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"Sexpowerment" : Camille Emmanuelle nous parle cul, féminisme et politique (et ça fait du bien)
Publié le 8 avril 2016 à 12:49
Par Anaïs Orieul
Journaliste spécialisée des questions de sexualité, Camille Emmanuelle nous offre avec "Sexpowerment", un essai touchant, drôle, intelligent, et précieux aussi, sur le sexe, le féminisme, la politique, et le sexisme. Nous avons rencontré cette femme diablement inspirante pour décrypter à ses côtés quelques chapitres de son livre.
Camille Emmanuelle, auteure de "Sexpowerment" Camille Emmanuelle, auteure de "Sexpowerment"
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Des essais comme ça, on n'a pas souvent l'occasion d'en lire en France. Mélanger récits personnels et questions de société, quelle idée ? Et puis arrive Sexpowerment, l'essai de la journaliste Camille Emmanuelle qui mélange savamment des chapitres sur le porno, le féminisme, la prositution, les pratiques BDSM, et les fesses de Kim Kardashian. Un essai dans lequel cette experte des questions de sexualité dévoile ses propres expériences, des morceaux de vie intime, des anecdotes, et le fait avec une telle subtilité que l'on ne peut que se dire : Enfin, voilà le livre que j'attendais, celui qui va m'éduquer, m'ouvrir de nouveaux horizons, et rester auprès de moi toute ma vie. Un livre que je passerai à mon mec, un livre que je mettrai dans les mains de ma fille ou de mon fils. Avec Camille Emmanuelle, le sexe est une joie, le féminisme un combat qu'il faut continuer à mener mais questionner aussi, et le poil est un enjeu politique. Sexpowerment, c'est l'histoire d'une nana cool qui a longtemps "voulu se gratter les couilles devant la télé" mais qui a finalement choisi de se sortir la main du slip pour nous offrir un texte qui résonne juste et fort. Interview au long cours.

Terrafemina : Le sexpowerment, c'est quoi ?

Camille Emmanuelle : Sexpowerment, c'est une contraction entre "sexe" et "empowerment". L'empowerment est un terme difficilement traduisible en français. C'est le processus de l'acquisition du pouvoir et de l'autonomie, et de la libération on peut dire. On l'utilise en sciences humaines ou pour parler de différentes classes sociales. Ça résume aussi comment les femmes s'autonomisent, s'émancipent et atteignent l'égalité des droits. J'ai choisi d'appeler ce livre Sexpowerment parce qu'à travers les différents chapitres, je défends l'idée qu'il n'y aura pas de véritable émancipation et on n'avancera pas dans la société concernant le féminisme et la bonne entente entre les sexes s'il n'y a pas de véritable réflexion et d'information autour du corps, de la sexualité et du genre. Parce que moi, ce que j'ai constaté à travers tous mes reportages, c'est qu'il y a vraiment un déficit d'information à la fois sur la sexualité physiologique, mais aussi sur les questions de désir, de liberté sexuelle etc. Aujourd'hui, on véhicule encore un schéma que je trouve assez rétrograde.

Terrafemina : Concernant les stéréotypes sur la sexualité justement, au début de votre livre, vous évoquez votre découverte du porno à la fin de l'adolescence. Surtout, vous expliquez que vous avez vite compris que ces films donnaient une vision stéréotypée et exagérée du sexe, qui du coup, n'excite pas forcément les femmes. Vous dites même : "C'était donc ça. L'érotisme chic pour les femmes d'un côté, le porno trash pour les hommes de l'autre". Aujourd'hui, les femmes ont-elles plus de facilité à trouver leur bonheur dans le porno ?

