C'est l'été à Cannes. Vacanciers fortunés et ados du coin se côtoient sur les bords de mer. Parmi eux, Naïma, jeune fille de seize ans qui, sous cette torpeur, tue le temps en compagnie de sa cousine Sofia. Sofia, c'est un mystère ambulant tout droit venu de Paris. Une femme libre au corps ardent, qui l'effraie et l'amuse autant qu'elle l'obsède. En se rapprochant de deux quadras à la vie dorée, propriétaires d'un yacht, l'énigmatique Sofia va permettre à Naïma de vivre des vacances pas comme les autres. Entre champagne, fantasmes, douleur et désillusions...
Cannes, le bleu de son ciel, la chaleur du vent, les corps dévêtus qui se prélassent avec insouciance sur le sable... A première vue, Une fille facile, c'est vraiment "l'amour à la plage", comme le chantonne d'ailleurs le personnage de Sofia le temps d'un karaoké. Mais comme tous les slows, la douceur de vivre n'est que l'écrin d'une mélancolie qui fait mal. Et celle qui transparaît dans le regard de Zahia Dehar est aussi claire que l'eau cannoise. Pour son premier grand rôle au cinéma, la jeune femme que d'aucuns surnomment simplement "Zahia" livre une performance séduisante, oscillant sans cesse entre la lassitude calme et la gravité sourde. Elle est le tempo du dernier long-métrage de Rebecca Zlotowski, mais également son coeur. Car dans la peau de la "fille facile" Sofia, l'ancienne escort-girl, s'exorcise des épreuves qu'elle a dû vivre - et qu'elle vit encore, des plateaux de télévision aux réseaux sociaux - du slut-shaming le plus primaire aux inévitables tacles sur la chirurgie esthétique.
Zahia est donc Sofia, et Sofia est Zahia : une féminité sensuelle et épanouie, consciente du regard des autres et de leurs médisances misogynes. Les femmes la jalousent et les hommes la désirent. Comédienne néophyte et personnage, à la fois fictif et public, se confondent vite en un tout sous le regard amoureux de la cinéaste. Mais loin de conférer à son oeuvre des allures de dissertation un peu vaine, Rebecca Zlotowski fond son regard sur celui d'une Sofia incomprise, dont l'illusoire légèreté n'a d'égale que l'irrévérence et la lucidité. Ainsi démontre-t-elle tout le ridicule des attaques sexistes que subissent (toujours) celles qui assument leur corps en confrontant l'attitude de sa protagoniste à une classe masculine bien plus vulgaire : cette haute bourgeoisie arrogante affichant sans filtre son opulence. Des petites précieuses dont se joue non sans jubilation cette adepte sexy du "carpe diem", optant pour les bijoux les plus chers et trimbalant son sac Chanel au bras comme un ami fidèle...
Cependant, pour saisir ce qu'Une fille facile a de si envoûtant, il faut se concentrer sur l'âme du film : l'adolescente Naïma. Incarnée avec spontanéité par Mina Farid, elle vit aux côtés de son énigmatique cousine un beau récit d'apprentissage, forcément doux-amer, rythmé par l'ennui, l'éveil aux sens et la torpeur. L'occasion de nous replonger dans ces récits d'été "so frenchie" avec lesquels nous avons grandi, des insolences de L'effrontée Charlotte aux tourments intérieurs de Cécile, l'héroïne de Bonjour Tristesse.
Sensualité, jeunesse et plage obligent, notre esprit vagabondera tout aussi bien du côté des contes d'Eric Rohmer que de L'année des méduses, classique kitsch des années quatre-vingt où flamboie une jeune et ultra-provoc' Valérie Kaprisky. Le summer movie à la française a toujours été le terrain parfait pour saisir la confusion des sentiments qui violente les jeunes filles à l'ombre des parasols. Des émois ici captés avec une grande justesse par Rebecca Zlotowski, autrice d'un "coming of age" sans issue de secours.
Et c'est justement le croisement de ces féminités, en cours d'épanouissement ou émancipée, toutes deux en quête de liberté, qui confère à Une fille facile toute la force de son discours féministe. Des portraits de femmes très "girl power" donc, mais également empreints d'une belle tristesse diffuse. Il n'est ainsi pas anodin de voir Sofia/Zahia évoquer Marguerite Duras, l'espace d'une scène ironique. Son personnage de sirène "slut-shamée" au sexe d'oursin (qui s'y frotte s'y pique) et au regard lointain nous renvoie à cette citation de La douleur : "Il y a des gens qui n'attendent rien. Il y a aussi des gens qui n'attendent plus". Pas si "facile" d'être femme...