Sylvie Ayral a été institutrice en milieu rural pendant 15 ans et enseignante d’espagnol en lycée et collège. Professeur agrégé, docteur en sciences de l’éducation, elle est membre de l’Observatoire international de la violence à l’école. Elle est l’auteur d’une recherche intitulée : « La fabrique des garçons »(PUF), qui démontre les effets pervers des stéréotypes sexistes sur les comportements à l’école.
Sylvie Ayral : Le manuel Hachette mentionne par exemple que « le sexe biologique nous identifie mâle et femelle, mais ce n’est pas pour autant que nous pouvons nous qualifier de masculin et de féminin ». La formulation me semble non seulement très modérée mais tout à fait scientifique : est-ce parce que nous avons des chromosomes XX que nous nous mettons du rouge à lèvres, des boucles d’oreille et que nous avons un goût immodéré pour les poupées et la couleur rose ? A l’inverse, est-ce que la testostérone nous condamne à être compétiteurs, violents ou adeptes des sports mécaniques ?
Les travaux scientifiques, justement, n’ont-ils pas permis de déconstruire ces croyances en mettant à jour les irrégularités de la théorie binaire des sexes, montrant par là même que cette dernière est avant tout une idéologie ? Une des convictions les plus répandues est que notre destin serait déterminé par notre sexe biologique. Mais sait-on que certaines personnes naissent avec des chromosomes XXY ? XYY ? Que d’autres naissent avec des chromosomes XX et produisent de la testostérone ? Qu’environ 1,76% des enfants naissent intersexuels, c'est-à-dire avec des caractéristiques des deux sexes et sont soumis dès la naissance à une longue et pénible série d'opérations chirurgicales et à un traitement hormonal à vie, destinés à leur assigner un sexe donné ? Qu’ensuite il leur faut, tout au long de leur existence, tenter de faire correspondre leurs comportements sociaux à ce sexe que l’on a choisi pour eux et que c’est peut-être le plus douloureux ?
S. Y. : Il est paradoxal d’accuser une « théorie importée des Etats-Unis », alors que les mouvements qui soutiennent les pétitions contre le genre à l’école sont profondément inspirés de la Science chrétienne et des idéologies fondamentalistes américaines… Soyons exacts et, pour une fois, soyons chauvins : qui a écrit « On ne naît pas femme, on le devient ? ». C’est Simone de Beauvoir en 1930, et tout le mouvement féministe international (Judith Butler comprise) reconnaît dans « le Deuxième Sexe » un ouvrage fondateur pour les « études de genre » ou gender studies.
Pour résumer, le concept de « genre» distingue le sexe biologique et le sexe social en mettant l’accent sur le caractère culturellement et historiquement construit des modèles de comportements sexués. Il montre que les valeurs associées à chaque sexe sont structurées dans une relation non seulement d’opposition mais surtout de hiérarchie, les valeurs « masculines » étant presque systématiquement considérées comme supérieures. Il invite à considérer les différences non seulement entre les hommes et les femmes mais aussi entre les femmes elles-mêmes ou les hommes entre eux, en cessant de les considérer comme deux catégories distinctes et homogènes.
S. Y. : La polémique actuelle vient surtout, à mon sens, premièrement de ce que les études de genre dénoncent l’hétéronormativité ambiante, injonction à l’hétérosexualité, norme dominante fondée sur la représentation binaire, complémentaire, constitutive de l’espèce humaine ; deuxièmement de la critique majeure qu’elles opèrent de la production d’un savoir androcentrique et d’un ordre où les hommes continuent à être dominants dans tous les espaces du pouvoir (politique, économique, scientifique etc.).
Introduire les études de genre au lycée c’est questionner l’ordre social établi, questionner les symboles identitaires les plus profonds de notre société, brouiller nos lectures stéréotypées : d’où le malaise des adultes beaucoup plus que des élèves, d’ailleurs ! D’où, surtout, le besoin impérieux de formation des enseignants à qui l’on demande d’aborder ces thèmes et qui sont très mal à l’aise ou en colère parce que pas préparés.
S. Y. : Lorsque les professeurs de SVT font cours sur la sexualité et la reproduction, quelles sont les questions que se posent les élèves ? Peut-on s’en tenir à un discours sur les gamètes et les ovocytes ? La question du plaisir, de la violence sexuelle, de la diversité des orientations, de la procréation ne sont-elles pas au cœur des préoccupations de ces jeunes qui passent quarante heures par semaine ensemble au sein des établissements ? Sait-on, par exemple, qu’un jeune homosexuel sur quatre tente de se suicider ? Que les insultes sexistes et homophobes sont les plus fréquentes, au collège, y compris à l’égard des adultes ? Mais aussi que la plupart des garçons font exprès de se faire punir pour gagner l’admiration de leurs pairs, donner des preuves de leur virilité et conquérir les filles ? Que les filles et les garçons les plus faibles subissent fréquemment des attouchements de la part des garçons dominants, et ce, quelque soit le profil socioéconomique de l’établissement ?
S. Y. : Les manuels ne sont que des supports pédagogiques pour initier la réflexion et le débat : cela fait plusieurs années maintenant que l’on se penche, dans les IUFM, sur les stéréotypes de sexe véhiculés par les albums pour enfants ou dans les livres d’histoire. Que l’on réfléchit à comment faire aller les filles vers des domaines professionnels pour lesquels elles s’autocensurent… Que l’on essaie de mettre réellement en œuvre et en « pédagogie » une mixité qui n’est qu’incantatoire, d’améliorer les rapports sociaux de sexe à l’école parce que cela diminue la violence et améliore le « vivre ensemble »… Je me réjouis donc que l’aspect culturel et sociologique de la construction de l’identité sexuée puisse enfin être abordé au lycée avec les principaux intéressés, à condition, je le répète, d’une solide formation préalable des enseignants.
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