espère que ces pages amèneront un peu de lumière dans tes journées. Je pense à toi, même si nous ne nous connaissons pas", écrit un dénommé Karim, donateur d'un ouvrage d'Alexandre Jardin. Un discours touchant à l'égard de ces femmes invisibles que sont les détenues.
Comme le déplorent effectivement les instigatrices sur leur site, il n'existe qu'une seule prison pour femmes en France (à Rennes). Les détenues ont l'habitude d'évoluer dans des prisons mixtes où elles sont isolées, mises à part, accompagnées pour tout déplacement hors de leurs espaces. Des conditions de vie étouffantes. "La condamnation d'une femme va bien au-delà de la privation de sa liberté. En effet, le système pénitentiaire a été créé pour les hommes et il n'est pas adapté aux femmes", s'attristent les créatrices de "Aux oubliées".
Gageons donc que cette bouffée d'air frais littéraire contribuera à les rendre un peu plus libres entre ces murs.