On n'est pas sérieuse quand on a 13 ans. Mais on peut avoir de l'aplomb, être indomptable même. Ava (Noée Abita), la jeune héroïne qui a donné son nom au premier film de Léa Mysius, n'a plus l'âge de bâtir des châteaux de sable mais pas encore celui de passer ses nuits d'été dans les bras d'un garçon. En vacances avec sa mère (Laure Calamy) envahissante près de l'océan, l'adolescente va pourtant subir une transformation radicale. Apprenant qu'elle perd la vue plus rapidement que prévu, elle décide de trouver ses propres moyens pour affronter l'inéluctable. Alors Ava se laisse doucement happer par ses autres sens. En volant le chien d'un jeune gitan en fuite (Juan Cano), elle déclenche son entrée dans un monde sensuel, brûlant comme l'été qu'elle traverse.
Présenté à la Semaine de la critique à Cannes, Ava est un film intense, diablement inventif, saturé de soleil et de ciel bleu. Un récit initiatique où amour, libido, et jeunesse s'imbriquent parfaitement, où sexualité et désir féminin sont représentés frontalement mais toujours avec grâce. Rappelant parfois Les combattants ( de Thomas Cailley, présenté à Cannes en 2014) pour son côté "nous contre le reste du monde", ce premier long-métrage est fougueux comme son héroïne, sensuel comme le corps de Juan, décomplexé et féministe comme Maud, la mère de l'adolescente en fuite. On a rencontré Léa Mysius à l'occasion de la sortie d'Ava. Une réalisatrice et scénariste plus que prometteuse, une véritable révélation.
Terrafemina : C'était important pour vous qu'Ava soit âgée de 13 ans et pas d'un an de plus ?
Léa Mysius : Je souhaitais vraiment qu'on se rende compte qu'Ava est encore un peu une enfant. Dès qu'on passe 14 ans, on trouve ça beaucoup plus normal les jeunes filles qui ont des relations sexuelles. C'est jeune, mais on a passé une sorte de cap psychologique. Mais je voulais qu'en apprenant qu'elle va devenir aveugle, Ava se sente pressée. Elle ressent une urgence et cela accélère sa mue adolescente. Donc pour moi, c'était important qu'elle n'ait pas 14 ans mais pas 12 ans non plus, parce que là, c'est vraiment enfantin. Pour moi, 13 ans était un âge charnière. En tout cas, je pense que c'est la vision qu'on a de cet âge dans la société.
Terrafemina : Le rapport au corps tient une grande place dans votre film, le corps qui dégoûte, le corps qui excite aussi. Cette façon de mettre en scène de la chair, c'est quelque chose qui vous est venu tout de suite en écrivant le scénario d'Ava ?
Léa Mysius : La première image qui m'est venue en tête lorsque j'écrivais ce film, c'était celle des corps sur la plage. Cet espèce d'amas de corps, de sueur et de crème solaire, je voulais que ça évoque quelque chose de dégoûtant pour cette jeune fille. Elle doit construire son corps par rapport à la société, par rapport à sa mère, par rapport à elle-même aussi, et je voulais que le trajet du film soit une sorte de libération. Je voulais qu'elle trouve comment être dans son corps, comment s'en servir, en le provoquant, en le mettant en danger, et en se faisant plaisir.
Tf : La sexualité et le désir féminin sont souvent invisibilisés à l'écran. Dans Ava, corps et sexualité sont intrinsèquement liés. Vous évoquez tout ça très librement, on a même droit à quelques scènes plutôt frontales. Ces questions étaient-elles importantes pour vous dès le début ?
L.M. : C'est presque un acte politique de montrer tout ça. Si la sexualité des femmes est peu représentée à l'écran, c'est aussi parce qu'il n'y a pas assez de réalisatrices. Je saurais moins parler de la sexualité masculine parce que je ne l'ai pas vécu, forcément. Je trouve ça important de montrer un sexe féminin, et même de montrer un sexe masculin, de montrer qu'un corps de femme est plus complexe que ce que l'on voit habituellement. Un corps de femme ça vit, ce n'est pas un objet. Le désir féminin a en plus quelque chose de mystérieux. On en parle depuis toujours dans la psychanalyse. C'est quelque chose qui semble moins mécanique que le plaisir masculin – même si je pense que ce n'est pas le cas – mais c'est aussi quelque chose qui est caché. Je trouvais donc ça très intéressant de montrer le plaisir féminin.
