"C'était le visage de toute une génération. La première actrice que l'on voyait grandir à l'écran depuis Natalie Wood". Alors que la saison 4 de Stranger Things vient de débarquer sur Netflix ce 27 mai, les spectateurs s'apprêtent également à retrouver l'une de ses emblématiques comédiennes : Winona Ryder. Une actrice particulièrement populaire dans les années 90, et à laquelle Arte dédie un captivant documentaire : Winona Ryder, une actrice habitée.
Habitée, oui, mais aussi tourmentée, romantique, rebelle... Bien des qualificatifs conviennent à cette actrice américaine qui a connu une reconnaissance mondiale avec son rôle d'ado goth dans le Beetlejuice de Tim Burton. Un univers macabre vénéré par cette artiste libre qui voguera de teen-movies noirs (Heathers) en films fantastiques (Dracula) et de fables féeriques (Edward aux mains d'argent) en drames psychologiques (Une vie volée avec Angelina Jolie).
A n'en pas douter, Winona Ryder est l'emblème d'une génération. Et voici pourquoi.
Winona Ryder (Winona Horowitz de son vrai nom), c'est avant tout un archétype fort : celui de la jeune fille à l'âme tourmentée. Dans Beetlejuice (1987), histoire d'un couple trépassé faisant appel à un infernal exorciseur, elle affirme carrément "qu'être mort, c'est super classe". Son style parle pour elle, entre make-up ténébreux et robe rouge-sang. D'ailleurs, ces fringues noires et cette frange étaient déjà les siennes avant le début du tournage.
Une propension au morbide qu'elle assume comme personne. En proposant par exemple à Francis Ford Coppola le scénario de son Dracula (1992) - elle y incarnera la tragique et troublée Mina. Mais aussi en interprétant une femme persécutée à Salem dans La chasse aux sorcières (1996).
Ou encore une patiente (apparemment) atteinte d'un trouble de la personnalité borderline dans le film Une vie volée. Il faut dire que dès sa première apparition à l'âge de douze ans devant la caméra de David Seltzer, la comédienne évoquait... le Roméo et Juliette de Shakespeare. On reconnaît déjà là le côté tragédienne de cette actrice très romanesque. Un autre livre marquera sa carrière : Les Quatre Filles du Docteur March, dont l'adaptation de 1994 lui vaudra une nomination à l'Oscar de la meilleure actrice.
Née dans une communauté hippie sur la côte californienne, nourrie par les réflexions et écrits des poètes Timothy Leary et Allen Ginsberg, Winona Ryder est le produit d'une éducation très Beat Generation. Très tôt, la jeune femme comprend qu'être contestataire est une philosophie à part entière.
Cette révolte, on l'observe à travers ses choix de carrière, où bien souvent se retrouvent des personnages de marginales, à part, anti-populaires. Au lycée, Winona Ryder arbore une coupe à la garçonne. Ses camarades la harcèlent. De cette douloureuse expérience, elle tirera l'un de ses plus grands rôles : la protagoniste effacée du teen movie culte Heathers (Fatal Games en VF, 1988), écrit par le scénariste de Batman le défi.
Dans ce film satirique et cruel, elle s'associe au bad boy du bahut (incarné par Christian Slater) pour renverser l'ordre établi... jusqu'au chaos. "Son agent trouvait son rôle beaucoup trop macabre, les gens lui déconseillaient tous ce film", nous apprend le documentaire Winona Ryder : une actrice habitée.
Agent qu'elle finira même par virer, pour un rôle qui est avant tout celui "d'un ange vengeur à la Bonnie & Clyde, qui exprime un dégoût du monde actuel, et une provocation envers l'establishment", analyse le docu d'Arte. Contestation de l'autorité, jeunesse rebelle, ton désabusé : l'ancienne élève de l'American Conservatory Theather de San Francisco pose clairement les bases d'une décennie marquée par le mouvement grunge.
"Je n'avais jamais vu d'héroïne comme ça. Dans ce genre de films les femmes ne survivent pas ou alors elles sont sauvées par des mecs. C'est révolutionnaire de voir une femme se battre de cette manière !". Ces mots, Winona Ryder les dédie à l'une de ses plus grandes sources d'inspiration : la comédienne Sigourney Weaver et son alias à l'écran, le personnage de Ripley dans le film Alien - premier choc cinématographique de Winona.
Saga et actrice qu'elle rejoindra d'ailleurs pour le quatrième opus, Alien : la résurrection (1997). Comme Ripley dans le premier Alien, Winona Ryder fait de sa force un habile mélange de vulnérabilité et d'affirmation de soi. Elle incarne toujours une forme d'étrangeté, détachée des normes de la société patriarcale, du désir masculin, et parfois même du monde des humains - c'est notamment le cas devant la caméra de Jean-Pierre Jeunet.
Normes dont elle se joue volontiers en se réappropriant le stéréotype de la pom-pom girl dans Edward aux mains d'argent (1990), love-story à la fois lumineuse et crépusculaire. Adieu la couleur de cheveux brun ténébreux, bonjour le blond bright : avec ce rôle, Winona Ryder témoigne de son caractère insaisissable.
Une liberté qui la définit bien, elle, la comédienne capable de jouer une gamine catho (Les deux sirènes) comme une bouddhiste mourante (la rom'com Un automne à New York avec Richard Gere). Eclectique.
"Grandir devant les yeux de milliers des gens, c'est une telle pression : soit on passe outre, soit on meurt. Ca peut vous briser", déclare l'actrice dans le documentaire d'Arte. Cette pression, Winona Ryder la ressentira toute sa vie durant. Jugée pour ses rôles, ses gestes, ses propos, son couple (sa relation avec Johnny Depp dans les années 90 fut très médiatisée)... Et pour sa carrière aussi.
Lorsque Coppola la veut pour le troisième opus du Parrain, l'actrice doit refuser : elle souffre d'une infection des voies respiratoires. Sa santé physique, mais aussi le profond burn out qu'elle éprouve (et qui la poussera même à se faire interner en hôpital psychiatrique), la casera dans la catégorie des actrices prétendument "trop fragiles pour Hollywood". Sur le tournage de Dracula, le cinéaste lui fera d'ailleurs vivre un enfer.
Au début des années 2000, Winona Ryder est jugée pour une affaire de vol à l'étalage. Vol de vêtements au montant estimé... à 5000 dollars. Elle fait la Une de tous les tabloïds, écope d'une amende et de travaux d'intérêt général. Sa carrière semble fichue. "Les gens se sont dit : on ne peut plus travailler avec cette fille, elle est folle. Ca aurait peut être pu passer pour un homme mais pas pour une femme", relate l'une des interlocutrices du documentaire.
Après quelques rôles secondaires (dans le très remarqué Black Swan notamment), le retour aux affaires avec la série fantastique Stranger Things était tout à fait inespéré pour l'actrice. Au sein du show elle incarne le rôle de Joyce Byers, qui lui vaudra plusieurs nominations, notamment aux Golden Globes et Screen Actors Guild Awards. Un come-back sur le devant de la scène qui ne peut que réjouir les cinéphiles, et les nostalgiques que nous sommes.