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"Jeux de miroirs" : E.O. Chirovici se confie sur son thriller labyrinthique
Publié le 6 février 2017 à 12:20
Par Anaïs Orieul
Auteur de plusieurs bestsellers dans son pays, la Roumanie, l'écrivain E.O. Chirovici passe à l'international avec son premier roman écrit en anglais, "Jeux de miroirs". Entre thriller psychologique et pur roman policier, le livre emporte son lecteur dans un labyrinthe de faux-semblants et de pistes déroutantes. De passage à Paris, E.O. Chirovici s'est confié à Terrafemina.
E.O. Chirovici en interview pour son roman "Jeux de miroirs" E.O. Chirovici en interview pour son roman "Jeux de miroirs"© DR
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A peine vendu à une maison d'édition anglaise, Jeux de miroirs s'est rapidement transformé en objet de désir pour les éditeurs du monde entier. En cours de traduction dans 38 pays, le premier roman écrit en anglais de l'auteur roumain E.O. Chirovici captive également Hollywood, qui vient d'acquérir les droits d'adaptation cinématographiques. Pourquoi une telle fascination ? Peut-être parce que Jeux de miroirs est à la fois moderne et très classique. Racontée du point de vue de quatre hommes, l'histoire nous entraîne à Princeton, où bien des années auparavant le professeur de psychologie cognitive Joseph Wieder a été assassiné sauvagement. Jamais élucidé, le crime est au coeur d'un manuscrit que vient de recevoir Peter Katz, un agent littéraire. Problème : il manque les dernières pages et l'auteur vient de mourir. Intrigué, Peter Katz va embaucher un journaliste d'investigation pour découvrir la véritable identité du meurtrier.

Et là, Jeux de miroirs s'emballe. Il y a d'abord l'étudiante chouchou de Joseph Wieder, Laura Baines, qui sème le trouble. Puis s'ajoutent les mystérieux travaux du professeur sur la mémoire et les souvenirs. Cela pourrait-il être à l'origine de son meurtre ? De fausses pistes en impostures, Eugen Chirovici balade son lecteur dans un labyrinthe où rien n'est ce qu'il semble être. Les faits tels qu'ils se sont déroulés, les souvenirs qu'en gardent les personnages... ici, tout est ambigu, tout n'est qu'apparence. Nous voici donc emporté dans un thriller psychologique qui use les codes du roman policier façon Sherlock Holmes ou Hercule Poirot. Jeux de miroirs se dévore avec avidité, mais sans jamais nous faire frôler l'overdose. Rencontre avec un écrivain qui manie aussi bien la langue de Shakespeare que les faux-semblants.

Terrafemina : Vivre dans un autre pays que la Roumanie influence-t-il les histoires qui se créent dans votre tête ?

E.O. Chirovici : Ma femme et moi avons emménagé en Angleterre en 2012 (l'auteur s'est depuis installé à Bruxelles, ndlr) car mon fils venait de terminer ses études à Cardiff et avait décidé de rester là-bas. Dans le même temps, ma femme avait trouvé un emploi en Angleterre, donc tout s'est imbriqué parfaitement. Mais en ce qui concerne Jeux de miroirs, je n'ai pas eu l'idée du livre en Angleterre. Dans mon cas, les idées ne naissent pas clairement dans mon esprit, ce n'est pas un processus intellectuel. Je suis aussi peintre, et je pense que ça influe sur mon écriture. Ici, tout a commencé avec l'image très ordinaire d'un jeune homme qui rentre chez lui après ses cours et tombe sur sa nouvelle colocataire, une jeune femme blonde.

Pourquoi avez-vous choisi de planter le décor de votre roman à Princeton, aux États-Unis ?

E.O.C. : Quelques heures après avoir visualisé la fameuse image dans ma tête, tout s'est mis en place. J'ai tout de suite su que je voulais parler d'étudiants à Princeton. Il étudiait l'Anglais et elle la psychologie, et c'était la protégée d'un professeur d'origine allemande. Tout ça je l'ai su très vite. J'étais allé à Princeton quelques années auparavant mais la ville ne m'avait pas vraiment marqué. Je ne m'étais pas dit à l'époque : "Il y a une histoire là quelque part qui attend d'être racontée". Je pense que je n'ai pas choisi la ville, c'est plutôt elle qui m'a choisi. Mais j'aime faire voyager mes histoires. L'un de mes livres se déroule au Brésil, un autre en Italie. J'ai aussi publié un roman qui se passe dans le Missouri aux États-Unis.

Votre livre est écrit du point de vue de quatre hommes. Est-ce qu'il y a un personnage que vous avez préféré écrire aux autres ?

E.O.C : Oui, il s'agit de Roy Freeman, le flic, qui conclut le livre. Ce que j'aime chez lui c'est qu'il n'a aucun intérêt dans cette histoire. Peter Katz est un agent littéraire qui espère vendre un livre, John Keller est un journaliste qui cherche un bon sujet à écrire, et Richard Flynn est un aspirant écrivain qui aimerait être publié. Donc ils ont tous quelque chose à gagner avec cette histoire. Mais Roy Freeman cherche la vérité et la rédemption. C'est un personnage un peu tragique. Il est très honnête. Quand il rencontre John Keller, il lui dit rapidement que c'est un ancien alcoolique. Il est franc et ouvert, il sait qu'à l'époque où il a enquêté sur cette affaire, il a pu louper des choses. J'aime son honnêteté, c'est le personnage le plus fiable du livre.

