Il y avait Jane B. par Agnès V., interprétation de l'icône Birkin par la non moins emblématique Varda. Quand deux femmes artistes se rencontrent et accouchent d'un ovni. Et puis, désormais, il faudra compte sur le documentaire exceptionnel Jane par Charlotte. Jane B, Charlotte G, une mère, sa fille, et un film dirigé par cette dernière, entre carnet de bord, boîte à souvenirs, et surtout, déclaration d'amour...
Jane Birkin se dévoile sous la caméra de sa fille entre deux photos, deux discussions pas toujours dépourvues d'amertume, quelques introspections ou coups d'oeil dans le rétro. Jane par Charlotte est un document inédit, mais c'est surtout un geste de tendresse infinie. ARTE nous propose de le (re)découvrir gratuitement en ligne, et on s'y rend plutôt deux fois qu'une, en sachant naturellement qu'une mission impossible se présente à nous : essayer de ne pas pleurer.
Aux antipodes du mélodrame cependant, ce documentaire de Charlotte Gainsbourg est à son image : pudique, ultra sensible, hanté par des non-dits tellement plus éloquents que de trop longs discours. Mais pourquoi ce film nommé aux César mais reparti injustement bredouille nous touche-t-il autant ? La raison est intime oui, mais aussi politique...
On vous explique tout.
Il faut avoir le coeur solide aujourd'hui pour (re)voir Jane par Charlotte.
La comédienne y évoque à multiples reprises sa crainte de voir sa mère partir. Jane Birkin nous quittera deux ans après la sortie de ce documentaire. "Je suis tellement heureuse d'avoir pu le tourner quand elle était vivante. Je craignais pour sa santé pendant le tournage, et le montage, au moment de la sortie également... Aujourd'hui, je ne sais pas si j'arriverai à le revoir", témoignera Charlotte Gainsbourg à ELLE.
Rétrospectivement, cela rend certaines séquences douloureuses, pour ne pas dire poignantes d'émotion. Tels ces mots de Charlotte "herself", en guise d'épilogue : "Pourquoi apprend-on à vivre sans sa maman ? Il me semble que c'est un but qu'on se donne, s'affranchir à tout prix. J'ai pas envie de m'affranchir, j'ai envie de me coller. J'ai peur du temps qui ne s'arrête pas, qui défile trop vite".
Des paroles qui feront écho en bien des anonymes.
Mais ce qui nous plaît beaucoup dans ce documentaire filial et sororal, c'est le regard que Charlotte voue à Jane. Aux antipodes des sempiternels clichés nostalgiques, qui érigent Jane Birkin en égérie éternellement sixties, muséifiée, dans tous les sens du terme, comme figée dans un temps révolu, ce film nous dévoile la Birkin contemporaine, celle des années 2010, d'un temps actuel, en HD, celui du quotidien.
"Mon idée, c’est de pouvoir te regarder comme jamais je t’ai regardée, ou j’ai osé te regarder", confie sa fille timidement. Et nous, on nous montre rarement "Jane" ainsi : dans la peau d'une grand mère riante, d'une femme septuagénaire vulnérable, encore décalée, solaire. Souffrant, mais comme apaisée. Faire foisonner ces images c'est également combattre l'âgisme, autrement dit, l'exclusion sociétale, mais aussi culturelle, des femmes une fois atteint le cap de la quarantaine.
Charlotte renverse cette fatalité sexiste : elle ne cesse de filmer sa mère, de la prendre en photo, s'amuse à exiger des poses, comme les photographes d'antan soucieux de "capturer" l'icône Birkin. La fille devient la photographe officielle de Jane Birkin, loin des regards pas toujours bienveillants que la chanteuse et comédienne a pu connaître dans les années soixante. Et en se réappropriant ce point de vue, "Charlotte" vient la magnifier au présent.
On ne peut s'empêcher d'y voir là l'expression d'une délicatesse bouleversante, c'est sûr, mais aussi, une intention féministe, qui s'ignore peut être, et va de pair avec ce besoin de montrer, de dire les choses, de filmer ce qui d'ordinaire demeure hors champ. C'est magnifique.
"Sondant leur relation tissée de tendresse, d’admiration et de non-dits, cette déclaration d’amour charrie une élégante mélancolie, à l'image de son duo", analyse avec justesse ARTE. "L’"ex-fan des sixties" se livre à sa fille, qui en profite pour la photographier sous tous les angles. L’exercice pourrait s’avérer voyeur s’il n’était infusé de la finesse de sa réalisatrice et de la sincérité désarmante de son sujet. Ce beau portrait, émaillé des clichés capturés par Charlotte et de lumineux films de vacances en super-8, apparaît rétrospectivement comme une poignante tentative d’arrêter le temps, doublée d’une réflexion sensible sur la transmission"