Je suis née au Rwanda. Mon père était français et avait une imprimerie, ma mère est tutsi et faisait partie de l'intelligentsia. Elle subissait des pressions à cause de son couple mixte et était considérée comme une traître de la Nation... Mon père, sentant la tension et l'instabilité politique grandir, a décidé de nous faire déménager au Burundi en 89. Ce sont les plus belles années de ma vie. J'y ai découvert le basket, ma grande passion. C'était une période joyeuse... Jusqu'au 7 avril 1994, jour où les présidents rwandais et burundais ont été tués dans un attentat au Rwanda. Ma mère comme beaucoup de Tutsi, était sur une liste de personnes recherchées, cette liste a traversé les frontières. On a dû fuir du jour au lendemain.
Je suis très heurtée par certaines réactions d'aujourd'hui. Quand on a dû fuir le Burundi, nous sommes partis avec une unique valise. Mon père a essayé de récupérer de l'argent des assurances sur place, il est revenu 1 an plus tard bredouille. On a radicalement changé de décor, on s'est retrouvé en Bourgogne dans une HLM d'une cité ouvrière. Le changement a été violent. Nous n'avions plus aucun repère culturel... Mes parents n'ont pas eu le temps de tout nous expliquer. C'était la fuite ! C'est ce qui se répète aujourd'hui pour de nouvelles populations.
J'étais très en révolte ! (rires) J'avais un petit frère de 9 ans qui ne comprenait pas la situation. Je l'ai beaucoup protégé à l'école. Mais lui a moins de souvenir. Moi au contraire, comme j'avais complètement sublimé cette période de ma vie, j'ai très mal vécu notre arrivée en Bourgogne. Dire "adieu" à ses amis, subir le déclassement social, le racisme, faire appel aux Restos du Coeur... pas simple. Ma mère a dû reprendre ses études car elle n'avait pas d'équivalence en France, elle a intégré une école à 400 bornes de chez nous... En tant que femme africaine, elle a considéré qu'à 15 ans, sa fille pouvait gérer la maison. Elle n'avait pas le choix mais j'ai le sentiment qu'une part de mon enfance m'a été volée, même si cela m'a permis de grandir très vite et d'être beaucoup moins fragile. En tant que Miss France, cela m'a beaucoup servi !
J'étais obsédée par deux choses : le cinéma et le basket. Pendant un tournoi à Chalon-sur-Saône, un journaliste est venu me voir et m'a demandé si j'avais déjà participé à des concours de beauté. Ma mère s'est dit que cela pouvait être une bonne aventure pour sa fille en phase "je déteste tout, je veux rentrer en Afrique". On a décidé d'un commun accord que je me présenterai à la pré-sélection. Et puis quelque chose s'est produit : en cité, soit tu deviens un peu garçon, soit tu deviens très séduisante. Moi j'avais commencé par choisir la première option, puis je me suis rendue compte qu'on me disait de plus en plus souvent que j'étais jolie... J'ai vu en ce concours une occasion en or pour me rapprocher de mes rêves d'actrice !
Pas du tout, à la limite en tant que Dauphine ! Je me disais que je pourrais sortir mes parents
de la misère. Mais comme je n'y croyais pas vraiment, c'était sans stress. Geneviève de Fontenay, qui était issue du milieu minier, m'avait confié avoir tout appris sur le tas, cela m'a confortée dans l'idée qu'il n'y a pas de moule pour être Miss ! Etrangement, quand j'ai été sacrée en 2000, je ne parlais pas du tout de mon passé. J'avais peur de faire pauvrette... Mais en sillonnant la France,
j'ai réalisé que cela me rapprochait des gens, car la grande majorité vivait la même situation que
mes parents. Au fond, mon récit les inspirait.
Oui. Ma famille et moi, n'étions jamais retournés au Rwanda depuis notre exil. J'y suis revenue avec eux et en tant que Miss France ! Pendant la descente des escaliers de l'avion, j'ai ressenti les parfums de terre humide, ces odeurs ne m'avaient jamais quittée. Ce retour-là m'a permis d'ambitionner de monter une association. Je contribuais beaucoup au rayonnement de la France et j'avais envie d'aider mon deuxième pays, ma deuxième culture. En 2001, j'ai créé Maïsha Africa pour venir en aide aux enfants orphelins du génocide qui s'étaient constitués en cellules familiales après le drame. Aucun adulte ne vivait avec eux car ils les considéraient comme des sauvages à l'origine du chaos !
Pendant plusieurs années, on a accompagné des groupes d'enfants orphelins appelés " chefs de famille " dans leur construction morale et matérielle post-génocide. Puis ma mère, vice-présidente de Maïsha Africa, a fait un AVC en 2014, six mois après la mort de papa... J'étais épuisée moralement. L'année dernière, j'ai fait part aux membres de l'association que je voulais arrêter et ils m'ont dit de ne pas lâcher. J'avais en tête la transformation d'un ancien orphelinat en école... On a organisé un dîner d'anniversaire pour nos 15 ans qui a permis de lever 160 000€ et donc de financer ce beau projet ! C'est incroyable et c'est un peu cela le problème (rire) ! Si l'association trouve un nouveau projet après celui-ci, tant mieux, sinon je saurai tourner la page car j'aimerais me recentrer sur mes deux petites filles.
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