L'essai de moins de cent pages édité par Monstrograph se définit comme un "manifeste misandre", un terme qui désigne un sentiment de mépris ou d'hostilité à l'égard des hommes. Pauline Harmange, la plume derrière le texte, développe dans les colonnes de Médiapart : "Les féministes traitent souvent la misandrie comme une blague. Je trouvais intéressant d'expliquer qu'on a de bonnes raisons d'en arriver à ces courants-là," explique l'autrice lilloise de 25 ans. "L'indifférence n'est pas suffisante, être en colère est légitime. Je revendique la misandrie, je la pratique, mais c'est une haine passive, on ne va pas prendre les armes !" Et d'affirmer à Maïa Mazaurette dans un entretien pour GQ : "La misandrie est une arme d'autodéfense".
Sorti le 19 août à 450 exemplaires, et retiré à 500 autres depuis, l'ouvrage à la couverture violette - couleur symbolique du féminisme - s'est rapidement écoulé. Un succès inattendu pour les éditeur·ice·s, Martin Page et Coline Pierré, qui s'avouent "dépassés par les commandes" sur Twitter.
C'était sans compter sur l'intervention d'un fonctionnaire du ministère de l'Egalité hommes-femmes, elle aussi pour le moins inattendu (quoique plus inquiétante), qui aurait menacé Moi les hommes, je les déteste de censure et la maison d'édition de "poursuites pénales" - et amplifie par la même occasion l'intérêt autour du bouquin.
Les faits sont rapportés par Médiapart. Le jour de sa sortie, la maison d'édition reçoit un mail d'un certain Ralph Zurmély, "chargé de mission pour l'accès aux droits du ministère délégué à l'égalité femmes-hommes", d'après sa signature.
Il tranche, sans même demander à lire le manifeste : "Ce livre est de toute évidence, tant au regard du résumé qui en est fait sur votre site qu'à la lecture de son titre, une ode à la misandrie (= haine des hommes)", écrit-il. "Or, je me permets de vous rappeler que la provocation à la haine à raison du sexe est un délit pénal ! En conséquence, je vous demande d'immédiatement retirer ce livre de votre catalogue sous peine de poursuites pénales." Menaces qu'il réitère auprès du média, insistant sur "l'apologie de la haine des hommes" que ferait l'ouvrage. Le ministère d'Elisabeth Moreno se dissocie de son intervention, mais manque de la condamner.
Pour les éditeur·ice·s Martin Page et Coline Pierré, "c'est totalement ridicule !". Coline Pierré s'indigne : "Ce livre n'est pas du tout une incitation à la haine. Le titre est provocateur mais le propos mesuré. C'est une invitation à ne pas s'obliger à fréquenter les hommes ou à composer avec eux. À aucun moment l'autrice n'incite à la violence." Cette dernière note d'ailleurs que le plaignant "devrait trouver d'autres manières de s'occuper". "Un fonctionnaire d'État qui fait une crise de pouvoir face à un livre de 80 pages sorti à 400 exemplaires, je trouve ça très problématique", lance-t-elle à juste titre.
Sur les réseaux sociaux, les soutiens se multiplient, certain·e·s appelant à acheter massivement le texte. Faïza Zerouala, autrice et journaliste, plaisante amèrement sur Twitter : "Nous vivons dans un épisode de South Park". Pour l'Observatoire pour la liberté de création, il s'agit ni plus ni moins d'une "démarche illégale". Dans un courrier consulté par Médiapart, l'organisme rappelle à Ralph Zulméry qu'il n'a "aucune autorité juridique pour demander le 'retrait' d'un livre". Sa déléguée, l'avocate Agnès Tricoire, lâche : "Pour rappel, l'entrave à la liberté d'expression est, elle, un délit pénal. (...) Non seulement il n'a aucune autorité mais sa démarche est aveugle et absurde."
Reste à voir si le fonctionnaire saisit le parquet, qui décidera par la suite de poursuivre ou non la maison d'édition Monstrograph et l'autrice Pauline Harmange pour incitation à la haine.
Au fil des pages, Pauline Harmange signe : "Nous sommes misandres dans notre coin. Quand nous détestons les hommes, au mieux nous continuons de les tolérer parce qu'ils sont partout et qu'il faut bien faire avec (incroyable mais vrai : on peut détester quelqu'un sans avoir une envie irrépressible de le tuer)." Elle admet aussi "détester les hommes" mais vivre avec l'un d'eux, qu'elle remercie à la fin, avec "plein d'amour ".
Un paradoxe qui vient nuancer le titre. Seulement pour saisir le véritable propos de l'autrice, encore faut-il lire son travail.