Les César 2024, c'est ce soir à 20h45 sur Canal, et la cérémonie devrait réserver son lot d'événements : le discours de Judith Godrèche sur les violences sexistes et sexuelles dans le milieu du cinéma, le sacre attendu de l'indéniable phénomène Anatomie d'une chute (avec statuette pour Justine Triet à la clef ?), ou bien celui de Je verrai toujours vos visages (l'un de nos gros coups de coeur : sa réalisatrice s'est exprimée dans nos pages)...
Mais un autre nom pourrait bien retentir ce 23 février 2024 : celui de Marguerite. A savoir, une jeune surdouée des maths prête à tout pour percer à jour un théorème mythique, quitte à se mettre à dos un prof tyrannique, et faire copain-copain avec un autre prodige au caractère antagoniste.
Interprétée par une méconnaissable Ella Rumpf (l'une des révélations du Grave de Julia Ducournau), la jeune fille est le personnage principal du formidable film Le théorème de Marguerite, petit succès public que vous devez rattraper séance tenante. Pourquoi donc ?
Car loin de se limiter à un Rain Man au féminin, ce portrait de femme est malin, étonnant, subtil. Ses deux jeunes comédiens, pleins de spontanéité, pourraient repartir de la cérémonie des César avec les statuettes de la Meilleure révélation féminine (pour Ella Rumpf donc) et Masculine (pour l'irrésistible Julien Frison, également vu dans Les trois mousquetaires). Et ce ne serait pas démérité. On vous explique pourquoi.
Prenant l'absolu contrepied des sempiternels portraits de nerd caricaturaux, Le théorème de Marguerite détonne par son écriture ludique et nuancée. La réalisatrice Anna Novion accorde toute son attention au personnage de Marguerite et s'amuse ouvertement des attentes du public. Ainsi, bien qu'éloignée des standards de beauté, et perçue comme une scientifique obnubilée par ses chiffres et théorèmes, la jeune femme n'en est pas moins sexuellement active, et bien que marginalisée, elle est clairement déterminée.
On pourrait la croire enfermée dans sa bulle, mais Marguerite en vérité est extrêmement pragmatique, et n'est jamais la victime passive d'un monde (patriarcal) qui circule sans elle. Pas du tout, même ! En outre, là où il aurait été convenu d'ériger cette mathématicienne de brio en figure queer, détail appuyant son statut de marginale justement, la cinéaste en fait un personnage hétéro, malgré le lien qui l'unit à son extravertie colocataire. Une autre manière de bousculer attentes d'une audience et sempiternels clichés.
Le théorème de Marguerite n'aura de cesse de jouer, timidement mais sûrement, des stéréotypes de genre, et en premier lieu des injonctions à la féminité. Sans forcément en faire le coeur de l'ouvrage : avec discrétion. Et si cette protagoniste est attachante, elle n'est pas non plus sympathique, ne force pas l'empathie. C'est tout un équilibre, atypique, qui s'esquisse dans cette performance. Dans la peau de Marguerite, Ella Rumpf dévoile un jeu déconcertant, et aussi malin que le film qu'elle porte sur ses épaules.
Bien entendu, c'est également une oeuvre sur l'ADN sexiste du milieu scientifique, l'exclusion des femmes de ce monde, ou plutôt leur invisibilisation... Dans le jargon, c'est un phénomène que l'on appelle "l'effet Matilda" : ou quand les femmes scientifiques sont reléguées au rang de femmes invisibles. Oui, ce "théorème" aux multiples facettes (c'est également une histoire d'amour !) parle de tout cela... Mais pas seulement. Voilà un film diablement surprenant qui, on l'espère, ne ressortira pas bredouille de la sacrosainte cérémonie.