Chaque été, la question revient, comme une obsession : dois-je éteindre mon portable ? Mettre mon appareil photo en "off" ? Déserter Instagram le temps de quelques bouffées d'air d'air frais ? Car si je quitte mon chez-moi, alors pourquoi ne pas fuir mon environnement numérique du même coup ? Logique, non ? Si je prends la poudre d'escampette pour voir du paysage, peu m'importe au fond de le montrer aux autres...
Et pourtant, ce que l'on appelle communément la "détox numérique" ne se règle pas d'un claquement de doigts. Cela exige un effort psychologique aussi bête que complexe, à l'heure où nos clics frénétiques et nos tapotages de claviers ont tout du réflexe pavlovien. Dans cette catégorie se trouve le passage obligé de nos moindres escales : faire des photos. Sortir smartphone ou Canon et fusiller les rues, monts et vallées alentours. Pour mieux partager le résultat sur nos réseaux sociaux, la plupart du temps. Et si cette pratique était toxique ? Et si cette année nous décidions de jeter nos objectifs aux oubliettes ? Une bonne fois pour toutes ? Allez, essayons.
Et si nous lâchions notre appareil photo durant les vacances ? C'est là l'idée de Rosita Boland, une voyageuse en solo qui nous dit tout chez Stylist. Cette âme itinérante a une philosophie de vie, et elle s'y tient : sur tous ses voyages, elle est partie seule, et sans jamais prendre de photos. A la place, elle préfère tenir un journal. C'est comme si l'abandon de l'appareil garantissait un recueillement bien plus intense. Ce "choix conscient" est tout d'abord pratique (au moins, on ne risque pas de lui voler ce précieux objet) mais également psychique. Sans appareil à trimbaler, aucune visée, et aucune pression. L'expérience qu'elle vit, elle l'écrit de A à Z. Sans être conditionnée par cette névrose du cliché parfait que nous connaissons tous - si si, ne niez pas.
"Je voulais juste vivre ce moment", explique la photographe. En gros, ressentir l'instant sans objectif, sans Instagram, et donc : sans filtre. Éprouver (enfin !) la vérité nue et spontanée de ce qui l'entoure. Et c'est aussi l'assurance de ne pas chercher la mise en scène à tout prix, dans un monde où tout l'est déjà - mis en scène, calculé, déguisé. Au contraire, il s'agit d'être "pleinement présent" et de profiter au maximum de la qualité de l'immédiat. Les couleurs des paysages, leurs formes et leur richesse, à l'oeil nu.
Car le lâcher d'appareil répond à une conception du voyage plus épurée. On en revient à l'essentiel. Et qui, sait, il peut même être un premier pas vers de futures pérégrinations encore moins matérialistes, dépourvues de tout lest superflu. Pourquoi pas ? Calmez-vous cependant, laisser votre gadget à la maison ne fait pas de vous un casse-cou à la Man versus Wild.
Ce retour à l'essentiel fait du bien, physiquement et moralement. Il est en cohésion avec un autre retrait, celui des réseaux sociaux. Temps court, instantanéité à tout prix et dictature du clic s'évaporent dès lors. Paradoxalement, lâcher l'appareil permet de prendre du recul. De se protéger aussi, confie la voyageuse, qui avoue ne jamais rien publier sur les réseaux sociaux "car [elle] aime garder certains éléments de [sa] vie privés". Elle ne souhaite pas que ses abonnés sachent où elle est, ce qu'elle fait, ce qu'elle est. A la place, elle préfère adresser des lettres. Une autre façon, plus vintage et lointaine, de rendre compte de ses dépaysements. Plus créative également. Et puis surtout, avouons-le, beaucoup moins chronophage.
Ne pas prendre de photos - au-delà d'épargner à ses ami·e·s les insupportables séances projos et autres portfolios épars sur Whatsapp - c'est aussi se rendre compte de nos excès actuels. Alors qu'Instagram confère à nos vacances respectives et à nos bonheurs fugaces des airs de concours (tout doit être toujours plus beau et plus bleu) se séparer de nos technologies quelques jours permet de rester les pieds sur terre. L'idéal pour l'introspection. Et n'est-ce pas aussi (un peu) à cela que servent les voyages ? C'est d'ailleurs ce qu'explique cet éclairant article de Glamour : la photo 2.0. est une source de vantardise, bien plus que de récits inspirants. A l'inverse, sans appareil, précise la journaliste, le ressenti l'emporte sur l'apparence. Pas d'efforts à fournir pour avoir l'air impec' sur les selfies : il n'y en aura pas. Et l'on peut dire adieu à toute l'anxiété qui va avec.
"La plupart des gens aiment prendre des photos quand ils partent explorer le monde. Je ne suis tout simplement pas l'un d'entre eux", tempère cependant notre voyageuse. Alors calmos sur les leçons de morale un brin relous. L'idéal reste évidemment de trouver votre juste équilibre. De tenter la "detox" comme un challenge ludique. Qui sait quelles vertus vous pourriez y trouver ? Tout comme il serait injuste d'ignorer les bienfaits de notre appareil photo, ce compagnon fidèle dont l'on peine tout de même à se détacher.
Car par-delà les qualités artistiques de vos créations, l'appareil photo est comme votre billet de train ou d'avion : lui aussi vous embarque ailleurs. Lors d'un voyage, prendre une photo peut être une forme de pression, certes, mais c'est aussi un jeu ou une danse. On flâne, s'arrête, accoure, se positionne pour "flasher" avec le plus de justesse. En faisant cela, c'est un regard différent, plus précis, exigeant et panoramique que l'on accorde à tout ce qui nous entoure. Une attention accrue que nous n'aurions pas forcément sans l'injonction photographique. En un sens, la photo ne nous éloigne pas du réel et de son expérience : elle l'exacerbe. Selon les sensibilités.
Mais comme tout ami complice, peut-être est-il bon de lui dire "goodbye" pour mieux le revoir quelques temps après. Les retrouvailles n'en seront que meilleures. "Ce n'est pas une compétition. Il n'y a pas de règles", précise encore la voyageuse chez Stylist. A vous de créer les vôtres ! Sans oublier au passage cet adage signé Glamour : "certes, une image peut valoir mille mots. Mais parfois, mieux ne vaut pas en prendre vaut un million".