Quels fantômes hantent Ishak ? Solitaire tourmenté, ce dernier revient dans son village natal d'Anatolie après sept longues années d'absence afin de soutenir sa mère malade. Mais très vite, il se confronte à la véhémence de ses concitoyens alentour. Pourquoi ?
Au creux de ces interrogations, une terrible révélation que nous ne dévoilerons évidemment pas. Mais qui ne serait pas sans rapport avec un autre homme : Ali, le garde forestier... Ce récit mystérieux est celui de Nuit noire en Anatolie, film polymorphe conjuguant drame intimiste, immersion dépaysante aux confins de la ruralité turque, suspense morbide. Il faut découvrir en salles - dès ce 14 février - ce métrage aussi dépaysant que pesant de Ozcan Alper.
Car de cette "nuit noire" découle une réflexion qui nous touche forcément, même aux antipodes de l'Anatolie : une dissection clinique du patriarcat.
Sous ses allures de chronique dramatique très introspective et contemplative - ce qu'elle est - Nuit noire en Anatolie dévoile peu à peu un autre visage, tout à fait angoissant. A ce titre, l'atmosphère étouffante qui envahit chaque séquence malgré le gigantisme des vertigineux paysages nous renvoie volontiers à celle d'un classique : Shining. D'ailleurs, le sujet qui palpite au coeur de ce récit rejoint celui du chef d'oeuvre de Stanley Kubrick : la folie des hommes.
Ozcan Alper dépeint avant tout une communauté d'hommes aux attitudes antipathiques : homophobie décomplexée face au comportement d'Ali, le garde forestier, racisme, blagues misogynes fièrement déployées (qualifier notre héros, Ishak, de "bonne femme", car il préfère "rester à la maison")... Mais aussi, recours à la violence et aux menaces. La scène d'ouverture est éloquente à ce titre : armés, ces messieurs poussent des cris de loup. Difficile de mieux dire la bestialité d'un mal qui s'insinue partout.
Ce mal, c'est naturellement le patriarcat.
Et ce système primitif, notre protagoniste le rejette largement. Il y erre "comme une âme en peine", lui dit-on, obsédé par une certaine "nuit" dont l'on devinera peu à peu la teneur. Et nous ressentons, à le voir évoluer dans ce contexte belliqueux, une sensation de danger qui affilie directement ce film à un genre passionnant : le survival. Soit, pour résumer, le récit de survie d'hommes en pleine nature, confrontés à l'agressivité d'entités assassines. Délivrance, Eden Lake... en sont de bels exemples, et Nuit noire en Anatolie décline le genre en l'actualisant avec son discours sous-jacent sur la masculinité. Redoutablement désespéré, cela va sans dire.
Si désespéré d'ailleurs que la lenteur de ce film hypnotique, tout comme son discours, fait écho au dernier grand traumatisme du cinéma turc : Les herbes sèches de Nuri Bilge Ceylan. Des affinités cinéphiles pertinentes pour ce voyage au bout d'un enfer bien réel, beaucoup trop réel.
Nuit noire en Anatolie, un film de Özcan Alper
Avec Berkay Ateş, Cem Yigit Uzümoglu, Sibel Kekilli...
Sortie le 14 février 2024.