Dans votre livre, le seul personnage féminin réellement important est celui de Laura Baines, l'étudiante en psychologie. Elle est très complexe, on ne sait jamais vraiment ce qu'elle pense et elle est toujours décrite du point de vue des hommes. Quel a été votre processus de création la concernant ?

E.O.C : Je n'ai pas vraiment de processus de création pour mes personnages. C'est plutôt comme rencontrer quelqu'un. En tant qu'écrivain je suis même surpris par leur façon d'être parfois. Leur manière d'agir, de penser sont des choses qui me surprennent. Ce ne sont pas des marionnettes, ils ont leur propre personnalité, ils sont vivants. Probablement qu'il m'arrive de m'inspirer de moi-même ou de personnes réelles pour créer mes personnages, mais c'est fait de façon assez fine.

"Jeux de miroirs"d'E.O. Chirovici, ed. Les Escales
Jeux de miroirs est écrit du point de vue de trois hommes. Trouvez-vous qu'écrire de la perspective d'une femme est un exercice difficile ?

E.O.C : Pour tout vous dire, l'un de mes précédents livres est écrit du point de vue d'une femme, mais il n'a été publié qu'en Roumanie donc il est peu accessible. Mais c'est un roman historique qui raconte l'arrivée d'une jeune courtisane de 15 ans à la cour d'Angleterre sous le règne d'Elizabeth 1re. Toute l'histoire est racontée de sa perspective à elle et ce n'est pas quelque chose que j'ai trouvé compliqué à écrire. Mais je me souviens que mon agent de l'époque m'avait dit qu'habituellement, cela est difficile pour les auteurs. Je ne sais pas si j'ai excellé à cet exercice mais j'ai l'impression que j'ai réussi à me glisser dans la peau de cette jeune femme. Evidemment, je ne saurai jamais comment c'est d'être une femme. Je peux juste faire des suppositions, utiliser mon imagination et mon empathie. De toute façon, si vous n'arrivez pas à éprouver de la sympathie pour vos personnages, si vous n'en avez rien à faire d'eux, le lecteur le ressent tout de suite. Il peut dire que quelque chose ne va pas.

L'intrigue centrale de votre roman, c'est la mémoire mais aussi la réalité qui change selon le point de vue de la personne. Quelles ont été vos inspirations ?

E.O.C : J'ai toujours aimé la psychologie, je pense que j'ai lu au moins une centaine de livres à ce sujet. Avec l'Histoire et l'anthropologie, la psychologie est ma plus grande passion. Je pense que c'est grâce à mes lectures que l'idée de l'intrigue principale de Jeux de miroirs est née. Cela a dû s'implanter dans mon inconscient, dans une petite case de mon cerveau.

Êtes-vous un fan de thrillers et de polars ?

E.O.C : Pas vraiment. J'en ai écrit quelques-uns mais je préfère parler de romans à énigmes. C'est compliqué de faire entrer les livres dans des cases, entre le thriller, le polar, le roman policier, etc. Mes écrivains favoris sont Ernest Hemingway, John Steinbeck et Albert Camus. Côté littérature policière, je suis très fan de Raymond Chandler (créateur du détective privé Philip Marlowe, ndlr).

Tf : Jeux de miroirs a connu un succès immédiat, il est en cours de traduction dans 38 pays. Vous attendiez-vous à une telle réussite ?

E.O.C : Pas du tout, ça m'a plutôt donné le tournis ! Parce qu'il faut savoir qu'il a d'abord été rejeté. Une fois le roman terminé, j'ai envoyé le manuscrit à des agents littéraires américains en me disant que mon histoire se déroulait aux Etats-Unis et que c'était donc la meilleure chose à faire. Mais cela n'a pas marché. J'ai donc décidé d'envoyer mon manuscrit à des petites maisons d'édition anglaises. Et là, un éditeur m'a rappelé très vite pour me dire qu'il avait adoré mon livre. Il voulait le publier mais il pensait que le livre méritait une plus grande maison d'édition. Il ne voulait pas tirer avantage de la situation donc il a insisté pour que j'envoie le manuscrit à d'autres maisons d'éditions – plus grosses – en Angleterre. Et là, j'ai eu un retour positif et la machine s'est mise en marche. On a eu des offres de l'Italie, de l'Indonésie, de la France, des Pays-Bas, c'est allé très vite.

Les droits de Jeux de miroirs ont été achetés par Hollywood...

E.O.C : Je ne peux pas trop en parler mais je sais qu'il y a des discussions en cours. Je ne suis pas impliqué dans tout ça, je n'en ai pas envie. Si le film doit se faire, je ne veux pas écrire le scénario, ce n'est pas ma tasse de thé, c'est très différent de l'écriture d'un roman. Et puis le film différera forcément du livre, la vision sera changée... Mais évidemment, s'il est adapté, j'irais voir le film. Mais je sais que de nombreux écrivains ont été déçus des adaptations cinématographiques de leurs oeuvres. C'est le cas d'Umberto Eco avec Le nom de la rose (adapté par Jean-Jacques Annaud en 1986, ndlr). De mon point de vue, le film était très bon, mais Umberto Eco n'a pas aimé. Ce qui prouve bien que l'on a une certaine vision des choses dans notre esprit et que le passage du livre sur grand écran peut être compliqué à vivre pour les auteurs. Dans le même genre, je me souviens que Stephen King n'avait pas du tout apprécié l'adaptation de Shining faite par Stanley Kubrick.

Jeux de miroirs, d'E.O. Chirovici, ed. Les Escales, 304 pages, 21,90€

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