Tout est parti d'un... cochon rôti. Après une expérience culinaire qui l'a fait basculer vers le véganisme, Marie Viard-Klein, 23 ans, a décliné tout son quotidien vers ce nouveau mode de vie, de l'alimentation aux vêtements. Car si le véganisme implique de tirer un trait sur la viande, le poisson, les produits laitiers, les oeufs ou encore le miel, il exclut également toute consommation de produits issus des animaux, de leur exploitation ou testé sur eux comme le cuir, la fourrure ou la laine. Confrontée au manque de choix en France, la jeune Bordelaise étudiante en marketing a décidé de lancer sa propre marque de chaussures vegan, qui porte le joli nom de Minuit sur Terre. Une gamme qui allie matières végétales, fabrication éthique et prix doux.
Nous avons interrogé l'entrepreneuse green-friendly sur son parcours, ses valeurs et ses conseils pour concilier vie pro et perso.
J'ai lancé Minuit Sur Terre alors que j'étais encore étudiante, en double diplôme entre Sciences Po Bordeaux (master Gestion des entreprises) et l'IAE de Bordeaux (master marketing). J'ai pu ainsi obtenir le statut étudiant entrepreneur et convertir mon stage de fin d'études en période dédiée à la création de mon projet. J'ai eu un parcours étudiant un peu atypique car j'ai su ce que je voulais faire très tard et j'ai donc suivi des études très généralistes jusqu'à la troisième année de Sciences Po, où j'ai trouvé ma voie : je voulais faire du marketing. Après un an de césure en stage, ce projet s'est confirmé, mais n'a jamais vraiment abouti pour autant puisque Minuit Sur Terre est mon premier poste. Je n'avais jamais eu pour vocation de créer mon entreprise avant que l'idée ne me "tombe dessus" !
Je suis devenue végétarienne il y a presque 6 ans maintenant : j'étais à l'anniversaire d'une amie, c'était une grande fête et ils avaient prévu un cochon rôti à la broche. Je n'ai pas pu en manger ce soir-là et je suis devenue végétarienne très rapidement ensuite. Dans les 6 mois qui ont suivi, je suis devenue végétalienne puis végane, au fur et à mesure que je découvrais les dessous de l'élevage et de la condition animale. autre produit issu des animaux, de leur exploitation ou testé sur eux comme le cuir, la fourrure ou la laine.
Lorsqu'est venu le moment de remplacer mes chaussures en cuir en fin de vie, j'ai beaucoup cherché sur internet des chaussures sans cuir, mais sans succès : j'avais le choix entre des marques éco-responsables labellisées véganes mais dont le style ne me convenait pas du tout, ou des chaussures bas de gamme en plastique dans les grandes enseignes de fast-fashion avec une empreinte carbone et humaine plus que moyenne.
À ce moment-là, j'ai vraiment réalisé que le marché de la mode responsable en France n'était qu'à ses balbutiements, et qu'aucune marque n'avait encore fait le pari de concilier la mode avec l'éthique. L'idée a germé dans mon esprit, et quelques mois plus tard, je me suis lancée, en sachant que je n'avais rien à perdre !
La condition animale est au coeur de mes préoccupations et c'est ma première motivation pour fabriquer des produits qui soient exempts de toute matière animale. Mais pas seulement ! Il était aussi très important pour moi de fabriquer les chaussures les plus éco-responsables possibles : fabriquées au Portugal (à moins de 1000 km de nos bureaux, c'est moins que Marseille-Lille !), avec des matières d'une grande qualité, produites en Italie et toutes certifiées Oeko-Tex (un label qui prouve que les matières que nous utilisons ne présentent aucun danger pour la santé).
J'ai choisi les chaussures en tant que produit car c'est ce qui manquait le plus à la mode éthique en France : beaucoup de marques se lançaient en faisant des vêtements ou de la maroquinerie. Même si en matière de logistique, c'est plus simple (les références sont démultipliées pour les chaussures car déclinées en 8 tailles), il y avait un vrai besoin qui n'attendait qu'une marque pour être comblé.