Camille Emmanuelle : Je ne crois pas à un porno pour les hommes et un porno pour les femmes. Par contre, je crois à un porno – et ça existe – qui apporte un autre regard sur la sexualité, sur le couple et sur le désir. Il se trouve que cet autre regard est fait par des femmes, mais attention, ça ne veut pas dire que c'est uniquement à destination des femmes. Je pense que les hommes ont tout à gagner à regarder ce type de porno. Pour décrire ce porno, il y a plusieurs adjectifs. Parfois on appelle ça du porno féministe, ça intègre aussi ce qu'on appelle le porno queer (LGBT), on parle aussi de porno alternatif ou indépendant. En tout cas, ce n'est pas ce qu'on retrouve sur les fameux tubes ou chez Jacquie et Michel. Donc on va avoir Erika Lust, une réalisatrice et productrice espagnole, qui fait des films extrêmement excitants. Je précise qu'on n'est pas dans l'image du couple sur un lit avec des pétales de roses et une bouteille de champagne. Ça reste du sexe et un support masturbatoire. Il y a bien sûr Ovidie, qui a commencé très tôt à faire ça alors que ce n'était pas facile d'apporter autre chose en France à l'époque. Je pense aussi à une jeune Française installée en Allemagne qui s'appelle Lucie Blush. Ce porno-là est bandant, mouillant même. Et en plus, on sort du cadre fellation – pénétration vaginale – pénétration anale – éjaculation faciale, ce qui est quand même un peu rébarbatif, et puis c'est pas que ça le sexe. Dans ces films-là, on voit le sexe avant, le sexe après. On voit des couples qui viennent de jouir, mais aussi des groupes. On voit l'émotion d'après et quand soi-même on vient de regarder ce porno-là, il y a quelque chose qui se passe. Ce sont en tout cas des films qui montrent un autre regard sur les sexualités, qui en montre la diversité. On me rétorque souvent que sur les tubes aussi, il y a de la diversité. Et c'est vrai qu'on y trouve tous les fantasmes. Mais ça reste très segmenté. Moi, ce que j'aime dans le porno alternatif c'est qu'au sein d'une même vidéo, il va y avoir une diversité des fantasmes et des pratiques. Tout n'est pas excitant mais à chaque fois ça va m'intéresser intellectuellement et érotiquement.

Terrafemina : Malheureusement, ce porno alternatif ne semble pas très facile d'accès...

Camille Emmanuelle : C'est le problème, oui. Il n'existe pas de YouPorn du porno féministe. Ce porno-là est payant et c'est un problème parce que l'on n'est plus habitué à payer pour ça, notamment les jeunes générations. En plus d'être difficile d'accès et payant, le porno alternatif n'est pas beaucoup cité dans les médias. Du coup, ça reste une niche. Et souvent, ce sont des personnes qui en ont marre du porno et qui ont envie d'autre chose qui viennent à chercher ce genre de films. Ou alors, ce sont des articles ou des livres comme le mien qui peuvent éveiller une curiosité. Peut-être que ça restera une niche, mais il faut qu'elle vive. On se demande souvent quelle planète on va laisser à nos enfants et on se dit qu'ils vont se retrouver avec des tomates sans goût. J'ai une fille et je me dis que oui, des tomates qui n'ont plus de goût c'est chiant. Mais quel porno on va laisser à nos enfants ? Moi j'ai envie que ma fille, lorsqu'elle sera ado, ait accès à des films où on montre qu'une femme n'est pas forcément soumise au désir de l'homme, qu'elle ne jouit pas forcément en 3 minutes, qu'elle peut jouir avec un cunnilingus et pas toujours avec une pénétration, qu'un homme des fois il ne bande pas. Parce que c'est ça aussi le problème avec le porno, c'est cette image de ce que j'appelle l'homme Duracell avec sa bite tout le temps en marche. J'ai envie qu'elle voit des sexualités lesbiennes, trans et gay pour se rendre compte qu'il n'y a pas une norme dans le sexe et qu'à partir du moment où on est entre adultes consentants, tout est possible. Je veux qu'elle ait hâte de faire l'amour parce qu'elle a vu des images qui représente la sexualité de façon positive et joyeuse.

Tf : Vous dédiez tout un chapitre à la sexualité adolescente. Et vous expliquez qu'en France, à part le Planning Familial, le Crips, ou Solidarité Sida, il n'y a pas grand monde pour parler de sexe aux jeunes. Vous expliquez ainsi que dans certains pays nordiques ou en Grande-Bretagne, il existe des émissions de télé qui parlent de sexualité aux ados et que tout se passe très bien. Pourquoi a-t-on du mal à faire la même chose chez nous ?

