"Les monstres, ça n'existe pas. C'est notre société, c'est nous, c'est nos amis, c'est nos pères. On n'est pas là pour les éliminer, on est là pour les faire changer." Il y a quelques mois, les mots puissants d'Adèle Haenel, qui accusait le réalisateur Christophe Ruggia, résonnaient fort. Et on se prenait à rêver d'un moment de basculement, d'un #MeToo français. Enfin. Cette voix sonnait d'autant plus fort que quelques semaines plus tard, Roman Polanski remplissait les salles avec son J'accuse tandis que de nouvelles accusations de viol sortaient sur le réalisateur, déjà poursuivi depuis plus de 40 ans par la justice américaine pour des "relations sexuelles illégales" avec une mineure en 1977.
Ces mots, cette colère, ces espoirs, les votant·e·s de l'Académie des César viennent de les fouler du pied. En propulsant Roman Polanski en tête des nominations (12 au total), c'est une nouvelle claque que l'institution assène aux femmes qui ont osé parler. Il n'était pas question de boycotter J'accuse lors de ces nominations. Mais le placer en grand favori a quelque chose d'éminemment méprisant, voire d'insultant.
Le sujet de la séparation de l'homme et de l'artiste a occupé l'espace des débats pendant de longues semaines et a resurgi encore plus récemment avec l'affaire Gabriel Matzneff. En plein coeur de ces questions de société brûlantes, voir Roman Polanski ainsi auréolé met en lumière un milieu qui n'a clairement toujours pas entamé son examen de conscience, alors même que l'industrie hollywoodienne suit une thérapie collective depuis deux ans. La profession refuse obstinément de s'ausculter, de se déconstruire, de se regarder en face. Pire : en continuant à célébrer des personnalités problématiques, elle s'installe comme un microcosme réactionnaire, à l'image de ces bonhommes sexistes qui viennent régulièrement geindre sur les plateaux télé en se plaignant qu'on "ne peut plus rien dire".
Les César ne sont "pas une instance qui doit avoir des positions morales", s'est défendu le président de l'Académie des César Alain Terzian. Sauf que si : l'art est (aussi) politique. Il est le reflet de notre société. Et couronner un film dont l'auteur est accusé de viols se révèle profondément désolant. Tout comme l'était la décision de l'Académie de lui confier sans sourciller la présidence des César en 2017. Ne pas sanctionner, même symboliquement, relève de la prise de position.
Le sursaut viendra-t-il de l'intérieur ? Les artistes qui monteront sur scène le soir de la cérémonie le 28 février prochain oseront-elles/ils dénoncer, prendre position, s'engager ? Ce serait inédit. Car les César, éternellement policés, lisses et creux, n'ont jamais été la plateforme politique que sont les Oscars. Le #MeToo français ? Ce n'est clairement pas pour tout de suite. Et c'est bien triste.