Toute ma famille a été derrière moi dès le début de l'aventure, et m'a énormément soutenue sur le plan moral, mais pas que. Ma petite soeur, l'artiste de la famille, m'a aidée avec les premiers dessins, ma grande soeur avait aussi ce projet très à coeur et a été ma meilleure alliée sur les réseaux sociaux, ma maman préparait les colis les premiers mois (tout était stocké dans la chambre d'amis chez mes parents au début !), mon père m'a prêté de l'argent pour combler un déficit de trésorerie car mon prêt bancaire a mis plus de temps à arriver que prévu...
Aujourd'hui, la marque a grandi et s'est professionnalisée (on a un entrepôt qui gère notamment toute la partie stockage et préparation des commandes), mais ma famille est toujours derrière moi. Depuis l'hiver 2017, c'est mon compagnon qui réalise toutes les photos de chaque collection (et c'est un sacré travail) et ma belle-mère qui réalise toutes les illustrations sur les cartes que l'on glisse dans les colis.
Ce qui bloque beaucoup de personnes à se lancer dans un projet comme celui-ci, c'est la peur d'échouer. En France, l'échec est encore mal perçu, mais c'est important de ne pas le dramatiser : dans tous les cas, c'est une formidable expérience et absolument pas du temps perdu ! Il faut y croire et se donner les moyens que cela aboutisse.
Pour moi, une autre qualité essentielle est la polyvalence : quand on lance son entreprise ou un autre projet d'envergure, il faut apprendre à tout faire, de la logistique à la communication en passant par le design. Avoir recours à des sous-traitants au lancement d'une marque (pour la communication, le site internet, les photos...) c'est le meilleur moyen de faire fondre sa trésorerie sans garantie derrière !
Mon amour pour Cannelle, mon chien et mascotte de Minuit Sur Terre ! Quand je l'ai adoptée en juin 2016, j'avais déjà fait une croix sur Paris par exemple car je savais qu'elle y serait malheureuse. Elle conditionne ma vie depuis son arrivée, et cela aurait pu être compliqué avec un travail "classique" car j'ai beaucoup de mal à la laisser seule. Cela a beaucoup joué quand j'ai décidé de créer Minuit Sur Terre : je savais que je pourrais la garder tout le temps avec moi (je l'emmène même chez le comptable ou aux passages radio) et elle est devenue ma bouffée antistress au quotidien.
Minuit Sur Terre occupe une grande partie de ma vie (pour ne pas dire toute) et cela ne me dérange pas. J'aime mon travail, je suis heureuse d'aller au bureau tous les matins et ça ne me gêne pas de penser à Minuit Sur Terre H24. Pour autant, j'ai appris petit à petit à "décrocher" pour réussir à me reposer.
Mon conseil : avoir un lieu de vie différent du lieu de travail. Depuis que j'ai un bureau et que je ne travaille plus depuis chez moi, je suis beaucoup plus efficace dans mon travail et j'arrive beaucoup plus facilement à penser à autre chose une fois de retour à la maison.
J'aime beaucoup rentrer chez mes parents à la campagne le week-end, cela permet de prendre le grand air et de se retrouver tous en famille après une semaine parfois oppressante en ville. J'essaie aussi de faire des activités manuelles en rentrant chez moi le soir (je me suis récemment mise à la couture et au piano) pour ne pas passer tout mon temps derrière des écrans ! Bien évidemment, je promène aussi beaucoup Cannelle (on a la chance d'avoir nos bureaux en face du Parc Bordelais) et je marche donc beaucoup tous les jours.
Malheureusement je la recherche toujours, car je suis de nature très stressée et je peux passer dans l'heure de "Tout va bien, c'est génial" à "J'en peux plus, je veux tout arrêter".