Tf : Dernièrement, le cinéma français a été marqué par deux films réalisés par des femmes et mettant en scène des femmes dans les premiers rôles : Grave de Julia Ducournau et Aurore de Blandine Lenoir. Pensez-vous que les films qui mettent en scène des personnages féminins audacieux et complexes ont finalement besoin d'avoir des femmes au scénario ou derrière la caméra ?
L.M. : Je ne sais pas si c'est indispensable, je pense qu'il y a des hommes qui savent très bien parler des femmes. Mais c'est sûr qu'avec mon film par exemple, les rapports sont inversés. Je suis une femme hétérosexuelle et donc c'est l'homme qui devient un fantasme. Pour le coup, le personnage de Juan est presque désincarné, tandis qu'Ava est plus incarnée. Mais c'était mon désir personnel. J'imagine qu'il y a des hommes qui voient les femmes différemment, pour qui elles ne sont pas directement des objets de désir.
Tf : Noée Abita, qui interprète Ava, avait 17 ans au moment du tournage. Comment avez-vous travaillé avec elle pour la faire entrer dans la peau d'une ado de 13 ans ?
L.M. : On a beaucoup travaillé sur le corps, sur la voix, sur sa démarche aussi. Noée a une démarche très féminine. Elle est danseuse, donc elle dégage quelque chose de très altier. Il fallait qu'Ava ressemble plus à un petit garçon, qu'elle ne soit pas très bien dans son corps. Donc on lui a appris à rentrer les épaules, à marcher avec un air un peu buté. Il fallait aussi qu'elle change sa voix, qu'elle pose son regard différemment. Je voulais vraiment qu'elle ait un air buté d'enfant. Quand on allait au restaurant, je lui disais par exemple : "Là, tu dois être Ava quand tu manges, tu dois me regarder comme elle, me parler comme elle". Petit à petit, elle a compris comment Ava se sentait dans son corps, et du coup elle a pu l'interpréter.
Tf : Et comment avez-vous trouvé Juan Cano, qui interprète le jeune homme dont Ava tombe sous le charme ?
L.M. : Pour Noée, tout est allé très vite car j'ai eu un déclic dès qu'elle est venue passer l'audition. Concernant Juan, on a cherché beaucoup plus longtemps, on a vu 300 personnes. On l'a repéré lors d'un casting sauvage. Je suis arrivée, il y avait une dizaine de jeunes de son quartier, lui se tenait un peu à l'écart sous sa casquette, et quand j'ai croisé son regard, je me suis dit : "C'est lui". Je ne savais même pas s'il allait être capable de jouer mais j'ai eu une sorte de coup de foudre. Je fonctionne souvent comme ça en fait.
Tf : Votre film était présenté à la semaine de la critique à Cannes. Et cette année justement, les femmes ont été un peu au coeur du festival. Sofia Coppola a reçu le prix de la mise en scène, Jessica Chastain s'est exprimée sur la place des femmes à l'écran, Monica Bellucci en a parlé dans son discours de clôture. Cette sorte de vague féministe, vous l'avez ressenti ?
L.M. : Oui, parce que les gens en parlent. Mais comme l'a bien dit Jessica Chastain, dans les films qui étaient en compétition, les femmes n'étaient pas forcément bien représentées. Je pense que les choses commencent à changer mais ce n'est pas encore ça. En France, je crois qu'il y a un peu plus de 20% de femmes réalisatrices, c'est quand même pas énorme. Donc ça change, on a plus de femmes réalisatrices que dans d'autres pays, et j'espère qu'il y en aura de plus en plus. Personnellement, je ne me suis jamais dit que je n'allais pas réussir parce que j'étais une femme. Il faut y aller sans se poser de question, c'est comme ça qu'on fera changer les choses.
Ava, de Léa Mysius, avec Noée Abita, Laure Calamy et Juan Cano, durée : 1h45, sortie le 21 juin 2017