C.E. : Les associations font un incroyable travail d'éducation sexuelle et en plus elles le font de façon cool. Moi, j'ai suivi des interventions de Solidarité Sida auprès de lycéens et c'est vraiment fabuleux. Ils adaptent leur discours aux générations connectées etc. Il faut les saluer parce qu'ils ne parlent pas seulement de prévention, ils parlent aussi de plaisir. Je me souviens par exemple d'une fois où Solidarité Sida parlait du clitoris à des lycéens. On ne leur parlait pas seulement du petit bouton, on leur montrait comment le clitoris gonflait, et sincèrement, les lycéens étaient sur les fesses. Mais c'est vrai qu'à la télévision, et même sur le câble, il n'y a rien sur la sexualité des jeunes et des adolescents. C'est quand même très étonnant quand on voit le nombre d'émissions qu'il y a sur la bouffe par exemple. C'est important la bouffe (rires) mais le sexe et le désir aussi. Personnellement, je pense à la nourriture 3 fois par jour, mais je pense aussi beaucoup, beaucoup au sexe. Il suffit d'une personne que je vois passer dans la rue et que je trouve désirable ou encore d'une image. Quand je rêve, je rêve plus de sexe que de poulet rôti ! Après, c'est pas facile d'en parler. Il faut être pédagogue sans être chiant, faire attention au CSA... et puis la France, c'est quand même le pays où quand il y a eu la loi sur le mariage gay, ça a fait descendre un million de personnes dans la rue. Il y a toute une partie des Français et des Françaises qui font un blocage sur les libertés sexuelles. Donc je ne sais pas si on est en retard mais on n'est pas en avance. Bon, le 27 mai prochain, je vais lancer en partenariat avec Brain Magazine une revue pop porn qui s'appellera La Chose, et je pense que ça peut parler aux jeunes, leur montrer une sexualité joyeuse.

"Sexpowerment" de Camille Emmanuelle © Anne Carrière
Tf : Vous dédiez un chapitre entier aux poils pubiens et surtout à la disparition de ceux-ci au fil des années. En cause, il y a bien sûr l'influence du porno, mais aussi des médias, parfois la pression masculine... mais est-ce qu'on ne serait pas en train de revenir doucement vers un retour du poil tout court dans le mainstream et donc sur le corps de la femme ?

C.E. : J'ai envie de dire oui et non. Grâce aux réseaux sociaux – même s'ils ont aussi plein de défauts – on a vu apparaître des photos de jeunes filles qui avaient teint leurs aisselles, on a vu une photo de Madonna sur Twitter où elle montrait ses aisselles poilues. Il y a une prise de parole en disant : ça n'est pas crado, ça fait partie des caractères secondaires féminins et j'ai le choix de les raser ou de les épiler, mais j'ai aussi le choix de les garder. En effet, on a l'impression qu'il y a une petite tendance. Mais à côté de ça, quand une photo de Leonardo DiCaprio enfant apparaît sur le web et que sa mère à ses côtés apparaît avec des poils sous les bras, les gens, plutôt de se dire qu'il était mignon, se sont excités sur la mère. On a eu droit à un déferlement d'insultes ou de clichés sur les années 70. Aujourd'hui, il y a un discours qui offre le choix aux femmes et qui oppresse moins. On peut penser que c'est un détail le poil, et qu'on s'en fiche. Mais il y a un enjeu très politique et culturel qui est la standardisation de la beauté féminine. Parce que c'est pas que le poil, c'est aussi la graisse, c'est aussi la cellulite, c'est aussi les rides. C'est la beauté féminine dans toute sa diversité qu'on essaie de faire entrer dans un même moule. Le poil c'est un symbole. Quand il disparaît totalement de la publicité, totalement de la pornographie et totalement de la culture mainstream, il n'y a pas que le poil qui disparaît, il y a aussi la cellulite et tout ce qui fait qu'une femme est différente, belle et attirante. L'enjeu du poil, c'est d'encourager une diversité des représentations des beautés féminines pour qu'on puisse expliquer aux jeunes filles qu'elles ne sont pas obligées d'être des poupées Barbie.

Tf : Les jeunes filles parlons-en. Dans votre essai, vous expliquez comment le féminisme fût très à la mode dans les années 90 grâce à des artistes comme Alanis Morissette et Courtney Love notamment, avant de devenir ringard au début des années 2000. Aujourd'hui, on assiste à un retour en force de la mouvance avec Beyoncé ou Emma Watson. On parle même d'un féminisme pop. Mais on lui reproche aussi d'être très marketé. Mais même s'il est marketé, on devrait se réjouir, non ?

