Abercrombie & Fitch : un employeur a-t-il le droit de recruter des mannequins-vendeurs ?
Publié le 29 juillet 2013 à 15:30
Par Florian Silnicki
La croissance du secteur du luxe se poursuit loin de la crise. Se décrivant comme une marque de « Casual Luxury », c’est Abercrombie & Fitch qui, aujourd'hui, défraie la chronique. La maison Abercrombie & Fitch est soupçonnée de discrimination à l'embauche en France : ses vendeurs torse nus et ses vendeuses longilignes sont recrutés pour leur physique. Mais est-ce vraiment illégal ?
Abercrombie & Fitch : un employeur a-t-il le droit de recruter des mannequins-vendeurs ? Abercrombie & Fitch : un employeur a-t-il le droit de recruter des mannequins-vendeurs ?© Abaca
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La boutique Abercrombie & Fitch des Champs-Élysées ne désemplit pas malgré la mauvaise presse dont elle souffre ces derniers temps. Le coup de pub', bien involontaire, assuré par le défenseur des droits, Dominique Baudis, à l'enseigne américaine pourrait bien accélérer cette tendance sectorielle ! Le problème ? La maison Abercrombie & Fitch est soupçonnée de discrimination à l'embauche en France. Un soupçon renforcé par une condamnation antérieure (50 millions de dollars !) pour un motif identique outre-Atlantique.

L’employeur a-t-il le choix ?

La réputation, c'est de plus en plus le vrai capital des entreprises au XXIe siècle. Si Henry Ford affirmait que « deux choses importantes n'apparaissent pas au bilan de l'entreprise, sa réputation et ses hommes », ce sont aujourd’hui à la fois ses hommes et sa réputation qu’Abercrombie & Fitch voit mis en cause. Si, disons-le sans détour, rien ne permet de justifier une discrimination professionnelle uniquement basée sur des critères physiques, comment ne pas aussi assumer franchement le fait que rien ne devrait interdire un employeur de choisir le personnel de son choix, répondant en cela aux besoins réels de son entreprise. Le problème est que lorsque le critère déterminant d'embauche est un critère d'image, un critère de look, d'attitude, et de physique, ça coince !

Abercrombie & Fitch a pourtant construit sa stratégie sur une certaine image, marqueté son offre sur le corps et la fête, le sport et la beauté, et personne ne peut lui en faire le procès... Ce choix induisant avant tout la création de milliers d'emplois et de milliards d’euros de chiffre d’affaires. Par ailleurs, comment nier qu’il n’existe pas ailleurs aussi une sélection, un choix, des critères discriminants écrits ou induits qui n'émeuvent personne... Ainsi, on recense peu de coach sportifs handicapés ou de serveurs McDonald's âgés de plus de 50 ans. Le vendeur chez Abercrombie & Fitch n’est pas vendu, il est exhibé et contribue à la mise en valeur du produit qui lui, l’est.


« Éteindre le feu et adapter la communication »

Au fond, le vrai problème, c’est la communication d’Abercrombie & Fitch. Qu’un Président assume et revendique ces choix et bouscule l'hypocrisie ambiante, c’est en France nécessairement l’objet d’un emballement médiatique. Il s’agit pour la marque d’éteindre un feu qui aurait pu être évité. Abercrombie & Fitch doit donc s’adapter et en plus d'éventuelles poursuites, répondre de sa stratégie, l'expliquer et finalement la justifier. Alors que plus un jour ne se passe sans que les médias ne traitent de la question des discriminations, il s’agit en effet pour Abercrombie & Fitch de montrer qu’il n’y a pas de différence illégitime de traitement dans l’accès à l’emploi.


