"Maître Olivier Dahan, tu as changé ma vie. Tu as vraiment échangé ma vie. (...) Je suis sans voix (...) Merci à la vie, merci à l'amour. C'est vrai qu'il y a des anges dans cette ville." Souvenez-vous, c'était en 2008 : Marion Cotillard obtenait l'Oscar de la meilleure actrice pour son rôle dans La Môme, "biopic" d'Olivier Dahan sur Edith Piaf. Cela faisait près de 50 ans qu'aucune actrice française n'avait été ainsi consacrée par la prestigieuse institution américaine ; en 1960, Simone Signoret recevait en effet l'Oscar de la meilleure actrice pour le film Les Chemins de la haute ville, de Jack Clayton.
Non contente d'être distinguée par Hollywood, Marion Cotillard a littéralement mis à ses pieds la cité des Anges, grâce à son interprétation habitée d'Edith Piaf. Pour Nathalie Monsaint-Baudry, spécialiste de l'inter-culturalité franco-américaine, le fait que ce rôle précis ait ouvert à la star les portes d'Hollywood n'est d'ailleurs pas un hasard. "En incarnant Piaf, Marion Cotillard touche une corde sensible : un conte de fées où la Cosette s'en sort grâce à sa foi en Dieu. Ça va droit au coeur des Américains qui sont guidés de l'intérieur par la foi et l'idée que "Quand on veut on peut" ("With the help of God"). Son Oscar, puis son immense popularité, elle le doit à ce biopic qui ne pouvait que plaire", expliquait cette dernière à Slate qui se penchait, dès 2011, sur les raisons de l'incroyable succès outre-atlantique de l'actrice remarquée pour la première fois dans Taxi.
Avant Marion Cotillard, de nombreuses actrices françaises de premier plan ont fait une incursion aux Etats-Unis : Carole Bouquet et Sophie Marceau ont joué dans deux James Bond, Emmanuelle Béart dans Mission Impossible, Isabelle Adjani dans Diabolique, Isabelle Huppert dans La Porte du Paradis, etc. Mais aucune d'entre elles n'était parvenue à s'imposer comme celle qu'on surnomme désormais "La môme". Quant à Juliette Binoche, oscarisée - mais pour un second rôle - pour sa performance dans Le Patient anglais en 1997, elle a refusé la main tendue par Hollywood en disant non à des grosses productions malgré les propositions juteuses qui s'offraient à elle. Cette dernière raconte ainsi avoir répondu à Steven Spielberg qui lui proposait le premier rôle féminin dans Jurassic Park : "OK mais seulement si je peux jouer un dinosaure".
Une posture qui tranche avec l'attitude de Marion Cotillard, qui s'est parfaitement adaptée à la culture américaine, comme en témoigne son discours lyrique et dégoulinant d'amour aux Oscars en 2008. Sa tirade au premier degré avait d'ailleurs suscité les moqueries de nombreux français plus coutumiers d'une vision ironique - et ô combien française - du monde.
A l'inverse, alors qu'elle était pressentie pour faire carrière à Hollywood après le succès du Fabuleux destin d'Amélie Poulain, film véhiculant une image très "béret-baguette" de la France, Audrey Tautou s'est contentée de jouer dans une poignée de films en anglais (notamment l'adaptation du best-seller Da Vinci Code), avant de revenir dans le giron du cinéma français pour jouer sous la direction de Michel Gondry ou de Cédric Klapisch. Aujourd'hui, elle concède volontiers n'avoir jamais souhaité faire carrière à Hollywood, quand on l'interroge sur cette mise en orbite "ratée".
C'est peut-être là ce qui distingue les nouvelles actrices françaises qui montent à Hollywood comme Marion Cotillard et Léa Seydoux : elles embrassent le cinéma américain sans arrière-pensée, acceptent de se fondre dans le rôle de la séduisante et vénéneuse femme française, bref, jouent le jeu jusqu'au bout. C'est ainsi que Léa Seydoux a préféré jouer dans le dernier James Bond plutôt que de tenir le rôle principal dans Marguerite et Julien, le film de Valérie Donzelli, trop consciente qu'en devenant James Bond girl à son tour, elle forçait un peu plus les portes de Hollywood.
Au moment de la sortie de Spectre, le nouveau James Bond, le Daily Beast a d'ailleurs consacré un article élogieux à la jeune actrice à la conquête du cinéma américain. La star de La vie d'Adèle n'en est pourtant pas à son coup d'essai. Tout comme Marion Cotillard avait débuté à Hollywood en jouant des petits rôles dans les films de Tim Burton ou de Ridley Scott, Léa Seydoux n'a pas rechigné à faire des apparitions dans les films de prestigieux réalisateurs américains, tels Woody Allen ou Quentin Tarantino, ou à sortir le grand jeu sur le tapis rouge au festival de Cannes ou lors des premières de ses films.
Et cela fonctionne : c'est ainsi que quelques années après avoir un rôle secondaire face à Christoph Walz dans la séquence d'introduction d'Inglorious Basterds, Léa Seydoux donne à nouveau la réplique à l'acteur allemand, mais cette fois dans un rôle de premier plan avec ce dernier dans Spectre. Et s'apprêterait même à jouer dans un film de super-héros, territoire cinématographique encore inexploré par les actrices françaises.