Culture
Anne-Sophie Lapix : "Mon air bienveillant peut déstabiliser mes invités"
Publié le 13 décembre 2012 à 18:28
Par Marie-Laure Makouke
C'était une première. Le 29 novembre dernier, le prix Philippe Caloni qui récompense le « Meilleur intervieweur » de l'année, était remis à une femme, en la personne d'Anne-Sophie Lapix. Comment la journaliste, aux commandes de l'émission hebdomadaire « Dimanche+ » sur Canal+, assume-t-elle ce nouveau statut ? Quel est son pire souvenir d'interview ? Qui sont ses modèles ? Entretien vérité.
Anne-Sophie Lapix : "Mon air bienveillant peut déstabiliser mes invités" Anne-Sophie Lapix : "Mon air bienveillant peut déstabiliser mes invités"© Abaca
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Terrafemina : Vous venez de recevoir le prix Philippe Caloni du « Meilleur intervieweur », comment avez-vous accueilli cette nouvelle ?

Anne-Sophie Lapix : J’ai accueilli cette nouvelle avec surprise, émerveillement et émotion d’autant que Jean-Noël Jeanneney, le président du jury, est une personne que j’admire. Il m’avait appelée un mois auparavant pour m’annoncer que j’allais être primée en me demandant de garder le secret, ce que j’ai fait, bien évidemment. La remise du prix devant mes pairs a été un moment à la fois touchant et émouvant malgré la tension qui flotte parfois dans ces cérémonies.

Tf : Ce statut de « Meilleur intervieweur » est-il facile à assumer quand on est la première femme à l’endosser ?

A.-S. L. : Je prends ce prix comme une récompense ponctuelle liée à la couverture de la campagne présidentielle, sans me mettre trop de pression. Je suis toutefois fière d’être la première femme à recevoir cette distinction et le fait que j’ai été choisie montre surtout que les membres du jury ne sont pas totalement machistes. S’il n’y avait pas eu de femmes primées jusque-ici, c’était simplement dû à un concours de circonstances. Ce qui me réjouit le plus, c’est la perspective de faire, moi aussi, partie du jury désormais. Je vais pouvoir voir selon quels critères sont choisis les lauréats et assister à ces déjeuners 100% masculins qui m’intriguaient tant.

Tf : Justement, le jury a loué votre « pugnacité » dans la conduite de vos interviews. Quelles sont vos astuces pour garder le contrôle sans jamais vous départir de votre « calme courtois » ?

A.-S. L. : J’ai la chance, ce qui est assez rare dans ce métier, d’avoir une semaine pour préparer mes interviews. J’ai donc le temps de lire tout ce que je trouve sur l’invité, de décortiquer tous les dossiers le concernant pour, éventuellement, y déceler la moindre incohérence. Par ailleurs, je prends des notes toute l’année. Je suis ainsi sûre de moi le jour J, prête à toutes les éventualités et je réduis le risque d’être surprise par un sujet ou par une réponse. Cette préparation me permet également de poser des questions que je ne poserais pas dans un dîner.
Quant au fait que je garde mon calme, c’est lié au fait que je ne suis pas quelqu’un d’agressif dans la vie de tous les jours. Mais cet air bienveillant peut déstabiliser mes invités qui ne s’attendent pas à certaines de mes questions. Je les vois parfois avoir un mouvement de recul lorsque j’aborde un sujet sensible.

Tf : Si vous deviez décrire le style Anne-Sophie Lapix, qu’en diriez-vous ?

A.-S. L. : (Elle rit.) Il n’y a pas vraiment de style Anne-Sophie Lapix. Je fais des interviews comme je sais les faire, en essayant de placer mes questions dans le peu de temps qui m’est imparti. Je n’hésite pas à relancer mon invité si j’estime qu’il n’y a pas vraiment répondu mais je le laisse aussi s’exprimer. L’important, c’est l’équilibre entre la parole de l’invité et celle du journaliste. Surtout, je ne laisse pas les personnes que je reçois mener l’entretien, je fais en sorte de toujours garder le contrôle.

Tf : Pendant la campagne présidentielle, votre entretien avec Marine Le Pen a fait couler beaucoup d’encre. Pensiez-vous qu’il aurait un tel retentissement ?

A.-S. L. : Cette interview a sans conteste été l’un des moments clefs de la campagne dans « Dimanche + » et je pense qu’elle a joué un rôle dans le fait que je sois sacrée « Meilleur intervieweur » cette année. Ce jour-là, Marine Le Pen s’est complètement perdue dans ses chiffres et nous avons marqué un point en parvenant à la déstabiliser, en sachant qu’elle n’est pas une personne facile à interroger. Nous avons tout simplement dévoilé les faiblesses de son programme. Je me souviens que le lundi précédant l’enregistrement de l’émission, elle avait elle-même annoncé ces chiffres en citant, pour chacun, de grands économistes. Au-delà de l’image caricaturale que l’on peut avoir d’elle, le point noir était surtout ces chiffres qui ponctuaient chaque ligne de son programme et sur lesquels nous nous étions penchés scrupuleusement pour la simple et bonne raison que si nous connaissions bien les programmes de l’UMP et du PS, ce n’était pas le cas de celui du FN.

Tf : Quel sont vos pires et votre meilleur souvenirs d’interview ?

A.-S. L. : La première année de « Dimanche + », je recevais Noël Mamère, quand j’ai commencé à lui poser une question dont je ne connaissais pas la fin. Plus j’avançais dans ma phrase et moins je voyais où je voulais en venir. Noël Mamère, impuissant et visiblement gêné, baissait la tête à mesure que je m’enfonçais et disparaissait de plus en plus dans son siège. Paradoxalement, cette émission a fait l’une des meilleures audiences de la saison. Les téléspectateurs doivent être un peu sadiques, ils aiment nous voir nous ensabler (elle rit). Plus sérieusement, l’enseignement à tirer de cette anecdote est que les pires interviews peuvent parfois être récompensées.

À l’opposé, mon meilleur souvenir est assez récent. Pendant la campagne présidentielle, pendant l’entre-deux-tours plus précisément, j’ai réussi à avoir sur le plateau Nicolas Sarkozy et François Hollande. Avoir les deux derniers candidats encore en course, le même jour, l’un après l’autre, était inespéré mais nous y sommes parvenus, le jour de mon anniversaire qui plus est. Magique.

Tf : Y a-t-il des personnes que vous redoutez d’interroger ?

A.-S. L. : D’une manière générale, je me méfie et j’appréhende les premiers entretiens avec des personnes que je ne connais pas. Je me montre alors beaucoup plus prudente. Mais c’est comme dans tous les domaines, il y a des gens avec qui l’on a plus d’atomes crochus que d’autres. Certains à qui l’on pourra poser toutes les questions que l’on souhaite, d’autres avec qui ces mêmes questions ne passeront pas.

Tf : Si vous aviez eu la possibilité de choisir le « Meilleur intervieweur 2012 », qui auriez-vous désigné à votre place ?

A.-S. L. : Sans hésiter, Patrick Cohen parce que c’est quelqu’un qui travaille beaucoup et qui connaît ses dossiers sur le bout des doigts. J’aurais également pu choisir David Pujadas, un journaliste très complet et un bon intervieweur. Quand il présente « Des paroles et des Actes », je trouve que son entrée en matière est toujours un moment très fort.

Crédit photo : Abaca

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