C.E. : Quand Beyoncé prend la parole en disant que le féminisme n'est pas un gros mot, que la définition du féminisme c'est prôner l'égalité homme-femme, et qu'évidemment elle travaille son marketing, je trouve ça positif. Après, dans un monde idéal, j'aimerais que ça ne s'arrête pas là. Le féminisme ne s'arrête pas à un slogan et à trois lignes dans une chanson de Beyoncé. Il faut que ça suscite la curiosité, que des jeunes femmes se posent des questions, que ça les pousse à lire Simone de Beauvoir ou Elisabeth Badinter, pour qu'elles puissent ensuite se revendiquer féministes. Mais que des pop stars le fassent déjà, c'est super. Je dis pas que c'est un courant de pensée parce qu'il n'y a pas vraiment de pensée derrière. Le sexisme est un outil de marketing, si le féminisme le devient, et bien tant mieux. Si tous les publicitaires commencent à faire des pubs féministes, au moins ça va dans le sens du progrès et des valeurs que je défends. On est dans une société capitaliste où chaque mouvement contestataire, où chaque mouvement progressiste est complètement utilisé par les marketeux. Si c'est une valeur que je défends et que je trouve moderne et si ça fait avancer les choses, ben pourquoi pas ?

Tf : Vous consacrez un chapitre au féminisme et plus particulièrement aux associations féministes. Vous expliquez très bien pourquoi vous avez du mal à vous engager au sein d'une association qui pourrait prendre des positions allant à l'encontre de vos convictions. Vous dites que l'on n'a pas bien assimilé la troisième vague du féminisme en France. On serait donc en retard sur certaines questions ?

C.E. : Oui, je dis que la vague n'a pas franchi l'Atlantique. Elle est peut-être coincée dans le triangle des Bermudes (rires) ! Bon, pour préciser ma pensée, parce que j'ai fini le bouquin l'été dernier et que depuis des choses se sont passées, il y a quand même des choses qui sont arrivées en France comme le feminism sex positiv, qui est une mouvance à laquelle je m'identifie. Il y a par exemple la scène burlesque et plein d'autres courants artistiques. Et ce que j'explique dans le livre, c'est qu'il y a des féministes en France qui ont un peu trop simplifié la pensée de la troisième vague. Et là je parle de la notion d'intersectionnalité qui fait partie de cette troisième vague et qui considère que le féminisme peut être une valeur universelle mais il faut pouvoir montrer qu'une femme hétéro, une femme lesbienne, une femme musulmane ou une femme noire ne vont pas se confronter aux mêmes stigmates et aux mêmes stéréotypes au sein de la société. L'intersectionnalité, c'est comprendre qu'il peut y avoir par exemple une double discrimination. C'est une pensée qui est essentielle puisqu'elle montre les spécificités des combats et qu'elle montre qu'il existe plusieurs féminismes.

Le problème, c'est qu'en France, ça a été récupéré par une partie plutôt extrême de la gauche qui en a fait quelque chose d'extrêmement clivant et de très victimaire. En gros, une femme blanche bourgeoise n'a pas le droit de se plaindre. Elisabeth Badinter, c'est le diable (rires) ! Parce qu'elle a de l'argent et qu'elle est éduquée, elle n'a pas le droit de parler des femmes. On nous dit que la vraie victime c'est la femme musulmane. Si on critique le voile, on est une néo-coloniale. C'est tout ce discours là qu'on entend, et sur d'autres sujets que le féminisme d'ailleurs. Et pour moi, ce n'est pas un féminisme inclusif, c'est un féminisme qui sépare les femmes les unes contre les autres, et qui pose aussi des problèmes au niveau de l'universalité et de la laïcité. Moi je connais des féministes arabes qui se considèrent comme des féministes universelles. Donc moi, ça m'inquiète un peu. Au moment de la loi sur le mariage homosexuel, j'ai manifesté avec des amies féministes. Et on était en colère contre l'église et contre les extrémistes catholiques. Et aujourd'hui, je les trouve extrêmement tolérantes avec le clergé musulman qui a parfois un discours anti-femmes - je pense à certains imams radicaux. Donc j'ai été assez déçue dans mon parcours par rapport à ça. Toutes les religions n'ont jamais été dans le sens de l'émancipation féminine, des libertés sexuelles et des droits LGBT. C'est sur ces droits qu'on doit se battre et ne pas dire : "Ah non mais le voile c'est différent parce que c'est un choix comme on choisit de porter une mini-jupe". Je ne suis absolument pas d'accord, il n'y a pas un pays au monde où une femme va en prison parce qu'elle n'a pas porté de mini-jupe et c'est le cas avec le voile.

Tf : Après plus de 2 ans de débat entre le Sénat et l'Assemblée nationale, les députés ont voté la loi sur la prostitution, dont la mesure phare est la pénalisation du client. Vous qui consacrez tout un chapitre au métier de prostituée et qui vous élevez clairement contre cette loi (répression policière, précarité, dangers sanitaires), vous vous sentez comment aujourd'hui ?

