« Qui êtes-vous ? » Cette question en apparence banale, peut trouver une réponse beaucoup plus complexe si on la pose à Johanna Korthals Altes et Alain Gintzburger. « Ça dépend », répondent-ils. En effet, ils ont trouvé dans la première Agence Internationale de Remplacement (AIR) la solution à un fait incontestable : nous ne pouvons pas être à deux endroits en même temps. Leur travail consiste alors à remettre en question cette évidence et s'en servir pour mener à bien leurs remplacements. Ainsi, il leur est déjà arrivé de remplacer Jack Lang, ancien ministre de la Culture, la journaliste de France Culture Aude Lavigne, mais aussi des particuliers pour des événements familiaux. Néanmoins, l’Agence AIR obéit à certaines règles : pas de remplacements d'ordre sexuel ou religieux, pas d’usurpation d’identité. Johanna, directrice générale de l’agence, s’accorde avec Alain, son secrétaire général, sur le fait que ce travail se base sur une arrière-pensée ludique. « C’est un plaisir, qui nous permet de mettre en œuvre un jeu sur les identités », assurent-ils. En effet, leur slogan résume à lui seul toute l’essence de leur travail : « Vous êtes irremplaçable, prenez un remplaçant ».
Loin de proposer une démarche purement commerciale, ces deux remplaçants professionnels cajolent chaque personne qui a recours à leurs services, avec l’objectif de laisser une trace après leur passage. « On se retrouve à des places qui ne sont pas celles du théâtre, où on joue un rôle. On est vraiment dans la vie réelle, donc c’est l’idée de s’approcher d’un autre. Il s’agit donc de faire l’effort d’aller vers un ailleurs qui n’est pas non plus une fiction, car on parle d’une personne vivante », explique Alain, qui ajoute que l’essence de l’agence AIR est le « un par un ». En effet, la grande interrogation qui nous vient à l’esprit est : quelle peut être la réaction de quelqu’un qui attend sa belle-fille et voit arriver Johanna à sa place ? Elle nous donne la réponse, car les remplacements familiaux sont aussi demandés à ces deux magiciens de la présence. « On insiste toujours sur le fait qu’il faut préparer le terrain pour amoindrir l’effet de surprise qui peut être déceptif, et qui peut rendre le remplacement difficile pour nous », commente-t-elle, en soulignant que « le dévoilement doit être fait au bon moment ».
C’est justement là que le « un par un » entre en jeu. Alain explique en souriant qu’il vaut mieux prévenir les membres de la famille, car « selon la problématique familiale, l’arrivée d’un remplaçant lors d’un événement intime peut être explosif ». Par contre, « quand il s’agit de remplacements professionnels, il est parfois mieux de dire qu’on est la personne attendue, et de nous dévoiler une fois que la mission est remplie », ajoute-t-il. Alain va ainsi se présenter comme Monsieur « A », et une fois le remplacement terminé, il expliquera : « je ne suis pas "A", je suis remplaçant professionnel ». « Selon nous, expliquent-ils, cette manière d’agir va créer deux effets : d’une part, on va nous donner du crédit comme remplaçants, et de l’autre, on pose sur la table l’idée de retournement, en voyageant pendant quelques instants derrière la représentation qu’on a donnée ». Ces deux comédiens assurent qu’il s’agit d’un travail « éclairant et jouissif », qui permet aussi de faire face autrement « à une époque qui assigne à chacun des places concrètes et inaliénables ».
Parmi les remplacements les plus curieux sur lesquels ils peuvent communiquer (car ils avouent en avoir de « Top Secret »), ils soulignent celui de la journaliste Aude Lavigne dans « La vignette d’Aude Lavigne » sur France Culture. Alain nous raconte : « Elle nous a contactés pour que je la remplace dans son émission, où chaque jour elle reçoit un invité. Cette fois-ci, l’invitée était Johanna Korthals Altes, créatrice de l’agence AIR. Elle a vraiment joué avec le service proposé par AIR ». Ces deux professionnels, comédiens à l’origine, ont par ailleurs remplacé Sophie Davant, journaliste sur France 2, Frédéric Mazelly, directeur de la programmation culturelle du Parc de la Villette, ou Yann Toma, Directeur de Recherches à l’Université Panthéon-Sorbonne.
Mais ce travail digne « d’AIR-tistes » ne s'arrête pas là. Ils donnent aussi des conférences pour travailler sur l’idée du remplacement dans plusieurs domaines, comme l’Histoire de l’art ou le cinéma, proposant par exemple à la ville de Paris la substitution d’une fontaine de la mairie du XXe arrondissement par une autre. Ainsi, ils visent à rompre cette ligne qui sépare le « déjà établi » de « ce qui pourrait être à sa place ». Ils expliquent en effet qu’avec le remplacement de cette fontaine ils cherchaient à « donner à cette place une nouvelle image ».
« Nul n’est irremplaçable », êtes-vous sûr d’y croire encore ?
Pour en savoir plus sur l’Agence AIR, rendez-vous sur leur site agence Air.com
Alexandra Gil
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