"J'avais une belle vie et il a fallu que j'aille accoucher pour avoir un traumatisme de viol", "Ce n'était plus un accouchement, c'était une scène de massacre". Elles témoignent face caméra, la voix parfois étranglée par les sanglots. Car si ces femmes devaient vivre l'un des plus beaux jours de leur vie, elles ont vécu l'enfer. Césarienne à vif ou épisiotomie imposée, remarques humiliantes et infantilisantes... Les victimes de violences obstétricales osent enfin parler de ces maltraitances qu'elles ont subies lors de leur accouchement. Pendant deux ans, la réalisatrice engagée Ovidie a recueilli la parole de ces mères traumatisées, profondément marquées par ce qu'elles considèrent comme des "agressions" qui ont laissé des stigmates dans leur chair et brisé leur psyché.
Si le sujet commence peu à peu à émerger dans le débat, notamment grâce à la vitalité militante des réseaux sociaux, le tabou de ces violences infiniment intimes peine à être totalement levé. Et ces souffrances se heurtent à des soignants sur la défensive et une profession arc-boutée qui s'abrite derrière le manque de moyens.
En une heure implacable, Ovidie signe un documentaire à la fois sensible, politique et salutaire pour appréhender cette réalité brutale trop longtemps passée sous silence. Et pour appeler à une remise en question des pratiques.
Ovidie : Je ne suis pas réputée pour travailler sur des sujets super joyeux (rires). Cela fait plusieurs années déjà que je travaille sur la question de la sexualité et de l'intime. J'ai toujours fait de la question de la sexualité quelque chose d'éminemment politique. C'était pour moi la suite logique de m'attaquer à la question de l'accouchement qui a déserté la littérature militante depuis pas mal de décennies et a refait surface vers 2014 sur les réseaux sociaux. Ces enjeux me semblent politiques, féministes et idéologiques. Et ça recoupe les questions de sexualité car c'en est le prolongement, mais aussi les questions de consentement qui sont particulièrement abordées en ce moment.
O. : Oui, et c'était indispensable. Dans les années 60 puis dans les années 70, c'était l'urgence. Il y avait un tel enjeu au niveau de ces questions de planification des grossesses que je comprends que les questions autour de l'accouchement aient été délaissées. Une fois que ces problèmes-là ont été réglés, à partir des années 90, on s'est aussi préoccupé des questions de genre. On pensait que la question de l'accouchement était réglée. Car entre temps, il y avait eu la péridurale par exemple.
De fait, le sujet a disparu des combats féministes jusqu'au début des années 2010. Et c'est quelques années plus tard que le problème des violences obstétricales a commencé à émerger : c'est d'abord sur les forums que la parole a commencé à se délier et l'accélération s'est faite sur Twitter, avec la création des hashtags #Paietonutérus ou #Paietongynéco.
On se rend compte que cette libération de parole s'est produite dans plusieurs pays simultanément sans concertation. Ça a commencé à bouger dans des pays plutôt catholiques comme la France, l'Italie ou en Amérique du sud, surtout en Argentine et au Venezuela où ils ont carrément légiféré sur les violences obstétricales.
O. : Oui, c'est la même chose que pour #MeToo. Il y a cette idée que si le bébé va bien et que tout le monde est rentré vivant de la maternité, pourquoi se plaindre ? Et puis, ça touche à l'intime ! Ce n'est pas facile quand on retourne au boulot ou qu'on fait ses premières sorties après l'accouchement de dire : "J'ai des points jusqu'à l'anus. Autant vous dire que j'ai mal de chien quand je m'assoie". On ne peut pas dire non plus : "Non, ça ne va pas, il m'a charcutée" ou "Je viens d'accoucher et je suis morte de l'intérieur". C'est censé être le plus beau moment de notre vie...
O. : Oui, cela n'a pas été super facile. Il y a toujours la crainte que quand on se plaint, c'est qu'on n'aime pas vraiment son enfant et qu'on n'est pas une bonne mère. Et ça touche tellement au privé, à la sexualité... Il y a un truc qui m'a toujours crispée, ce sont ces SMS ou posts Facebook que l'on reçoit : "Trucmuche est née, elle fait 3,5 kilos, maman et bébé vont bien". Mais je n'ai jamais reçu de SMS disant "Mathilde est née, c'est un beau bébé et maman a une épisiotomie de 15 points et elle aura besoin de votre soutien à l'avenir" ! Quand on rend visite à la maternité, il faut vraiment être seule avec la nouvelle maman pour qu'elle lâche le morceau et balance qu'elle ne peut plus s'asseoir ou aller aux toilettes...
O. : L'histoire du viol, c'est quelque chose dont on parlait déjà il y a quelques années et qui avait profondément blessé certains soignants. Et je me rappelle de sorties médiatiques de représentants des gynécos qui sous-entendaient que ces femmes-là avaient fantasmé sur leur médecin, ce qui n'était absolument pas le cas.