• Jane Goodall pour l'ensemble de ces travaux d'anthropologie qui ont révolutionné notre compréhension du comportement des animaux et mis en valeur les nombreuses similitudes avec les humains.
• Fanny Maurer. C'est une maquilleuse professionnelle végane qui à force de travail et de talent, a su s'imposer dans ce milieu concurrentiel. Elle sensibilise sa grande communauté au véganisme et éveille beaucoup de consciences !
• JK Rowling. Non seulement je suis fan de l'univers qu'elle a créé, mais j'admire particulièrement la détermination dont elle a fait preuve pour faire publier le premier tome d'Harry Potter.
Greta Thunberg et tout son travail de dénonciation de l'inaction face aux changements climatiques. Elle est la porte-parole de tout un mouvement de jeunes qui manifestent pour défendre ces enjeux et leur avenir et je trouve cela remarquable, surtout à son âge. Les médias adorent la dévaloriser et chercher la moindre faille dans son mode de vie, mais c'est pour moi une personne exceptionnelle qui a beaucoup contribué ces derniers mois à éveiller les consciences à l'urgence climatique et la nécessité de mettre en place des mesures radicales maintenant, sans attendre demain.
"On n'a pas deux coeurs, un pour les animaux et un pour les humains. On a un coeur ou on n'en a pas." (Alphonse de Lamartine)
Dans les moments de doute passager, je me rappelle que je ne fais pas tout ça pour moi, je le fais pour éveiller les conscience et participer à construire un monde sans souffrance. Et il n'y a pas de meilleure motivation pour continuer.
Nous travaillons en ce moment sur une nouvelle gamme de produits extraordinaires, qui devrait voir le jour avant Noël (on croise les doigts). C'est un vrai pari que de quitter le domaine de la chaussure et de la maroquinerie et j'espère qu'il sera couronné de succès ! J'ai la chance de ne pas (trop) réaliser les risques que je prends et cela me permet d'avoir toujours de nouvelles idées et de les mettre à exécution.
Ouvrir une "maison Minuit Sur Terre" en pleine campagne, avec nos bureaux, un espace boutique et un grand refuge pour animaux abandonnés dans le jardin !
Osez et lancez-vous !
Quels seraient vos meilleurs conseils pour se lancer dans un mode de vie vegan ? Et pourquoi adopter cette démarche ?
Aujourd'hui, c'est plus facile qu'il n'y paraît : on trouve facilement des recettes, des produits cosmétiques non testés sur les animaux... Internet est une vraie mine d'or : il y a des influenceurs qui font un vrai travail d'information et qui sont la preuve que la cuisine végétale peut être gourmande. Par exemple Marie de Sweet and Sour ou notre Québécois préféré, Jean-Philippe de la cuisine de Jean-Philippe.
C'est la seule démarche qui soit vraiment cohérente si l'on veut respecter les animaux et la planète (l'alimentation végétale étant beaucoup plus écologique car moins gourmande en ressources si l'on évite les substituts industriels). Il est important de se renseigner car de prime abord, beaucoup ne comprennent pas le problème avec le lait ou la soie par exemple.
Pour ceux qui adorent la viande et le fromage, c'est plus difficile car on ne retrouve jamais vraiment le goût de ces aliments, même si les fromages végétaux et les simili-carnés sont de plus en plus réussis. La transition peut se faire de manière très progressive, le temps d'installer de nouvelles habitudes de consommation.
Dans tous les cas, je pense qu'il faut encourager la démarche plutôt que de culpabiliser ce qui peut porter préjudice au mouvement végane. Pour tous les produits qui ne concernent pas l'alimentation, cela peut être une bonne voie de départ car cela ne change pas radicalement nos habitudes : pour beaucoup, il est plus facile d'acheter une paire de chaussures sans cuir ou des produits cosmétiques cruelty-free que de revoir complètement son alimentation.