Si l’article 225-1 du Code Pénal rappelle en effet que l’apparence physique est un motif de discrimination interdite par la loi, les médias oublient trop souvent l’article qui suit : l’article 225-3 du même code  nous rappelle que les discriminations en matière d’embauche fondées sur l’apparence physique sont valides et licites si elles sont justifiées par « une exigence professionnelle essentielle et déterminante pour autant que l’objectif soit légitime et l’exigence proportionnée ». Dès lors, le juge appréciera lors d’un contentieux la proportionnalité de la discrimination.

« Les vendeurs beaux sont plus performants »

Or, pour les vendeurs-mannequins d’Abercrombie & Fitch, il est assez évident que l’apparence physique est un critère déterminant de l’embauche. La marque pourrait d’ailleurs facilement s’appuyer sur les études marketing qui ont démontré que les vendeurs beaux étaient plus performants car plus convaincants à l'égard de la clientèle. Quoi qu’il arrive, Abercrombie & Fitch doit réagir et probablement reformuler sa stratégie face aux pouvoirs publics français. Cela passera nécessairement par un travail de mise en avant de valeurs humaines et éthiques. Il ne suffira pas pour Abercrombie & Fitch de s'acquitter d'une amende pour être quitte !

La France est accueillante et exigeante avec ceux qui en ont les moyens... A défaut de le comprendre, l'enseigne américaine s'expose à un renversement d'image brutal et à une mise en cause violente de sa réputation qui pourrait lui être préjudiciable à terme.

Abercrombie & Fitch ne pourra donc pas se satisfaire de son discours habituel inadapté car jugé trop arrogant pour notre vieux pays (« nous embauchons des gens beaux car  nous  adressons  a  des gens  beaux »), mais  devra,  en  France, devenir innovant sur son empreinte sociale pour, comme l'écrivait le Président d'Accenture Christian Nibourel, « en finir avec le court terme ». Abercrombie & Fitch va devoir nous montrer que derrière les muscles, il y a des valeurs !

Séduire aussi les pouvoirs publics

L’interpellation du Défenseur des droits d’Abercrombie & Fitch doit être interprétée comme l’exigence pour elle de légitimer son activité auprès de tous ses publics (salariés, actionnaires, fournisseurs, sous-traitants, clients, leaders d'opinion, institutions...). Cette crise n’est finalement que l’aboutissement de la série de bad buzz que la marque a connu ces derniers mois. La marque doit donc énoncer ses valeurs en restituant ou en reconstituant sa véritable histoire afin que les pouvoirs publics puissent en déterminer sa vocation et son rôle social. Il s’agit finalement pour la marque d’une opportunité si cette crise est bien gérée. En effet, sortir de cette crise, c’est au fond réussir à diffuser le sens de sa présence en France.


Cette crise, c’est au fond l’occasion pour la marque de faire comprendre aux pouvoirs publics ce qu’est la modernité d’une offre marketing de luxe. Elle doit passer le cap de la méfiance sans jouer l'opportunisme exacerbé qui a pu transpirer des interventions médiatiques de son Président. Roi du marketing, il a réalisé jusque-là un coup de maître auprès des consommateurs en les faisant rêver. Il s’agit pourtant maintenant pour la marque d’entamer une vraie démarche responsable et citoyenne en expliquant que son luxe repose sur une offre singulière, un management particulier et un marketing qui l’est tout autant. Ce sur quoi on suspecte la marque aujourd’hui c’est son facteur de différenciation à part entière. Ses vendeurs mannequins ou mannequins vendeurs ne sont finalement que le paroxysme du luxe, un des attributs intrinsèques de son offre manifestement adoubé par les consommateurs mais qu’il faut expliquer aux pouvoirs publics. Vendre le rêve aux clients, Abercrombie sait le faire plus que jamais mais vendre le rêve aux pouvoirs publics, ça s'apprend et en France, ça ne s’improvise pas ! 

Par Sébastien CHENU, Fondateur du cabinet SCConseils, Expert en stratégie et communication, et Florian SILNICKI, Consultant en stratégie d’information, gestion de la réputation et communication de crise.


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