Dans leur travail, les soignants ne sont pas dans une optique sexuelle. Ils ne sexualisent pas l'acte, ils ne s'excitent pas sur la patiente. Et personne ne prétend cela. Mais ce qu'ils ne comprennent pas, c'est que si eux ont désexualisé leurs pratiques médicales, la femme qui est à l'autre bout du vagin (et qu'ils ne regardent pas forcément), elle, elle n'a pas désexualisé cette partie de son corps. Toute pénétration aussi médicale soit-elle qui est réalisée sous la contrainte, la menace ou la violence, tombe dans la définition du viol.
En tout cas, ces femmes développent des symptômes qui sont identiques à celles d'un viol. Elles vont développer des vaginismes carabinés avec des contractions du périnées qui vont faire qu'elles ne vont plus avoir de rapports sexuels dans les premiers mois ou premières années post-accouchement. Certaines m'ont rapporté des bourdonnements d'oreille aussi. Cela ressemble à des séquelles post-traumatiques. Et puis il y a l'incapacité à se concentrer, de retravailler, une image qui tourne en boucle... Je comprends que cela fasse mal au coeur aux soignants, d'autant qu'ils galèrent déjà eux-mêmes dans leurs conditions de travail. Mais il faut écouter ces paroles-là.
O. : J'étais un peu extérieure à tout cela, j'observais. Et ce qui m'a frappée pendant ces deux années à faire ce film, c'est l'incapacité à s'écouter. Le dialogue est ultra-compliqué. Mais on peut reconnaître à Israël Nisand qu'il a participé au film alors qu'il se doutait qu'on ne serait certainement pas d'accord. Il a tendance à réduire la maltraitance à des problèmes de budgets et de moyens. Cela s'entend, mais ça n'explique pas tout.
O. : Deux choses me confortent dans l'idée que ce n'est pas qu'un manque de moyens : il y a aussi des violences, de l'infantilisation, dans les cabinets de gynéco où il y a pas de manque de moyens ou d'urgence. Il y a aussi la question de l'anesthésie : un accidenté de la route ou un mec qui arrive avec un bras ouvert, on va anesthésier pour recoudre ou avant de lui ouvrir le buffet. Alors qu'on m'a rapporté des témoignages de césariennes à vif ou des sutures d'épisiotomie sans anesthésie locale.
Plein de choses comme ça posent question et l'un des éléments de réponse est que... l'on est censé en chier ! Culturellement, on a intériorisé cette idée de douleur. Le "Tu enfanteras dans la douleur" est profondément ancré dans nos cultures et a fortiori dans les pays catholiques.
O. : Oui, ils n'ont juste pas voulu me parler ! Autant les sages-femmes m'ont bien accueillie et les aide-soignants aussi avec qui j'ai passé des gardes entières, autant les gynécos ne voulaient même pas m'expliquer pourquoi ils ne voulaient pas me parler, en dépit des réunions préalables des mois en amont du tournage. Ils estiment qu'ils n'ont pas à dialoguer.
O. : Il suffit d'écouter les femmes. Ces femmes-là ne sont pas sottes. Elles comprennent ce qui se passe dans leur corps, elles savent ce qu'elles veulent et ne veulent pas. Quand il y a des gestes d'urgence, elles sont capables de comprendre ce qu'il faut faire ou pas. Et il faut les écouter en amont aussi lors de la préparation. Il y a des outils qui existent comme le "projet de naissance" qui est un bon outil de discussion entre les équipes et les femmes. On est un paquet de femmes à avoir subi des agressions dans notre vie et cela peut servir de dépistage, car il y a certaines femmes qui ont subi de telles violences sexuelles qu'endurer des touchers vaginaux à répétition, cela peut être compliqué par exemple.
La solution, c'est vraiment d'accepter cette idée de dialogue, ne pas mépriser ces femmes qui arrivent en se disant : "Elle s'est renseignée sur Doctissimo et elle va m'apprendre mon métier !". Alors que non, ce qu'elles disent, ce sont de vrais cris du coeur.
Oui, je n'ai pas eu de problème. Mais j'ai quand même noté quelques paroles infantilisantes fort désagréables. Je gérais quand je suis arrivée, les heures passaient et régulièrement, on venait me voir pour me menacer sur le fait que l'anesthésiste allait partir. "Il ne faudra pas vous plaindre, hein ?". Alors qu'ils auraient pu juste me féliciter de gérer la douleur. Je suis sortie de là sans traumatisme, sans déchirure. Mais j'ai noté que tout le monde dans l'équipe n'était pas super malin.
Tu enfanteras dans la douleur,
Un documentaire d'Ovidie
Diffusion mardi 16 juillet 2019 à 22h40 sur Arte