Je n'ai pas de smartphone. Mais j'ai un téléphone portable.
Non, je ne vis pas à l'âge de pierre. Je lutte simplement contre moi-même et mes plus bas instincts. Celui de la perte de la maîtrise de mon temps et de mon attention.
Je n'ai pas Uber, je n'ai pas GoogleMap, je n'ai pas Spotify, je ne joue pas à Candy Crush, je ne regarde pas de séries sur petit écran, je ne consulte jamais les horaires de transport, ne réserve pas mes billets de train sur mobile, ni ne gère mon compte en banque.
Ce qui me vaut deux trois commentaires déconnectés comme celui d'une collègue, que dans l'histoire nous appellerons Fifouillon pour conserver son anonymat.
Un matin que nous discutions de l'actualité entendue à la radio, elle me lance depuis l'autre bout du bureau : "Mais comment tu fais pour écouter la radio, t'as pas de portable ?"
Voilà, ma vie sans téléphone portable se résume à ça : une longue série de malentendus. Au passage, j'ai une radio, technologie démocratisée au début du XXe siècle.
Un autre jour que je devais travailler depuis chez moi et faire un entretien téléphonique, ma cheffe me dit : "Mais t'as un téléphone ?". Oui, j'ai un téléphone, je n'ai juste pas de smartphone.
"T'as qu'à rentrer en Uber !".
J'ai pas de smartphone.
"T'as pas vu mon message sur Watsapp"
J'ai pas de smartphone.
"Je t'ai envoyé un mail".
Je ne suis pas derrière mon ordi.
Ce que je fuis, c'est ce qui me rattrape déjà au quotidien en tant que journaliste. L'accélération du temps et l'infobésité. La surabondance d'informations qui m'aspire et m'empêche de me poser et de réfléchir. Twitter est par exemple une formidable source d'informations en matière de féminisme mais un accapareur de temps de premier ordre.
Alors ce que je fuis, c'est l'accaparement de mon attention par des gens qui lui en veulent.
Une fois, ayant cassé mon portable, j'ai passé trois mois sans téléphone, prenant au passage mon conjoint excédé pour mon secrétaire. N'en pouvant plus, il m'a fourni un téléphone à touches acheté 15 euros que j'ai gardé de longs mois.
Un jour, amusée et un peu triste pour moi, ne comprenant pas mes choix, une personne de mon entourage bien attentionnée, m'a donné, sans qu'il soit de toute dernière génération, un smartphone. Dont je n'ai utilisé pendant quatre ans que les fonctions téléphone et SMS, jusqu'à ce qu'il tombe et ne s'allume plus.
Aujourd'hui, j'ai un petit Samsung que j'ai récupéré, qui ne me sert qu'a appeler et envoyer des SMS. Fifouillon un jour me dit : "Il est tellement petit qu'il est mignon." Sauf qu'à une époque, celle des Nokia 3310, beaucoup se seraient damnés pour avoir ma merveille.
Mon précédent portable lui aussi m'avait été donné. Adepte de la consommation raisonnée, même si je devais me racheter un téléphone, jamais je ne dépenserais un demi-smic pour devenir esclave de l'électronique.
Je peux passer deux, voire trois semaines sans téléphone. Le laissant dans un fond de sac, son chargement étant une corvée. Le rallumant seulement pour ne pas donner l'impression à mon conjoint que j'ai disparu.
Je lutte chaque jour pour ne pas devenir comme les zombies du métro, ou ceux et celles qui manquent de me rentrer dedans quand je suis à vélo et qui traversent sans regarder alors que le feu est rouge.
A tous et toutes les accros du portable, ne paniquez pas. On peut largement vivre sans smartphone. On utilise les bus de nuit et pas une application qui ne paie pas ses impôts en France. On lit plus, on achète la presse plutôt que de la consommer gratuitement, on regarde ses trajets avant de partir.
Ce faisant, j'ai d'ailleurs développé un bon sens de l'orientation, tout simplement parce que je regarde mon trajet avant de partir, je sais me débrouiller dans l'espace sans avoir le nez collé à GoogleMap et j'observe ce qui m'entoure pour me repérer.
Aussi, je ne suis pas malpolie en ne sortant pas mon téléphone en plein déjeuner pendant qu'une amie me parle pour répondre à mon Messenger.
Pour le travail, on s'organise. Si je dois réaliser un direct sur internet d'une manifestation par exemple, le bureau me prête un téléphone. Une fois, j'ai eu un moment gênant, il faut le dire. La peur que la technique me lâche pendant une interview filmée et la méconnaissance totale de l'Iphone m'a fait passer, je pense, pour Raphaël Mezrahi devant une interviewée.
Pourtant, je vais vous le dire, je triche. J'ai en ma possession un appareil photo magique, qui n'a tellement pas marché commercialement parlant et qui étonne tout le monde quand je le sors. Un appareil photo numérique, qui fonctionne sous Android, mais sans téléphone, sans crédit, et qui n'a internet que sous wifi.
Paradoxalement, l'utilisation de cet objet me conforte dans mon choix de ne pas avoir de smartphone.
Il grignote de plus en plus de mon temps. A la maison, parfois au travail qui disposent tous les deux du Wifi. Je deviens peu à peu malgré moi esclave de cet appareil, qui me donne l'impression de tourner en rond et de passer ma vie sur les réseaux sociaux.
Sous la pression familiale, et après avoir renâclé des mois, j'ai installé WhatsApp pour communiquer avec des membres éparpillés façon puzzle. Puis pour le travail, j'ai installé Instagram. J'ai fini par suivre quelques comptes et me laisser un peu happer. Je scrolle de plus en plus Twitter avant de m'endormir.
La multiplication des canaux de communication, entre les SMS, WhatsApp, Messenger, les mail, les hangout m'effraie. On doit être à chaque instant disponible.
Et c'est de ça qu'il est aussi question : ne pas être sans cesse à disposition. Avoir du temps pour soi, pour mon cerveau. Lire, le journal, des livres (les heures passées dans le métro à lire plutôt que de regarder Twitter m'ont permis d'écrire tous mes #BouquinClub). Aller dehors quand il fait beau. Jardiner. Se cultiver.
Alors cet appareil photo, que j'utilise plus souvent depuis un an, me grappille du temps de ma vie, petit à petit. Je le vois bien. Mais je lutte pour ne pas finir mangée toute crue par lui. Je m'engueule.
Si au début, le refus d'avoir un smartphone pouvait être un anticonformisme primaire, aujourd'hui je le sais après de longues discussions avec mes collègues, je ne fais que lutter pour être maîtresse de mon temps.
Essayez donc de vivre une semaine sans portable. Vous dormirez mieux, vous lirez plus, vous observerez plus le monde qui vous entoure.