Trois pommes à croquer : trois booklets autour du sexe du cerveau dans la collection des « petites pommes du savoir » aux éditions du Pommier à vocation scientifique et pédagogique : « Hommes et femmes avons nous le même cerveau ? »(2007), « Le cerveau évolue-t-il au cours de la vie ? »(2010), « Les filles ont-elles un cerveau fait pour les maths ? » qui est sorti cette année. Leur auteure est Catherine Vidal directrice de recherche à l’Institut Pasteur de Paris* qui mène parallèlement à sa brillante carrière scientifique, un combat permanent contre les idées archaïques qui traînent encore sur les prétendues différences naturelles entre le cerveau masculin et le cerveau féminin. Utile quand on sait qu’un tiers des citoyens français pensent, comme le montre un sondage fait par Médiaprism en novembre 2011 pour le Laboratoire de l’égalité**, que ce petit organe essentiel est sexué et que les filles sont moins douées que les garçons pour les maths et les sciences.
Le fil rouge de chaque ouvrage est clairement exprimé par son titre. Chacun d’eux peut se lire indépendamment des autres tout en étant complémentaire. Mais si on les découvre il vaut mieux commencer par « Le cerveau évolue-t-il au cours de la vie ? », qui détaille davantage les connaissances sur le cerveau et son développement. Catherine Vidal y montre comment le fonctionnement du cerveau est devenu lumineux, au sens propre et figuré, grâce à l’imagerie cérébrale par IRM. Celle-ci permet d’en voir les différentes structures et les zones qui sont activées lors des situations vécues, lors de différents tests de langage, de calcul etc. L’IRM permet de découvrir en particulier comment le cerveau se façonne en fonction de l’apprentissage. « Ainsi chez les musiciens soumis à une pratique intensive pendant l’enfance, on voit des épaississements des régions du cerveau qui contrôlent la motricité des mains, la vision, l’audition », explique Catherine Vidal. Ce phénomène est dû à la fabrication de synapses, il est proportionnel à l’intensité et à la durée de la pratique. Mais attention, si l’exercice cesse les traces s’estompent et la maîtrise aussi.
Le petit bébé humain, poursuit l’auteure, possède un capital de 100 milliards de neurones. Seulement 10% d’entre eux sont alors interconnectés. Un cerveau humain d’adulte possède en moyenne un million de milliards de connections et chaque neurone est connecté à 10 000 autres. « Cela signifie que 90% des connections se fabriquent en relation avec l’environnement au fil des apprentissages, des expériences, tout au cours de l’existence. » L’enfance constituant évidemment une période de plasticité maximale. On comprend dès lors comment un cerveau est toujours singulier puisque chaque histoire de vie est singulière. Et donc « à chacun son cerveau » comme l’exprime l’auteure. Les connexions sont d’autant plus nombreuses que les relations avec l’environnement sont riches et stimulantes. Bonne nouvelle : on peut acquérir de nouvelles synapses tout au long de la vie, y compris après de graves traumatismes cérébraux, tant le cerveau est plastique : « La plasticité est cette capacité du cerveau de se modeler selon l’expérience vécue… rien n’est jamais figé » affirme la neurobiologiste. C’est la grande découverte de ces dernières années.
L’observation par l’IRM remet en cause les théories anciennes sur les différences de cerveau entre les hommes et les femmes. Il faut dire que depuis que le cerveau est devenu un objet d’études scientifiques, les hypothèses les plus folles ont couru. Consciemment ou pas, la science est souvent au service d’une idéologie. Puisque les femmes étaient présumées moins intelligentes que les hommes comme l’affirment la plupart des penseurs mâles depuis Aristote en passant par Jean Jacques Rousseau, Schopenhauer, jusqu’aux tenants actuels de la psychologie évolutionniste et bien d’autres, il fallait trouver une raison biologique aux différences supposées. On y est donc allé comme le décrit Catherine Vidal, des différences de bosses, de taille, de développement des hémisphères, de l’importance du corps calleux, on en passe, pour expliquer les différences. Or l’IRM prouve qu’il n’y a pas plus de différence entre le cerveau d’une femme et d’un homme qu’entre deux cerveaux du même sexe. Les conditions biologiques de base étant réunies, en l’absence de handicap majeur, leur configuration va dépendre des interactions avec l’environnement. « C’est cette construction progressive en lien avec l’environnement familial, social, économique, culturel qui façonne notre personnalité : nos traits de caractère, nos aptitudes, nos goûts, notre identité de femme et d’homme ». C’est elle qui permet de comprendre comment nous véhiculons les stéréotypes qui sont des idées reçues dès l’âge le plus tendre. On les croit « vraies » puisqu’on nous les enseigne comme celle des différences d’aptitudes entre les filles et les garçons, et on les remet difficilement en question. Or elles ne sont le plus souvent que le produit de vieilles croyances perpétuées par une éducation et instrumentalisées désormais par le marketing et les médias (filles-Barbies en rose, garçons-Ken en kaki ; femmes collaboratrices, hommes chefs). François Jacob disait à juste titre : « L’être humain est génétiquement programmé, mais programmé pour apprendre. Les apprentissages créent les différences. »
« Dans leur jeune âge, les filles ont les mêmes capacités cérébrales que les garçons. Et, paradoxalement, elles sont moins nombreuses à choisir des études scientifiques. C’est d’ailleurs en se basant sur le fait que les garçons choisissent en plus grand nombre les filières scientifiques que des études ont pu conclure que les filles étaient moins bonnes », développe l’auteure. On en connaît les raisons, comme l’orientation automatique des garçons-futurs chefs de famille vers les filières susceptibles de déboucher sur des statuts et des rémunérations élevés et celle des filles, censées fournir un salaire complémentaire, vers les filières littéraires. Ces stéréotypes sont intégrés à la fois par les éducateurs, les parents, et les élèves eux-mêmes. Or les écarts de performance en maths entre les filles et les garçons dépendraient de la culture égalitaire de leur pays « dans les pays où l’émancipation des femmes est faible comme la Turquie, la Corée, l’Italie, les écarts sont importants ; ils sont moindres au Portugal, en France, et en Pologne. Il n’y a pas de différence en Norvège et en Suède ».
Clairs, pédagogiques, nourris d’exemples et accessibles, ces ouvrages devraient être mis dans toutes les mains. Ils permettent de comprendre les processus passionnants qui sont à l’œuvre dans nos cerveaux, mais aussi de prendre du recul et de pouvoir remettre en question, déconstruire, puisqu’il s’agit de normes construites, les stéréotypes qui bloquent les évolutions sociétales et l’acquisition d’une culture de l’égalité partagée par les femmes et les hommes.
* Auteure notamment de « Cerveau, sexe et pouvoir » avec Dorothée Browaers, Belin 2005
**www.laboratoiredelegalite.org
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