C.E. : Je le vis mal. Parce que je repense aux nombreuses prostituées que j'ai rencontré dans ma vie récente et je me dis qu'ils ont dû sortir le champagne au Ministère des Droits des femmes en se disant qu'ils avaient gagné. Et c'est dégueulasse pour les prostituées. Cette loi va avoir des conséquences dramatiques sur leur vie au quotidien puisque pénalisation des clients ne veut pas dire qu'elles vont arrêter leur boulot pour faire autre chose. Elles vont devoir continuer à travailler pour payer leur loyer et nourrir leurs enfants, et qu'est-ce qu'elles vont faire ? Elles vont se cacher encore plus, les associations type Médecins du monde vont avoir moins accès à elles pour leur distribuer la capote et la pilule, elles vont moins porter plainte aussi. Déjà qu'elles ne vont pas beaucoup voir les flics quand il y a des problèmes, là elles vont encore plus s'éloigner d'eux. Et puis j'en connais des policiers à Paris. Ils ne vont pas faire la chasse aux clients, c'est absurde. Ils ne vont pas se cacher dans des buissons Boulevard de Belleville ! Et puis on parle de clients qui vont voir des prostituées de rue. Les mecs comme les footballeurs qui font appel à des escorts de luxe, on ne leur filera pas d'amende. Donc c'est une loi symbolique qui donne l'impression qu'on a aidé les prostituées alors que c'est tout à fait l'inverse. Moi, ça me met en colère. Ils sont là à se prendre pour des chevaliers blancs, à dire qu'ils ont lutté contre l'exploitation des femmes. Mais pas du tout, ils les ont mis dans une situation de merde au quotidien.

Tf : A la fin de votre livre, vous parlez de votre grossesse et vous citez une amie qui vous dit : "Toi qui aime te moquer et dénoncer toutes les injonctions sociales sur le corps et la sexualité féminine, tu vas rigoler en tant que future mère ! On va te dire sans arrêt ce qu'est une 'bonne mère'". Maintenant que vous êtes maman, vous les ressentez ces jugements et ces injonctions ?

C.E. : J'ai de la chance d'être entourée par des gens qui ne se permettraient jamais de me juger. Ma fille est encore toute petite donc elle n'est pas encore à l'école à devoir expliquer que sa mère écrit sur le sexe. Donc je ne souffre pas encore de l'image de la maman et de la putain. Par contre, sur le corps, sur le fait d'être une bonne mère, je vis la pression au quotidien. J'ai relu les deux ouvrages d'Elisabeth Badinter sur le sujet (Le conflit : la femme et la mère, L'amour en plus - Histoire de l'amour maternel) et ça m'a fait du bien. Parce qu'elle montre que le statut de la mère parfaite c'est aussi une construction sociale et idéologique. Elle dit que ça n'a pas toujours été le cas dans notre société, qu'on met beaucoup de pression sur les femmes par rapport aux hommes, et qu'en tout cas, on parle plus de maternité que de parentalité. Et ça m'a fait du bien parce que moi-même je me suis rendue compte que j'avais intériorisé certaines choses.

J'ai décidé de ne pas allaiter et je l'ai fait pour des raisons intimes et émotionnelles, je ne le sentais pas quoi. Tout se passait bien, mais au bout de 15 jours j'ai commencé à me dire que j'étais une mauvaise mère. Il y a un truc très flippant là-dedans. On a envie d'être une bonne mère. Mais je suis mariée à un homme qui a toujours été dans le partage des tâches et là, il est complètement investi dans son rôle de père. Limite, il en fait plus que moi (rires) ! Et je constate que ce n'est pas toujours le cas dans mon réseau amical, qu'il y a quand même beaucoup de femmes qui endossent beaucoup plus de tâches ménagères liées à la puériculture. Je ne suis pas d'accord – loin de là – avec tout ce qu'elle dit, mais Laurence Rossignol a expliqué dans une interview pourquoi le Ministère des Droits des femmes a intégré aussi la famille et l'enfance. Ça avait été très critiqué à l'époque, et elle se justifiait en disant que les premières inégalités sociétales se nichent et se développent au sein du couple et de la famille. Et c'est important de le rappeler.

Sexpowerment, de Camille Emmanuelle, ed. Anne Carrière, 240 pages, 18 euros, en vente

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